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265. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Retiré à la campagne, à Bellegarde, au mois d’avril 1707, il épanche, dans ce premier moment de douleur, ses réflexions sur l’homme, sur la destinée, sur ce que sont pour nous fatalement la naissance, l’éducation première, sur le peu qu’est la raison dans notre conduite et sur l’inefficacité de ses conseils quand nos goûts et nos passions la contrarient ; et il se prend lui-même à partie pour sujet de démonstration et pour exemple. […] C’est ainsi que les disgraciés et ceux que frappait le malheur raisonnaient et réfléchissaient au xviie  siècle : tantôt, comme M. de Bellefonds, comme M. de Tréville, ils entraient dans la retraite et la pénitence pour n’en plus sortir73 ; tantôt, comme d’Antin, ils en essayaient seulement en secret pour retomber bientôt au courant de leurs goûts mondains et de leurs faiblesses : mais c’était déjà quelque chose que d’essayer. […] À la mort de Mansart, surintendant des Bâtiments, il demande au roi sa place, « sur le pied, dit-il, de m’être toujours mêlé de jardinage et d’avoir un peu de goût pour les maisons ». […] La goutte, les rhumatismes, les fatigues de la guerre, tout attaque la bonne santé dont j’ai toujours joui ; je vois le vide de la vie que je mène ; je ne désire aucune fortune plus que celle que j’ai ; je n’ai aucune démangeaison de me mêler des affaires publiques, et cependant je demeure courtisan, et je m’y ruine par toutes sortes de dépenses, plus encore pour satisfaire mon goût que pour plaire au roi, quoiqu’il en soit le prétexte. […] Placé d’abord à la tête d’un des Conseils institués par le Régent, membre du Conseil de régence, d’Antin ne cessa point d’avoir la direction des Bâtiments ; il y portait de la magnificence et du goût.

266. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Tel particulier va promener au sallon, son désœuvrement et son ennui qui y prend ou reconnoit en lui le goût de la peinture. Tel autre qui en a le goût, et n’y étoit allé chercher qu’un quard’heure d’amusement, y laisse une somme de deux mille écus. […] Il faut entendre les cris d’une famille honnête, lorsqu’un enfant entraîné par son goût se met à dessiner ou à faire des vers. […] Ajoutez à ces causes la dépravation des mœurs, ce goût effréné de galanterie universelle qui ne peut supporter que les ouvrages du vice, et qui condamnerait un artiste moderne à la mendicité, au milieu de cent chefs-d’œuvre dont les sujets auroient été empruntés de l’histoire grecque ou romaine. […] Convenez donc que la différence du portraitiste et de vous, homme de génie, consiste essentiellement en ce que le portraitiste rend fidèlement nature comme elle est, et se fixe par goût au troisième rang, et que vous qui cherchez la vérité, le premier modèle, votre effort continu est de vous élever au second… vous m’embarrassez ; tout cela n’est que de la métaphysique… eh grosse bête, est-ce que ton art n’a pas sa métaphysique ?

267. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Pour oser en offrir quelques-unes au jugement et au goût des artisans de nos faubourgs, il fallut les réduire aux proportions, les assujettir aux règles et aux bienséances de notre scène. […] Les gens de goût voyaient sans colère et sans crainte ces importations qu’ils jugeaient sans danger pour un public français. […] Mais, disent les romantiques, si Corneille, Racine et Voltaire sont excusables d’avoir traité des sujets antiques et païens, leurs successeurs ne le seraient pas de s’obstiner à exploiter ces mines tant fouillées, dont les produits, d’ailleurs, sont dédaignés par l’esprit et le goût du siècle. […] Ces vapeurs sont le délire de quelques orgueils adolescents, le vertige de quelques coteries enthousiastes, les sophismes de quelques esprits faux, et peut-être aussi les alarmes de quelques esprits timides, trop peu confiants dans la raison et le goût de notre nation. […] Son esprit, aussi judicieux que vif, ne peut être longtemps dupe de ce qui n’est pas fondé sur la raison et avoué par le goût ; et l’heureux génie de sa langue, qui a mérité qu’on dît, Ce qui n’est pas clair n’est pas français, ne tarde jamais à repousser l’obscurité ambitieuse, l’impropriété affectée et l’orgueilleuse incorrection.

268. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Son goût semblait ne le porter d’abord que vers la littérature proprement dite, vers l’érudition grecque et latine ; l’histoire en particulier l’attirait peu. […] C’était à la fois instinct d’un goût délicat, ennemi du commun, et sentiment d’un esprit équitable, qui lient compte des choses. […] Allié de Casimir Périer et de La Fayette, tour à tour il paya tribut à ces deux alliances ; mais par doctrine, par goût, il semble qu’il penche plutôt du côté de la dernière. […] M. de Rémusat, avons-nous dit, eut toujours un goût vif pour les drames, et il en a écrit plusieurs qui n’ont été ni représentés ni imprimés. […] Facile de talent, difficile de goût, il se disait que, pour les œuvres d’imagination, il ne faut produire que de l’excellent.

269. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

La guerre finie, leur régné devait commencer, leurs sociétés fleurir et se faire remarquer, prendre un nom et s’attirer tout à la fois deux réprobations, de deux côtés opposés, celle des mœurs dominantes ou des mauvaises mœurs, et celle du goût qui s’épurait malgré la corruption des mœurs, le goût et l’incontinence publique marchant ensemble sous la bannière du goût. […] Les savants y trouvaient ce goût exquis et délicat qui fait le prix de la science et sans lequel elle n’offre rien que de rebutant.

270. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

Il nous connaît, il nous a étudiés pendant trente ans, il ne s’illusionne point sur nos goûts intérieurs, sur la puissance de notre amour et sur les possibilités de nos mérites. […] Cependant est-elle si épaisse, cette théorie, si propre à satisfaire nos goûts ? […] et surmontent-ils nos goûts ? […] Mais il me semble qu’il n’a pas compris le sens du goût que nous aurions pour une belle œuvre.

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