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847. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Mais toutes les grandes et principales parties de l’ouvrage sont de Buffon ; il y a partout la haute main ; chaque volume porte son cachet et son empreinte par quelque page immortelle ; les derniers volumes ne se distinguent des précédents et ne se font remarquer que par une ordonnance plus exacte et une plus grande perfection d’ensemble. […] Cette haute dignité personnelle préside à toute la vie de Buffon. […] L’empreinte des plus hautes idées était sur sa physionomie. […] En faisant lire tout haut à son secrétaire ses manuscrits, au moindre arrêt, à la moindre hésitation, il mettait une croix, et corrigeait ensuite le passage jusqu’à ce qu’il l’eût rendu lumineux et coulant.

848. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Amyot n’avait pas une si haute portée ni une si ferme idée de lui-même. […] Parquoi Numa, pensant bien que ce n’étoit pas petite ne légère entreprise que de vouloir adoucir et ranger à vie pacifique un peuple si haut à la main, si fier et si farouche, il se servit de l’aide des dieux, amollissant petit à petit et attiédissant cette fierté de courage et cette ardeur de combattre, par sacrifices, fêtes, danses et processions ordinaires que il célébroit lui-même… Et plus loin, marquant que, durant le règne de Numa, le temple de Janus, qui ne s’ouvrait qu’en temps de guerre, ne fut jamais ouvert une seule journée, mais qu’il demeura fermé continuellement l’espace de quarante-trois ans entiers : Tant étoient, dit-il, toutes occasions de guerre et partout éteintes et amorties : à cause que, non seulement à Rome, le peuple se trouva amolli et adouci par l’exemple de la justice, clémence et bonté du roi, mais aussi aux villes d’alenviron commença une merveilleuse mutation de mœurs, ne plus ne moins que si c’eût été quelque douce haleine d’un vent salubre et gracieux qui leur eût soufflé du côté de Rome pour les rafraîchir : et se coula tout doucement ès cœurs des hommes un désir de vivre en paix, de labourer la terre, d’élever des enfants en repos et tranquillité, et de servir et honorer les dieux : de manière que par toute l’Italie n’y avoit que fêtes, jeux, sacrifices et banquets. […] Notez, chemin faisant, que d’expressions vives, parlantes, toutes fidèles, ou mieux que si elles étaient littéralement fidèles, car elles sont trouvées, une ville bouillante, attiédir cette fierté de courage, un peuple si haut à la main, se couler tout doucement ès cœurs des hommes, etc. : que de jolis mots qui sentent leur jet de veine et leur liberté naïve ! […] L’ordinaire d’Amyot est, sans contredit, le simple langage délié et coulant de la narration, ou encore ce langage mêlé et tempéré qui s’adresse aux passions plus douces : mais là où son modèle l’exige, il sait atteindre à « ce langage plus haut, plein d’efficace et de gravité, et qui, courant roide ainsi qu’un torrent, emporte l’auditeur avec soi ».

849. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Il écrivait plaisamment à sa femme, de Tours où il était en janvier 1816, à propos d’un bal de la haute société : « Si tu t’étais trouvée ici, aurais-tu été assez pure ? […] C’est ainsi qu’il se pose, dans sa défense devant l’avocat général Broé, comme étant du peuple et soldat : « Mais je suis du peuple ; je ne suis pas des hautes classes, quoi que vous en disiez, monsieur le président ; j’ignore leur langage et n’ai pas pu l’apprendre. […] J’ai imaginé aussi (car c’est mon plaisir d’opposer ces noms à la fois voisins et contraires), j’ai plus d’une fois, dans le courant de ce travail, imaginé à Paul-Louis Courier un interlocuteur et un contradicteur plus savant et non moins fait pour lui tenir tête, dans la personne de l’illustre et respectable Quatremère de Quincy, cette haute intelligence qui possédait si bien le génie de l’Antiquité, mais qui résistait absolument aux révolutions modernes. […] Pour traduire Hérodote, il faut unir certaines qualités de science et de simplicité : Un homme séparé des hautes classes, dit-il, un homme du peuple, un paysan sachant le grec et le français, y pourra réussir si la chose est faisable ; c’est ce qui m’a décidé à entreprendre ceci où j’emploie, comme on va voir, non la langue courtisanesque, pour user de ce mot italien, mais celle des gens avec qui je travaille à mes champs, laquelle se trouve quasi toute dans La Fontaine.

850. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Un ton de haute autorité et de raison s’y fait sentir en quelques endroits à travers la pompe. […] La haute fortune de Richelieu dut s’y prendre à deux fois avant de réussir : « Il y a des temps, dit-il énergiquement, où la fortune commence et ne peut achever son ouvrage. » La France, depuis la mort de Henri IV, était retombée du régime le plus florissant et le plus prospère dans la situation la plus misérable. […] Richelieu n’est pas un philosophe ; ce haut esprit, qui est surtout un bon esprit armé d’un grand caractère, paie tribut aux idées et aux préjugés de son temps ; il parle en maint endroit comme croyant aux présages, aux horoscopes et aux sortilèges ; il est superstitieux : mais aussi il est sincèrement religieux, il croit au don de Dieu qui s’étend sur certains hommes destinés à être des instruments publics de salut : si les fautes commises envers les personnes publiques lui paraissent d’un tout autre ordre que celles commises contre des particuliers, les fautes de ces personnes publiques elles-mêmes lui semblent aussi plus graves et de plus de poids, eu égard à la responsabilité et à l’étendue des conséquences. […] Nous montrant la reine Marie de Médicis forcée alors de quitter le Louvre, accompagnée de tous ses domestiques qui portaient la tristesse peinte en leur visage : « Il n’y avait guère personne, se plaît-il à faire observer, qui eût si peu de sentiment des choses humaines, que la face de cette pompe quasi funèbre n’émût à compassion. » Et parlant de l’odieux et barbare traitement infligé à la maréchale d’Ancre et de son supplice, quand elle fut condamnée comme sorcière à avoir la tête tranchée sur l’échafaud, et ensuite le corps et la tête brûlés et réduits en cendres, il a des paroles d’une haute pitié : Sortant de sa prison et voyant une grande multitude de peuple qui était amassé pour la voir passer : « Que de personnes, dit-elle, sont assemblées pour voir passer une pauvre affligée ! 

851. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

L’Hamlet, la Divine Comédie, la symphonie en ut dièse mineur, une cathédrale gothique, le Bon Samaritain de Rembrandt, sont des œuvres excitantes à un haut degré parce qu’elles sont tristes, et dénuées cependant de tristesse, parce qu’elles n’ont de la douleur que le choc et non la blessure. […] Ceci confirme pratiquement l’hypothèse que nous avons énoncée plus haut. […] Charles Henry [Charles Henry (1859-1926), physiologiste, chimiste, historien des mathématiques, a publié notamment en août 1885 dans la Revue contemporaine à laquelle collabore Hennequin comme on l’a dit plus haut, une « Introduction à une esthétique scientifique » (p. 441-469), qui vise une « esthétique des lignes » et une « esthétique des couleurs » héritières des travaux de Helmholtz, fondée sur l’expérimentation et la mathématisation. […] A partir de 1897, Henry sera directeur du Laboratoire de physiologie des sensations de l’Ecole Pratique des Hautes Études.

852. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Zola, s’ils comptent un nombre considérable d’êtres bas, infimes, incomplets, malades ou rudimentaires, ne comprennent aucune des âmes supérieures et choisies, complexes, délicates et rares, que montrent les hauts romanciers. […] C’est la pensée qui est le centre, et le corps la périphérie ; la science le démontre après que l’expérience l’a constaté, et au nom même de l’évolutionnisme, l’activité cérébrale étant la plus récente est la plus haute, et l’être qui pense le plus étant le plus noble, est le plus intéressant. […] Et cette lamentable fin encore du ménage artistique, cette noire existence misérable et débraillée dans l’atelier du haut de Montmartre, Claude se brutalisant, s’exaltant et s’affolant à l’impossible labeur de s’extorquer un chef d’œuvre, tandis que Christine s’attache à son amour tari, lutte contre le desséchement de cœur de son mari, finit par l’arracher à l’art auquel il tenait de toutes ses fibres, mais l’abîme et le lue du coup ; toute cette tragédie humaine donnant à toucher de pauvres chairs frissonnantes, à voir des larmes dans des orbites creux, et des mâchoires serrées, et des poings abandonnés, nous a enthousiasmé et ému. […] Toutes ces âmes sans doute sont rudimentaires, simples, sans développement vers le haut et sans complexité dans la profondeur.

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