D’autre part, nous ne nous prononçons jamais avec autant de hardiesse sur l’intensité d’un état psychique que lorsque l’aspect subjectif du phénomène est seul à nous frapper, ou lorsque la cause extérieure à laquelle nous le rattachons comporte difficilement la mesure. […] La voix s’altère ; les dents se serrent ou se frottent les unes contre les autres, et le système musculaire est généralement excité à quelque acte violent, presque frénétique… Les gestes représentent plus ou moins parfaitement l’acte de frapper ou de lutter contre un ennemi 7. […] William James 8, que l’émotion de la fureur se réduise à la somme de ces sensations organiques — il entrera toujours dans la colère un élément psychique irréductible, quand ce ne serait que cette idée de frapper ou de lutter dont parle Darwin, idée qui imprime à tant de mouvements divers une direction commune. […] Inversement, nous reconnaissons la sensation d’intensité extrême aux mouvements irrésistibles de réaction automatique qu’elle provoque de notre part, ou à l’impuissance dont elle nous frappe. […] Toutefois cette augmentation ne frappe guère la conscience et si l’on réfléchit à la précision avec laquelle nous distinguons les sons et les couleurs, voire les poids et les températures, on devinera sans peine qu’un nouvel élément d’appréciation doit entrer ici en jeu.
Ces traits vous voyez qu’ils frappent fort… dans le vide. […] On fait des œuvres en vue du public, pour le frapper, l’émouvoir, connaître son sentiment, le remuer ; et on veut supprimer le public quoique ou parce qu’il est désintéressé. — On l’interroge, mais on voudrait qu’il fût complaisant. […] Le public n’apprécie pas le faire de l’œuvre, il ne distingue même pas si elle est complète, il ne se rend compte que de l’émanation d’un sujet, pour ainsi dire, il en voit l’intention plutôt que l’exécution ; souvent des livres, des pièces, des tableaux qui le frappent, n’ont cependant aucune vie et périssent, parce qu’il n’a pas de raison suffisante pour y revenir, étant ensuite frappé à un degré égal par d’autres œuvres égales à celles-là. […] Ces traits, vous voyez qu’ils frappent fort… dans le vide. […] « Une jeune fille, belle et pure, mortifiée sous le joug de son père comme dans les austérités du cloître, retrouvant, à un moment donné, de puissantes facultés de dévouement et d’amour, puis se desséchant dans une longue attente, frappée d’un cruel mécompte et se transfigurant par un dernier sacrifice.
En vérité, plus je médite, plus je suis frappé de l’imprudence d’Hélénus. […] Pour les discours adressez aux chevaux, on m’allegue deux raisons qu’on croit triomphantes ; mais combien les esprits sont frappez différemment des mêmes choses ! […] Telle pensée qu’ils entendent tous les jours en françois sans y prendre garde, les frappe, les enleve, s’ils viennent à la rencontrer dans un auteur grec. […] Des soldats frappez de la perte, et qui périssent à milliers, sont-ils bien consolez d’entendre dire, qu’on aimeroit mieux qu’ils ne périssent pas. […] L’esprit balance en vain ; le coeur plus prompt décide ; il est prest à frapper, etc.
Encore sous le coup de son chagrin, Barnier, qui est pourtant un brave et honnête garçon, ayant trop bu d’eau-de-vie ce soir-là et poussé d’ailleurs par les plaisanteries des camarades, tente d’embrasser la sœur, qui le frappe au visage. […] Voici des expressions où la recherche de l’énergie et de la concision aboutit à l’étrangeté : « Au milieu d’un tapis vert, en plein soleil, le marbre d’une colonne brûlait de blanc devant un dattier31 » — «… Ses tumulus dévastés, volés de leur forme même 32. » — « Souvent de petits enfants s’arrêtaient brusquement (devant Pierre Charles), frappés par la séduction naturelle, instantanée, le coup de foudre de leur beau à eux dans un autre 33. » Voici des redoublements de synonymes, des insistances qui retiennent l’attention en nous présentant deux ou trois fois de suite la même idée ou la même image : « Une espèce de dénouement, de déliement de sa nature comprimée, refermée, resserrée…34 » — «… Suppliciés par tous les raccourcis de la chute, toutes les angoisses des muscles, toutes les agonies du dessin ; tableau muet de la souffrance physique contre lequel venait frapper, battre, expirer le chœur des douleurs de l’âme35 ». » — «… Rome et ses dômes détachés, dessinés, lignés dans une nuit violette, sur une bande de ciel jaune, du jaune d’une