J’aime à croire que les racines grecques et les racines latines importent plus aux Marges que les racines politiques. […] Ce mot essentiellement laid, cet accolement d’un pronom grec avec la moitié d’une désinence de datif pluriel latin, n’est-ce pas à faire frémir, si cela ne faisait pas rire ? […] La plupart des expressions scientifiques que nous employons en médecine sont dérivées du latin ou du grec. […] Il ne s’agit pas ici de distinguer entre les Grecs et les Latins ; leur héritage pour nous et leurs bienfaits se confondent. […] C’était l’avis des hommes de la Révolution, tout imprégnés de grec et de latin.
Le premier, quoique ayant plus écrit en grec et en latin qu’en français a été une des lumières de la Renaissance dans notre pays, et le conseil de François Ier dans ses fondations littéraires le dernier eut la gloire de tenter avant tous ce que Descartes devait réaliser moins d’un siècle après, l’émancipation de la philosophie ; sa mort même témoigna de la grandeur de ce service rendu à l’esprit humain. […] Henri Estienne, le plus illustre de cette famille, noble aussi par l’hérédité du savoir et du dévouement aux lettres, est plein de mouvement et d’enthousiasme dans ces ouvrages un peu confus, où il défend l’idiome français contre l’imitation italienne, et l’égale à la langue grecque mêlant toutes choses, la philologie et la polémique, la dissertation et les anecdotes contre les catholiques, sa passion de réformé et sa passion d’érudit. […] Cette intelligence qui a si peur de servir, qui se défie de la vérité à cause de sa ressemblance avec l’autorité, qui redoute si fort de se laisser surprendre, qui s’estime si au-dessus de son objet, voilà qu’un paradoxe sorti de quelque cerveau grec ou latin, un trait d’esprit, moins encore, un jeu de mots, a l’honneur de la mettre en branle, et de s’en rendre maître pour un moment ! […] Aussi Montaigne appelle-t-il le latin et le grec au secours de l’écrivain : « Et que le gascon y arrive, ajoute-t-il, si le françois n’y peut aller. » C’est la théorie de Ronsard. […] Le sens de ce grec francisé est transparent : Agnoste, inconnu ; Aléthée, vérité ; Éleuthère, liberté.
Homère, que nous ne connaîtrions peut-être pas sans Virgile, car l’Énéide a fait lire l’Iliade à tout ce qui n’était pas grec, Homère n’a pas été le modèle de Virgile. […] Nous avons dit que l’Énéide avait appris l’Iliade à tout ce qui n’était pas grec, mais ce n’est pas là assez dire : l’Énéide a fait de Rome le foyer du testament grec, et nous pouvons affirmer, nous autres modernes, que nous ne connaissons l’Archipel, qui ne fut rien, que par le Capitole, qui fut tout ! […] « Virgile n’a voulu faire — nous dit-il — ni une Théséide, ni une Thébaïde, ni une Iliade purement grecque, en beau style latin ; il n’a pas voulu purement et simplement faire un poème à la Pharsale, tout latin, en l’honneur de César, où il célébrerait avec plus d’éloquence que de poésie la victoire d’Actium et ce qui a précédé chronologiquement et suivi ; il est trop poète par l’imagination pour revenir aux chroniques métriques d’Ennius et de Nævius, mais il a fait un poème qui est l’union et la fusion savante et vivante de l’une et de l’autre manière, une Odyssée pour les six premiers livres et une Iliade pour les six autres… une Iliade julienne et romaine… » Ainsi, on le voit, le critique revient sans cesse à cette idée de fusion qui calomnie Virgile et qu’il a eue déjà en voulant caractériser son génie, mais il nous est impossible, à nous, d’admettre un tel procédé dans le poète, il nous est impossible de croire à cette ingénieuse, trop ingénieuse fusion des deux poèmes d’Homère en un seul. […] Il avait poussé l’amour de son article si loin, qu’il avait pris un professeur de grec, vrai grec, pour la beauté de son article !
Il a naïvement frémi d’admiration en expliquant Homère et les tragiques grecs, il a vécu de la vie des anciens, il a senti la beauté antique, il a connu la magie des mots, il a aimé des phrases pour l’harmonie des sons enchaînés et pour les visions qu’elles évoquaient en lui. […] Cet amour enthousiaste de la vie, de la religion et de la beauté grecques a été un des sentiments les plus remarquables de la dernière génération poétique. […] Anatole France, tout nourri de lettres grecques, se plaît à imiter dans l’expression des sentiments les plus modernes l’élégance du verbe antique, et que le style de M. […] Bonnard s’exprime dans la langue la plus pure, la mieux rythmée, la plus harmonieuse, dans une langue toute nourrie de grâce et de beauté grecques. […] Paul Bourget) aux littératures du Nord : elle me paraît le produit extrême et très pur de la seule tradition grecque et latine.
On s’habillait à la mode des Grecs et des Romains, on leur empruntait les usages de la vie ; et, chose plus étonnante, on les imitait jusque dans l’acte le plus naturel et le plus involontaire, jusque dans la mort. […] Nos guerres dans ce pays nous apportèrent, avec le mal de l’imitation, les livres grecs et latins qui devaient nous en guérir. […] Elle lisait Érasme dans l’original, elle savait assez de grec pour lire Sophocle, et elle prenait des leçons d’hébreu de Paul Paradis, surnommé le Canosse, qu’elle fit nommer professeur au Collège de France, fondé par François Ier. Quand Marguerite apprenait le grec, cet axiome, Grœcum est, non legitur, avait cours dans les écoles. Les moines disaient dans leurs sermons. « On a trouvé depuis peu une nouvelle langue qu’on appelle grecque.
Dans le cours d’histoire qu’il professa aux Écoles normales après la Terreur (1795), s’élevant avec raison contre l’abus qu’on a fait des études grecques et romaines, il va pourtant jusqu’à l’excès quand il dit : Oui, plus j’ai étudié l’Antiquité et ses gouvernements si vantés, plus j’ai conçu que celui des Mamelouks d’Égypte et du dey d’Alger ne différaient point essentiellement de ceux de Sparte et de Rome, et qu’il ne manque à ces Grecs et à ces Romains tant prônés que le nom de Huns et de Vandales pour nous en retracer tous les caractères. […] Dans son voyage aux États-Unis, étudiant les sauvages, il leur compare à tout instant les Grecs, ceux d’Homère, passe encore, mais aussi ceux de Sophocle et d’Euripide : « Les tragédies de Sophocle et d’Euripide me peignent presque littéralement, dit-il, les opinions des hommes rouges sur la nécessité, sur la fatalité, sur la misère de la condition humaine, et sur la dureté du Destin aveugle. » Volney, même quand il atteint la ligne juste, exagère toujours en la creusant trop ou en la dépouillant de ce qui l’accompagne. Il peut y avoir du rapport pour le fond du dogme entre le Destin des Grecs et celui des Peaux-Rouges d’Amérique ; mais, certes, de ces chœurs harmonieux de Sophocle il sort, il s’élève une moralité magnifique et sublime qui repousse tout rapprochement et qui ne permet une comparaison si étroite qu’à des esprits athées en littérature : j’appelle ainsi des esprits qui ôtent toujours à toutes choses la beauté intérieure, le mens divinior, le charme qui les revêt intimement et qui, en partie, les constitue. […] Les Grecs et les Romains aussi le préoccupent beaucoup ; il leur en veut de l’imitation violente qu’on en a faite, de ce soudain fanatisme qui a saisi toute une génération et qui tend à reproduire les haines farouches des anciennes nationalités.