Il accorde tant à l’humanité en général et à je ne sais quelle apothéose de l’espèce ; dans le particulier, il a l’air de croire si aisément à l’esprit horatien de ses amis, qu’il pourrait croire par là-dessus à l’immortalité des beaux vers. […] tout homme ainsi commence… Puis, expliquant sa transformation et comment il est arrivé à perdre sa voix dans le grand chœur, il ajoute : Alors, par la vertu, la pitié m’a fait homme ;… Passé, présent, futur, ont frémi sur ma fibre… et dans cette longue et pénible incarnation de l’humanité en lui, qu’il nous développe, il croit qu’il ne parle plus de lui, tandis que le je y revient sans cesse et s’y articule à chaque vers. […] voilà l’Humanité en personne, le Cosmopolitisme qui arrive dans les chants du poëte ; c’est un tiers un peu immense et qui engloutit tout.
Il est d’usage de louer l’invention du caractère de Gil Blas : ce garçon qui est si peu héros de roman, bon enfant, sans malice, sans délicatesse, sans bravoure, mais admirablement résistant par le manque même de profondeur, qui ne prend jamais la vie au tragique, qui se relève et se console si vite de toutes ses disgrâces, toujours tourné vers l’avenir, jamais vers le passé, toujours en action, jamais rêveur ni contemplatif, que l’expérience mène rudement de la vanité puérile à l’égoïsme calculateur, et qui finit par s’élever assez tard à une solide encore qu’un peu grosse moralité ; ce personnage-là, dit-on, c’est notre moyenne humanité. […] C’est un homme, lui aussi, ce n’est plus l’humanité. […] La passion n’est pas ici quelque chose de mystérieux, de magique, qui élève l’homme au-dessus de l’humanité, qui l’affranchisse des conditions communes de l’existence : la passion, pure et souveraine, est aux prises avec les petitesses des caractères et les misères de la vie.
Il a cru à la science plus ardemment que personne, et il lui a remis avec confiance l’avenir de l’humanité. […] Quelles que soient les réserves des érudits, il a établi sur des raisons d’ordre purement scientifique, historique, philologique, la relativité, l’humanité des religions. […] Par la religion se satisfait l’instinct moral de l’humanité ; ainsi, aucune religion n’étant vraie, toutes les religions sont vraies ; et toutes sont bonnes — quand on ne les applique qu’à leur office.
L’humanité se révolte contre ces traitements odieux que l’avidité du gain a mis en usage, et qu’elle renouvellerait peut-être tous les jours, si nos lois n’avaient pas mis un frein à la brutalité des maîtres et resserré les limites de la misère de leurs esclaves. […] Comment des hommes à qui il reste quelques sentiments d’humanité peuvent-ils adopter ces maximes, en faire un préjugé, et chercher à légitimer par ces raisons les excès que la soif de l’or leur fait commettre95 ? » On ôterait à Buffon le meilleur de sa gloire si l’on doutait que le grand seigneur libéral, qui porta le premier à la tribune politique de la France la question des noirs, eût lu ce sévère et énergique appel à l’humanité.
Elle est pour Victor Hugo, tantôt une grande oublieuse au front serein52 qui efface l’homme éphémère sous la continuité de sa vie exubérante, tantôt une auxiliaire du progrès53, qui révèle à l’humanité ses mystères, lui soumet ses forces, l’émancipé, la rend plus puissante, la mène par la science à la liberté, l’aide à briser les vieux moules du passé, à faire germer le bien et la joie pour les générations futures. […] En même temps que les âmes, lasses de la nature arrangée, asservie par l’homme, revenaient vers la nature libre et indomptée, le dégoût pour les mensonges, les petitesses et les vulgarités de la société civilisée rejetait plus d’un écrivain vers l’humanité rude et fruste des âges ou des pays barbares. […] Partout, au contraire, où la nature écrase l’homme, dans le voisinage de l’océan ou dans la haute montagne, quand il se sent petit et faible en présence de la tempête ou de l’avalanche, il y a persistance en lui des paniques de l’humanité primitive ; il trahit un penchant à la tristesse rêveuse, il croit au merveilleux, il se voit entouré d’êtres surnaturels ; dans sa foi, dans ses coutumes, dans ses fêtes, dans ses légendes, il garde au passé un pieux attachement, qui est une entrave au progrès des mœurs et des idées, mais qui a aussi quelque chose de touchant et de pittoresque.
Son premier mot fut un cri d’humanité. […] Dès les premiers jours, la plupart des Conventionnels restés dans les Conseils regardaient ouvertement les nouveaux nommés comme des intrus et des ennemis ; ils semaient autour d’eux les soupçons et les calomnies pour les décréditer du moins, ne pouvant les éliminer : « Ceci débute mal, dit tout haut Portalis présent à ces scènes : si les Jacobins ont le pouvoir de nous chasser d’ici, nous n’y resterons pas longtemps. » Il y resta assez, durant deux années, pour y fonder sa réputation d’orateur social, fidèle à tous les principes de modération et d’humanité. […] Ce n’était pas seulement l’esprit d’humanité, c’était aussi l’esprit de parti qui s’emparait à l’instant de ces belles paroles de Portalis.