rose-thé36. » — Ce procédé est habituel à MM. de Goncourt, même dans leurs pages les plus sobres : c’est un continuel essayage d’expressions. […] MM. de Goncourt écriront donc : « Elle se mit à regarder, dans l’obscurité pieuse, des agenouillements de femmes, leur châle sur la tête…, des vautrements de paysans enfonçant de leurs coudes la paille des chaises…, un prosternement général…, des prières de jupes de soie et de jupes d’indienne côte à côte couchant presque leurs génuflexions par terre…40 » — Ils écriront, toujours dans le même système : « Cette sculpture des poses, des lassitudes, des absorptions… Le tableau la frappa surtout des confessions élancées de femmes qui, debout…41 » — «… Des adorations d’hommes et de femmes à quatre pattes…42 » — « Et je ne voyais qu’une sauvage et toute brute idolâtrie, un peu de la ruée de l’Inde sous une idole de Jaggernat43. » — « Un mur de colère, gâché de couleurs redoutables, plaquait au fond l’avalanche et le précipitement des damnés…44 » — « Sur l’escalier se faisait l’ascension lente et balancée, la montée sculpturale des Romaines…45 » — « Leurs femmes étaient là… immobilisées… dans un arrêt qui hanchait 46. » Notons, pour finir, l’emploi presque continuel, dans le récit, de l’imparfait au lieu du passé défini, l’imparfait ayant quelque chose d’indéterminé et prolongeant l’action pour nous permettre de la mieux voir et de la suivre.
Aux broussailles et aux forêts qui hérissaient le front de la planète comme une chevelure sauvage, succède une douce et ondoyante chevelure de moissons et de prairies ; les fleuves obéissent à la voix et reçoivent de nouveaux lits ; les torrents vagabonds dans la plaine se resserrent entre des rivages escarpés comme une digue de rochers ; de nouvelles lignes d’eau se dessinent, et sillonnent la terre de leurs bassins et de leurs canaux ; les montagnes s’aplanissent ; les rochers, frappés par la verge des sondeurs, laissent jaillir des fontaines ; et l’homme, devenu créateur de lumière, éclaire dans la nuit la face de sa planète, qui, parée de ses lanternes, se promène silencieuse parmi les ténèbres de l’espace. […] Supposez un poète frappé de cette grande ruine du monde social, comme Boulanger suppose que les générations post-diluviennes furent frappées, après le cataclysme du monde physique, d’un effroi qui, suivant lui, a donné naissance à toutes les religions. […] Il devait donc arriver que les âmes les plus frappées de la tristesse de cette Humanité livrée au hasard, et de cette incertitude de l’esprit humain en présence d’une science en apparence purement critique et négative, rechercheraient les solutions chrétiennes, et se rapprocheraient des hommes qui souffrirent les mêmes maux de l’âme dans une époque analogue de l’Humanité.
« La plupart des hommes, écrivait en 1800 Mme de Staël, épouvantés des vicissitudes effroyables dont les événements politiques nous ont offert l’exemple, ont perdu maintenant tout intérêt au perfectionnement d’eux-mêmes et sont trop frappés de la puissance du hasard pour croire à l’ascendant des facultés intellectuelles6. » Les Renés avaient tremblé pour leur tête ; ils avaient été obligés de simuler les allures des sans-culottes, de « se dégrader, pour n’être pas poursuivis ». […] Afin de comprendre ces phénomènes sociaux qui frappaient et détruisaient comme la foudre, les explications ordinaires devenaient insuffisantes ; les esprits terrorisés ne les attribuaient pas à des causes naturelles, mais à des causes mystérieuses, à des conspirations, à des complots ténébreux, à l’or de Pitt, du duc d’Orléans, à des causes tenant du miracle. […] René, frappé par le malheur dès le ventre de sa mère et repoussé par son père, ne rencontre de l’affection que chez sa sœur Amélie : il récompense la tendresse qu’elle lui prodigue dès l’enfance en ne la mentionnant que pour dramatiser son récit, pour se mettre en relief et se faire adresser les compliments que décemment il ne pouvait se dire à lui-même. […] On signait à Paris, en 1801, une pétition « tendant à obtenir du gouvernement que le gros Bourdon de Notre-Dame puisse être sonné pour annoncer les fêtes publiques… Il est temps de faire jouir notre oreille de cette harmonie céleste, qui doit rappeler à tous les vrais Français de bien doux souvenirs… Quel bonheur que le gros Bourdon ait échappé à la proscription qui frappe depuis dix ans toutes les sonneries de la République ».