Il est démontré que, si Corneille doit beaucoup à Guillem de Castro, au contraire Diamante a calqué sur l’œuvre de Corneille la donnée générale de sa pièce, les principales scènes et une foule de détails. […] En général, c’est le lieu-commun qui saisit la foule, et par la foule il faut entendre tous les publics, aussi bien lettrés qu’illettrés. […] Au dernier acte, qui est très théâtral comme le premier, ce pêcheur le rencontre en public, le reconnaît, l’embrasse devant la foule, en l’appelant son fils. La foule s’étonne, s’émeut : on prend le vieillard pour un imposteur qui veut se réclamer de l’illustre Carlos afin de profiter de son crédit, et on le fait jeter en prison, un peu vite, malgré ce que Carlos peut dire pour confirmer son témoignage. […] Ces circonstances et d’autres nous expliquent comment le public du temps se porta en foule aux représentations de Nicomède, y trouvant des allusions auxquelles l’auteur n’avait pas songé.
Pourquoi attire-t-il la foule, une foule élégante, chaque fois qu’il y a une telle solennité ? […] Ce dernier sentiment superbe, par lequel il se séparait hautement de la foule des poètes et se plaçait d’autorité dans le groupe des maîtres, il l’a rendu une fois, entre autres, avec une admirable largeur : Apollon à portes ouvertes Laisse indifféremment cueillir Les belles feuilles toujours vertes Qui gardent les noms de vieillir ; Mais l’art d’en faire des couronnes N’est pas su de toutes personnes, Et trois ou quatre seulement, Au nombre desquels on me range, Peuvent donner une louange Qui demeure éternellement.
À tout le moins, l’absence de gaieté est l’écueil où va se perdre la foule des comédies, pendant que le poète, qui comprend l’essence de son art, lutte contre le courant qui l’y entraîne. […] Que si enfin, animé par une veine heureuse de folie, le poète comique se joue de ses propres inventions, les exagérant à dessein et transformant ses portraits en caricatures, alors il s’élève jusqu’à la farce, et les critiques en chœur s’écrient qu’il dégrade et avilit son talent, qu’il écrit pour la foule, et que Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe On ne reconnaît plus l’auteur du Misanthrope. […] Quoi de plus amusant pour l’imagination que cette multiplicité d’incidents bizarres, cette foule de ressources inattendues, cet imbroglio qui se reforme à l’instant où on le croit prêt à s’éclaircir52 ?
Il a compté les barres de fer rongées par la rouille, les feuilles de plomb ridées et recroquevillées qui craquent et se soulèvent étonnées sous le pied qui les foule, les nids d’oiseaux délabrés et empilés dans les recoins des madriers moisis, la poussière grise entassée, les araignées mouchetées, indolentes, engraissées par une longue sécurité, qui, pendues par un fil, se balancent paresseusement aux vibrations des cloches, et qui, sur une alarme soudaine, grimpent ainsi que des matelots après leurs cordages, ou se laissent glisser à terre, et jouent prestement de leurs vingt pattes agiles, comme pour sauver une vie. […] Si dans cette foule pressée et salie vous découvrez un frais visage de jeune fille, cette lumière artificielle le charge de tons excessifs et faux ; elle le détache sur l’ombre pluvieuse et froide avec une auréole étrange. […] Vous insisterez infiniment sur le joli embarras des fiancées, sur les larmes des mères, sur les pleurs de toute l’assistance, sur les scènes réjouissantes et touchantes du dîner ; vous ferez une foule de tableaux de famille, tous attendrissants, et presque aussi agréables que des peintures de paravents.
Nous disons d’avance, avec la même franchise, que ces qualités n’existent pas pour nous dans son premier livre de l’Histoire de la Révolution, livre superficiel et jeune, où rien n’est pesé, où rien n’est approfondi, où rien n’est senti, où rien n’est peint ; espèce d’estampe mal coloriée de l’esprit, des choses, des hommes de la Révolution française, semblable à ces portraits de fantaisie que l’on colporte à la foule sur nos places publiques, et qu’on lui donne pour l’image de ses grands capitaines, de ses grands orateurs ou de ses grands événements. […] « Madame Bonaparte était une véritable femme de l’ancien régime, dévote, superstitieuse, et même royaliste, détestant ce qu’elle appelait les jacobins, lesquels le lui rendaient bien ; ne recherchant que les gens d’autrefois, qui, rentrés en foule, comme nous l’avons dit, venaient la visiter le matin. […] Tous les caprices de l’opinion, excités par les mille stimulants de la presse quotidienne, et réfléchis dans un parlement où ils prennent l’autorité de la souveraineté nationale, composent cette volonté mobile, tour à tour servile ou despotique, qu’il est nécessaire de captiver pour régner soi-même sur cette foule de têtes qui prétendent régner !
L’aspect de cette constante détresse qui lui était généreusement cachée, la comparaison qu’il fut forcé d’établir entre ses sœurs, qui lui semblaient si belles dans son enfance, et les femmes de Paris, qui lui avaient réalisé le type d’une beauté rêvée, l’avenir incertain de cette nombreuse famille qui reposait sur lui, la parcimonieuse attention avec laquelle il vit serrer les plus minces productions, la boisson faite pour sa famille avec les marcs du pressoir, enfin une foule de circonstances inutiles à consigner ici, décuplèrent son désir de parvenir et lui donnèrent soif des distinctions. […] Joignez-y l’amour, cette reconnaissance vive de toutes les âmes franches pour le principe de leurs plaisirs, et vous comprendrez une foule de bizarreries morales. […] Mais la constante émanation de son âme sur les siens, cette essence nourrissante épandue à flots comme le soleil émet sa lumière ; mais sa nature intime, son attitude aux heures sereines, sa résignation aux heures nuageuses ; tous ces tournoiements de la vie où le caractère se déploie, tiennent, comme les effets du ciel, à des circonstances inattendues et fugitives qui ne se ressemblent entre elles que par le fond d’où elles détachent, et dont la peinture sera nécessairement mêlée aux événements de cette histoire ; véritable épopée domestique, aussi grande aux yeux du sage que le sont les tragédies aux yeux de la foule, et dont le récit vous attachera autant pour la part que j’y ai prise, que par sa similitude avec un grand nombre de destinées féminines.