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987. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

La critique historique a fait, de nos jours, une belle conquête : c’est cette vue d’après laquelle l’unité de la France, depuis l’origine de la monarchie, n’aurait fait que des progrès et des pas en avant. […] Les principaux sont cette même Christine de Pisan, dont on loue quelques vers gracieux qui sont restés en manuscrit ; George Chastelain, beaucoup plus goûté de son temps pour ses poésies inintelligibles que pour ses chroniques ; Martial d’Auvergne, auteur d’une sorte de poëme historique sur la mort du roi Charles VII, où sont exprimées en mauvaises rimes les sentiments de la nation pour la royauté malheureuse. […] La simplicité de la critique au xviie  siècle le dispensait de donner des raisons historiques de ses jugements, outre que le caractère de son Art poétique ne les lui permettait pas.

988. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Dans La Guerre et la Paix, le prince André Bolkonsky, ardent, aigu, tenace avec la sentimentalité secrète des penseurs amers, est mené du tumulte des champs de bataille à l’activité verbeuse des salons politiques, séquestré dans son bien, enlacé dans un délicat amour, perdu par le dédale de croyances abandonnées et reprises, mêlé à mille événements historiques et intimes, agité de pensées et d’émotions innombrables jusqu’à ce que, blessé mortellement, il paraisse, en sa longue agonie, dans le déchirement de tous les voiles, entrevoir la solution de toutes les détresses, pour s’éteindre comme distrait de cette terre par de formidables intuitions ; le prince Pierre, lourd, énorme, charnu et charnel comme un animal, mais sourdement miné des mêmes inquiétudes, épris et déçu des hommes, jeté hors de lui-même par les systèmes théosophiques et religieux qui l’attirent tour à tour, s’abandonne à ses poussées de foi et d’appétits, s’appesantit de la grosse sensualité de ses compagnons de club, jusqu’à ce que, dans le trouble de Moscou pris, s’affolant confondu dans la foule et frôlant la mort, il rencontre, parmi les prisonniers auxquels il s’appareille, un pauvre hère de doux soldat paysan qui le console et le met pour toujours en paix par quelques simples mots de bonté, crise dont il émerge presque guéri, heureusement marié, mais avec on ne sait quel désarroi brouillon encore dans un esprit mal dégrossi et aventureux aux hasards politiques. […] Ces hommes, que l’on pourrait être tenté de considérer comme des types, l’auteur les réalise jusqu’au bout par mille traits adventices, les implique dans des épisodes, de menues aventures, les complique et les diversifie de toute manière, les met sans cesse en opposition avec eux-mêmes, use en un mot non pas de la méthode romanesque habituelle qui consisterait à les rendre le plus plausibles et le plus nus possible, mais d’une sorte de méthode historique fictive dans laquelle le personnage est d’abord posé comme existant, puis est narrée une histoire sans omission d’écarts ou de contradictions. […] Dans cette œuvre poursuivie et dilatée au mépris de toutes les convenances du lecteur, anarchique de toutes ses parties, déréglée, informe, grise et vaste comme une nuée, éclate en toute sa force, en ce qui le constitue et le détermine, le génie primordial de Tolstoï : un énorme et montant flux de vie, un large embrassement de tous les êtres, confondant les imaginaires et les historiques, amalgamant en un effort unique, lent et simple, les accidents humains de tout un temps et les grandes catastrophes connues qui roulèrent sur cet humble fond, animant les chœurs de ce grand drame, leurs chefs et la masse obscure de ses victimes et de ses témoins, ce roman est un livre d’humanité, de nombre, de pâle épanouissement dense de vie.

989. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

VIII Mais, s’il ne nous est pas permis de substituer nos calculs au calcul divin, et de dire avec certitude : « Voici le soir, car la lumière baisse dans les esprits », il nous est permis de faire usage de notre raison, de notre expérience historique, et de conjecturer avec plus ou moins de vraisemblance si nous sommes au lever ou au coucher d’une époque, « l’heure qu’il est au cadran des âges. » Eh bien ! […] Digression historique XV Ici, permettez-moi une digression involontaire, mais que l’occasion amène sans que je l’aie cherchée sous ma plume. […] La passion de connaître cette femme historique l’emporta sur la timidité.

990. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Cette négation de tout le passé théologique, philosophique, poétique, architectural, historique même, de l’humanité antérieure à nous, leur est nécessaire ; car, sans cela, comment pourraient-ils se justifier à eux-mêmes cette progressivité indéfinie et continue de l’esprit humain, progressant de Brahma, de Job, de l’Égypte, de la Judée, de la Grèce et de Rome, jusqu’à Paris, au siècle de Louis XV, et au nôtre ? […] Nous sommes convaincu qu’il y a eu avant nous une humanité primitive tout aussi bien douée, et, disons franchement notre pensée, qui est en cela la pensée des livres sacrés, de toutes les grandes races religieuses ou historiques du globe, qu’il y a eu une humanité mieux douée de lumière, de vérités divines, de facultés et de bonheur que nous. […] En présence d’un tel monde et sous la loi historique immuable d’un tel destin, que reste-t-il à un homme de génie et de bonne volonté ?

991. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

En second lieu, un poème épique suppose un héros, un dieu, un personnage quelconque, historique ou fabuleux, accomplissant le fait chanté par le poète. Ici il n’y a point de héros, point de personnage historique ou fabuleux accomplissant le fait épique ; il y en a mille, groupés dans ces visions, sans fil qui les relie entre elles : les trois personnes de la Trinité, le Père, le Fils, l’Esprit-Saint, la Vierge, les saints, les anges, les divinités de l’Olympe, celles des enfers païens, les habitants de l’empyrée chrétien mêlés aux figures fabuleuses de l’empyrée antique. […] Ce sont les esprits habitants du troisième ciel ; il faudrait une clef historique à chaque nom pour comprendre ce que ces esprits disent au Dante.

992. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Aussi dès l’aurore des temps historiques voyons-nous, à côté et à l’encontre de la croyance universellement répandue d’une déchéance, poindre l’idée de l’évolution humaine vers le mieux. […] Le Christ et ses apôtres ne s’attribuèrent jamais la mission de faire une théorie complète du progrès historique ; mais ils durent se préoccuper de marquer la place de l’Évangile dans le développement général de l’humanité. […] II Des résumés historiques comme celui de M. 

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