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742. (1896) Études et portraits littéraires

Si habituelle que puisse être l’insensibilité d’une créature humaine, elle a des intermittences. […] Gloire aux temps où le jeu de l’énergie humaine développe la beauté humaine. […] Volontairement il élargit sa part à l’animalité humaine. […] Est-ce la vie humaine vécue selon sa loi, que nous avons vue être la loi de toute vie ? […] Théâtre de l’épreuve humaine, la terre demande le labeur humain qui, en y mettant, fut-ce au plus humble degré, l’empreinte de l’intelligence, y laisse, en quelque mesure, la marque de Dieu.

743. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Fromentin a compris d’intuition que la description trop appuyée n’est pas du grand art, par cette raison qu’elle n’est pas humaine, qu’elle n’est pas vraie. […] Il ne coupe pas le récit par d’interminables descriptions, où rien ne manque, si ce n’est justement le sens le plus profond de l’observation humaine. […] Par un privilège de la jeunesse, la douleur est ce qui compte le plus dans toute vie humaine, et ce qui s’imagine le moins bien, quand on n’a pas souffert. […] Peu d’hommes l’examineront sans y reconnaître quelque chose d’eux-mêmes, et sans deviner la sincérité profondément humaine du reste. […] Comment une pareille confusion a-t-elle pu s’établir dans l’esprit d’une romancière qui avait quelque expérience, croit-on, des passions humaines ?

744. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

La déchéance pour cause d’utilité nationale et d’utilité du genre humain était évidemment dans ses principes. […] L’histoire est la conscience du genre humain. […] Elle est une justice généreuse du cœur humain, plus clairvoyante au fond et plus infaillible que la justice inflexible de l’esprit. […] Sa mort, au contraire, aliénait de la cause française cette partie immense des populations qui ne juge les événements humains que par le cœur. La nature humaine est pathétique ; la république l’oublia, elle donna à la royauté le prestige du martyre, à la liberté le stigmate de la vengeance.

745. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Le génie de la sculpture étrusque, mystère dans son passé, mystère à sa renaissance, apparaissait au monde comme un phénomène de l’esprit humain qui ne sera jamais expliqué. […] C’est dans ces salles funèbres que Michel-Ange, enfermé pendant les nuits, étudiait, à la lueur de la lampe des morts, cette anatomie du corps humain dans tous les âges qui devint comme la charpente cachée de ses statues. […] C’était une floraison de l’esprit humain plus luxuriante sur des ruines ; un confluent du paganisme retrouvé et du christianisme ; confluent étrange et adultère, sans doute, mais productif pour l’imagination, pour l’art et pour la littérature, comme ces unions illicites, plus fécondes souvent que les unions légales, le vice même, la licence des dogmes, des idées, des mœurs y favorisant les libertés du génie ; phénomène étrange entre tous les grands siècles ! L’absence d’idée fondamentale et créatrice et le désordre d’idées incohérentes semblaient par ses aberrations mêmes y grandir l’esprit humain. […] La nature, qui se complaît plus souvent dans les analogies entre l’âme et la forme, se complaît aussi quelquefois dans les contrastes ; mystérieuse en tout, adorable en tout ; cependant le physionomiste qui déchiffre avec intelligence l’hiéroglyphe de la figure humaine, peut facilement ici percer le mystère.

746. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Avec un art plus élémentaire, Poe élague de ses personnages ce qui est humain, commun et subordonné : il désigne ta faculté excessive ou défectueuse en laquelle ils s’individualisent, les montre déséquilibrés en acte et poussant à ses conséquences extrêmes la conduite commandée par leur état mental. […] De pâles victimes sortent anéanties, les nerfs crispés ou atones, de quelque aventure terrible au-delà des forces humaines. […] Sur la putréfaction humaine de lugubres et formidables variations sont exécutées. […] À cette régularité et cette rigidité, se mêle, en proportions variables, mais en présence constante, l’une des émotions humaines, la plus violente, la plus tumultueuse et désordonnée, l’horreur. […] De même que ces spectacles putrides soulèvent l’extrême dégoût, par l’atteinte qu’ils portent à notre amour de la forme humaine, les contes psychologiques terrifient en ruinant la croyance à la raison.

747. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

« Ce nom même de cadavre ne lui reste pas longtemps, parce qu’il exprime encore quelque forme humaine. […] Mais quand il s’agit de déchirer l’âme humaine à travers la sienne, il est aussi résolu et aussi impassible que celui qui ne déchira que son corps, après une lecture de Platon. […] On a trouvé bon le vénéneux nectar, et l’on en a pris à si haute dose, que la nature humaine en craque et qu’un jour elle s’en dissout tout à fait ! […] de savoir ce qui peut fleurir dans le fumier du cerveau humain, décomposé par nos vices. […] Devons-nous supprimer la satire et nous interdire l’étude de toute une moitié de l’âme humaine ?

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