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610. (1864) Études sur Shakespeare

On eût cru commettre une sorte de profanation en appliquant, à des drames qu’on jugeait informes et grossiers, les mots de génie et de gloire. Maintenant ce n’est plus de la gloire ni du génie de Shakespeare qu’il s’agit ; personne ne les conteste ; une plus grande question s’est élevée. […] Ce fut l’heureux sort de la Grèce que la nation tout entière grandit et se développa avec les lettres et les arts, toujours au niveau de leurs progrès et juge compétent de leur gloire. […] La gloire militaire ne pouvait séduire une femme méfiante. […] L’élan qui a fait la gloire d’un règne peut devenir bientôt la fièvre qui précipite les peuples dans les révolutions.

611. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

— La simplicité et le laisser-aller de son extérieur, dis-je, semblaient indiquer qu’il ne cherchait pas la gloire et qu’il n’en faisait pas grand cas. […] — La gloire est une chose singulière, dit Goethe. Un morceau de bois brûle, parce qu’il a du feu en lui-même ; il en est de même pour l’homme ; il devient célèbre s’il a la gloire en lui. […] La gloire et le monde sont ses uniques pensées ; qu’il brille, qu’il émeuve, qu’il éclate d’une façon quelconque, qu’on dise qu’un génie est né en Allemagne et que ce génie aspire évidemment au diadème intellectuel de son siècle, et il est content. […] Il pleure sa mort prématurée, comme celle d’un disciple ; il l’honore toute sa vie d’un culte de gloire et de souvenir.

612. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Des quatorze cents ans de notre histoire de France, les quelques années du Directoire, de ce gouvernement de corruption et de néant, sont assurément celles où la France (à part la gloire des camps) est le plus tristement tombée… S’il était permis à l’Histoire d’avoir des silences, elle pourrait se taire, de convenance ou de honte, devant tant d’ignominie et de nullité, et ce n’est pas un doigt qu’elle aurait à se mettre sur la bouche, comme le dieu Harpocrate, ce serait toute la main ! […] On vient, en suivant l’historien, de parcourir tant de misères, de sottises et de fétidités, qu’on a hâte d’en finir, — qu’on a hâte de voir enfin ce gouvernement d’infamie entièrement écrasé, entre la roue de la charrette révolutionnaire qui s’en va et celle du char de la Gloire militaire qui arrive ! […] Avec Carnot, ce curieux mélange de puritanisme et de bucolique ; avec Pichegru, ce héros qui déshonore son casque en le tendant à l’argent de la trahison ; avec La Révellière-Lépeaux, ce Quasimodo de la cathédrale sans cloches de la théophilanthropie et dont Cassagnac nous a levé une empreinte si dédaigneusement burlesque ; avec madame de Staël, qui ne l’éblouit pas et qu’il sait regarder dans ses beaux yeux sans perdre la fermeté d’un homme qui juge une femme et sait la placer un peu au-dessous de sa gloire, Cassagnac nous a donné un Babeuf qu’on ne connaissait pas, et qu’il faudra désormais apprendre quand il s’agira d’en parler. […] Si Granier de Cassagnac, avec un génie d’écrivain qui pouvait le mener droit à la gloire, n’est allé qu’à la renommée ; s’il n’a pas laissé derrière lui un de ces livres achevés, accomplis, qui barrent le flot du temps et que le temps n’emporte pas, c’est qu’il y eut évidemment pour lui un intérêt supérieur à l’intérêt de sa personne et de sa gloire. […] » Ce n’est pas là de la gloire littéraire, mais ne peut-on lui faire une gloire aussi avec cela ?

613. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Il avait l’esprit plus orné que ne l’ont la plupart des gens du monde ; enfin, mon cher frère, je voyais en lui un prince qui soutiendrait la gloire de la maison. […] Puis, quand il vit la guerre inévitable, il eut les pronostics les plus sombres ; il lui semblait que Frédéric s’était engagé dans un labyrinthe d’où il aurait peine à sortir, qu’il s’était remis de gaieté de cœur dans une situation extrême : « Je vois que dans peu, lui écrivait-il, tout ce qu’un État a de précieux sera abandonné à la fortune, les biens, la vie, la réputation, la gloire, la sûreté de la société. » Frédéric lui fait vingt réponses meilleures les unes que les autres : On commet, mon cher frère, deux sortes de fautes : les unes par trop de précipitation, les autres par trop de nonchalance. […] Il n’y a point de gloire, mon cher frère, qu’à surmonter de grandes difficultés ; dans le monde on ne tient aucun compte des choses qui ne coûtent aucune peine. […] À une séance de l’Académie française à laquelle il assistait, Marmontel, qui remettait le prix de vertu à la libératrice de Latude, dit, en se tournant vers la tribune où était placé le comte d’Oëls (le prince Henri) : « C’est en présence de la vertu couronnée de gloire que l’Académie a la satisfaction de remettre ce prix à la femme obscure… » On traitait presque le prince Henri comme Henri IV, comme quelqu’un de la famille.

614. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

Mme de Sévigné, au moment où le roi venait de la faire danser, disait à son voisin en se rasseyant : « Il faut avouer que le roi a de grandes qualités ; je crois qu’il obscurcira la gloire de tous ses prédécesseurs. » Quand M.  […] Il faut aimer le bonheur des peuples et la gloire du royaume, mais, dans la concurrence, il faut que la gloire cède au bonheur ; au lieu qu’un ministre de cette espèce fait toujours céder le bonheur à la gloire.

615. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Celle de Flandre est à la vue du roi, celle d’Allemagne est de même ; l’une et l’autre intéressent sa gloire particulière, de sorte que nous regardons ici que nos besoins ne peuvent être regardés que comme les troisièmes ; car, à l’égard de la Catalogne, j’espère que cette guerre va reprendre son train de défensive… Je dis donc que ne nous regardant ici qu’après les besoins de Flandre et d’Allemagne, M. le maréchal de Catinat est prévenu que soit en qualité de troupes, soit en nombre, le roi ne nous fournira que les troisièmes. […] Catinat put écrire au roi, le 22 juillet 1696 : « L’échange des otages va se faire aujourd’hui… C’est une grande affaire que d’avoir l’épine de cette guerre ici hors du pied, et je suis persuadé que ceux qui en parleront autrement et qui en contrôleront les conditions, c’est qu’ils ne la connaissent pas. » Il y a peu de militaires qui, pour tout chant de triomphe, à la fin d’une guerre où ils ont acquis de la gloire, se félicitent et félicitent leur pays d’avoir « une épine hors du pied ». […] Cela ne m’a pas fait de peine, et je suis disposé de la meilleure foi du monde et du fond de mon cœur de joindre mes soins, mes peines et les connaissances que je puis avoir, pour contribuer au rétablissement de la gloire et de la réputation des armes du roi. […] Mon cœur et mon imagination ne sont point blessés en aucune manière de la gloire que le maréchal de Villeroy pourra y acquérir, tant parce que je le crois un honnête homme et de mes amis, que parce qu’elle est inséparable du bien et de l’utilité du service.

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