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596. (1865) Du sentiment de l’admiration

Étrange illusion, indigne de vous, digne tout au plus de ceux qui, loin de ces sanctuaires des fortes études, s’imaginent découvrir le goût dans un manuel et se figurent qu’on peut se préparer à sentir et à comprendre le génie ! […] Mais de nos jours combien d’hommes, tristes fanfarons de scepticisme, se font un jeu cruel d’ébranler toutes les convictions, « Ubi soliludinem faciunt sapientiam appellant. » Le mot terrible de Tacite suffit à les définir ces artisans de ruines qui ne s’arrêtant devant aucun objet de croyance se gardent bien de ménager le culte du génie : race éternelle des iconoclastes en qui je reconnais ces soldats d’Alarik qui, violents contemplateurs des Phidias et des Praxitèle, trouvaient leurs plus doux plaisirs à décapiter les marbres des dieux. […] Dans ce monde des chefs-d’œuvre, il assiste de près au témoignage sublime de Polyeucte, il tressaille d’amour filial avec Antigone ou Rodrigue, d’amour fraternel avec Electre ; il apprend la pitié par l’infortune de Philoctète ; le dévouement de l’Orestie et le cinquième acte de Cinna lui enseignent l’oubli des injures ; l’amour des faibles dans la nature lui est inspiré par Virgile et Lafontaine, ces grands génies aimants. […] Car il aura vu distinctement, à travers les chefs-d’œuvre admirés, le plus sublime des spectacles, la vertu couronnée par le génie !

597. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

La conception moniste, esquissée par quelques intuitifs de génie, approfondie par des savants de large envergure, est l’une de celles qui nous permettent le plus d’espoir pour une interprétation nouvelle, à la fois plus large et plus réelle de la vie. […] Il est curieux de constater de quelle manière Zola procède dans sa théorie simpliste du monde, pour rétablir la part du génie chez l’artiste ; le postulat dont il se sert est assez faible. […] Si nous supposons, en effet, un expérimentateur pourvu de ce « sentiment particulier » jusqu’au génie, devenu lui-même sujet d’expérience pour un second expérimentateur, ce dernier pourra t-il analyser le génie de son sujet à l’aide de la méthode expérimentale ? […] Ce postulat me paraît donc en contradiction formelle avec la théorie générale, et le romancier ne l’a emprunté au physiologiste que parce qu’il sentait, de par sa propre intuition, l’insuffisance de sa méthode appliquée à l’art, et qu’il lui fallait trouver un débouché au génie individuel, moins facilement analysable que les nerfs et le sang. […] Celui qui a vécu largement une part quelconque de la vie peut en faire revivre, par sa seule puissance individuelle, une autre partie, et c’est là le propre du génie.

598. (1904) Zangwill pp. 7-90

Les animaux qui servent à la nourriture de l’homme de génie ou de l’homme de bien devraient être contents, s’ils savaient à quoi ils servent. […] Sur ce point, je m’écarte des conceptions, merveilleuses du reste de poésie et d’idéal, où s’éleva le génie grec. […] Plus il pénètre dans son art, plus il a pénétré dans le génie de son siècle et de sa race. […] Selon que cet esprit est passager, séculaire, éternel, l’œuvre est passagère, séculaire, éternelle, et l’on exprimera bien le génie poétique, sa dignité, sa formation et son origine en disant qu’il est un résumé. […] Car vraiment si l’historien est si parfaitement, si complètement, si totalement renseigné sur les conditions mêmes qui forment et qui fabriquent le génie, et premièrement si nous accordons que ce soient des conditions extérieures saisissables, connaissables, connues, qui forment tout le génie, et non seulement le génie, mais à plus forte raison le talent, et les peuples, et les cultures, et les humanités, si vraiment on ne peut rien leur cacher, à ces historiens, qui ne voit qu’ils ont découvert, obtenu, qu’ils tiennent le secret du génie même, et de tout le reste, que dès lors ils peuvent en régler la production, la fabrication, qu’en définitive donc ils peuvent produire, fabriquer, ou tout au moins que sous leur gouvernement on peut produire, fabriquer le génie même, et tout le reste ; car dans l’ordre des sciences concrètes qui ne sont pas les sciences de l’histoire, dans les sciences physiques, chimiques, naturelles, connaître exactement, entièrement les conditions antérieures et extérieures, ambiantes, qui déterminent les phénomènes, c’est littéralement avoir en mains la production même des phénomènes ; pareillement en histoire, si nous connaissons exactement, entièrement les conditions physiques, chimiques, naturelles, sociales qui déterminent les peuples, les cultures, les talents, les génies, toutes les créations humaines, et les humanités mêmes, et si vraiment d’abord ces conditions extérieures, antérieures et ambiantes, déterminent rigoureusement les conditions humaines, et les créations humaines, si de telles causes déterminent rigoureusement de tels effets par une liaison causale rigoureusement déterminante, nous tenons vraiment le secret du génie même, du talent, des peuples et des cultures, le secret de toute humanité ; on me pardonnera de parler enfin un langage théologique ; la fréquentation de Renan, sinon de Taine, m’y conduit ; Renan, plus averti, plus philosophe, plus artiste, plus homme du monde, — et par conséquent plus respectueux de la divinité, — plus hellénique et ainsi plus averti que les dieux sont jaloux de leurs attributions, Renan plus renseigné n’avait guère usurpé que sur les attributions du Dieu tout connaissant ; Taine, plus rentré, plus têtu, plus docte, plus enfoncé, plus enfant aussi, étant plus professeur, surtout plus entier, usurpe aujourd’hui sur la création même ; il entreprend sur Dieu créateur.

599. (1885) L’Art romantique

Delacroix, quoiqu’il fût un homme de génie, ou parce qu’il était un homme de génie complet, participait beaucoup du dandy. […] L’homme de génie a les nerfs solides ; l’enfant les a faibles. […] Bref, chacun, chez Balzac, même les portières, a du génie. […] Qui sut immédiatement britanniser son génie ? […] Le génie de l’action ne vous laisse plus de place parmi nous.

600. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

La paille rompue, est un trait de génie. […] Combien l’esprit didactique, si on vouloit l’en croire, ne retréciroit-il pas la carriere du génie ? […] Le bon goût, nous dira-t-on, est donc un obstacle au génie ? […] La mémoire est la nourrice du génie. […] S’il raconte la guerre des vautours, son génie s’éleve.

601. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

L’intelligence est un accident ; le génie est une catastrophe. […] Quand ils ont paru, le génie n’était plus religieux. […] Le génie augmente une aptitude, dessèche les autres. […] La conversion de Pascal tourmenta son génie et augmenta sa réputation. […] On compte sans le génie ou bien l’on espère que le génie consentira à être médiocre : c’est peut-être aller un peu loin.

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