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894. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Demandez aux martyrs chrétiens, aux grands saints, aux grands artistes, aux héros de l’humanité. […] La mort violente d’un héros, le malheur qui accable l’individu ne sont pas tragiques s’ils nous sont représentés comme des accidents isolés. […] Leurs héros tragiques ne sont pas des personnages déterminés, ils sont des entités, des principes en action, des forces agissantes, des passions qui marchent, s’entrechoquent et luttent. […] Le héros de notre rêve est même généralement plus noble et plus beau que la réalisation offerte à nos yeux en la personne de l’acteur affublé de brillants oripeaux. […] Sa passion convulsive, sa sensibilité surexcitée, son goût qui cherche des épices toujours plus fortes, son instabilité qu’il déguise en principes, et particulièrement le choix de ses héros et de ses héroïnes, ceux-ci considérés comme types physiologiques, — c’est tout un musée de malades. » Des malades !

895. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

« Pendant une nuit de ma détention au Luxembourg (1793) raconte Saint-Simon, Charlemagne m’est apparu et m’a dit : Depuis que le monde existe, aucune famille n’a joui de l’honneur de produire un héros et un philosophe de première ligne. […] Lamartine a eu beau le transporter et l’idéaliser dans les Alpes qui flottaient par dessus la Bresse à ses yeux de Mâconnais, Jocelyn qui a pour origine un épisode révolutionnaire de l’histoire de Milly, pour héros Dumont, curé de M. de Lamartine (et qui, non plus que lui, ne l’oublions pas, n’avait la foi) Jocelyn reste le poème de cette épaisseur même de tradition locale, chrétienne, sur laquelle est porté le génie de Lamartine (et dans laquelle il descend de vastes racines). […] L’épopée lamartinienne a pour thème la lutte contre cette même facilité dont Lamartine a passé pour le héros et la victime.

896. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Notre héros est descendu dans un puits où l’on voyait l’image de la lune. […] La Fontaine est parent de Rabelais et leurs héros ont un air de famille. Le héros dont il s’agit est tout Gaulois, et vous le retrouverez presque entier dans Scapin, Gil Blas et Figaro. […] Il n’a pas pris pour héros, comme Phèdre ou Esope, des êtres abstraits qui ne sont d’aucun temps et d’aucun lieu, sortes de porte-voix chargés de publier une morale.

897. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Il n’y aurait de plus intéressant que lui que les héros ; mais les héros écrivent peu ou ils n’écrivent qu’avec du sang humain, et, de plus, ils mentent ou font mentir beaucoup pour eux ; on ne peut donc s’y fier. Demandez à César la vérité sur les massacres qui suivirent la bataille de Munda, demandez à Alexandre les causes du meurtre de Parménion, demandez à Napoléon le secret de l’empoisonnement des pestiférés de Jaffa, de l’intrigue de Bayonne et des guerres d’Espagne ; ils ne vous répondront pas: les voyageurs sont des témoins, les héros sont complices. […] C’est le peuple des merveilles, des poëtes, des héros, de la magnificence, des amours, des fêtes, de la philosophie, des fables.

898. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Au lieu de signaler dans Lélia la véritable donnée génératrice, la pensée mi-partie saint-simonienne et mi-partie byronienne, au lieu d’y relever le côté original et senti, d’y blâmer le côté rebattu et déclamatoire, au lieu de saisir la filiation étroite de cette œuvre avec les précédentes de l’auteur, et d’apprécier cette Lélia au sein de marbre comme une sorte d’héroïne vengeresse de la pauvre Indiana, on a chicané sur une question de forme et d’école, on a reproché à l’écrivain l’abus du genre intime, comme s’il y avait le moindre rapport entre le genre intime et le ton presque partout dithyrambique, grandiose, symbolique ainsi qu’on l’a dit, et même par moments apocalyptique de ce poëme.

899. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

Il faut voir dans Corneille comment, dans les âmes des héros, pour produire les révolutions soudaines des nations, parmi les grands intérêts des États et les raisons de la plus sublime philosophie, peuvent trouver place et prendre rang de causes efficaces les incidents familiers de la vie réelle, les relations sociales, les affections de famille, les situations communes que créent à tous les hommes les croyances et les institutions communes de l’humanité.

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