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19. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Puis, ce point de vue s’est étendu si bien que l’on a négligé de parti pris la part cependant visible des grands hommes dans les grands actes publics et que le mérite de l’accomplissement de ceux-ci a été attribué aux foules humaines qui les ont exécutés, forcées souvent, ignorantes toujours. […] L’artiste et le héros sont à la fois les causes et les types du mouvement qu’ils provoquent ; ils le provoquent, le qualifient et l’orientent ; la foule le fait ; la foule et l’artiste, la foule et le héros le forment parce qu’ils participent entre euxej. […] Une direction, un type, un entreprenant, un but, peuvent apparaître seuls et sans suite : une force, une variété animale, une masse d’hommes actifs, une volonté ne peuvent être conçus indéterminés ; le rapport qui unit ces deux facteurs est le même que celui qui relie la forme et la substance d’Aristote ; c’est un rapport de plasticité, de formation, d’assimilation, d’imitation enfin ; des facteurs que cette relation unit en un ensemble, c’est le premier en fonction de temps qui est le générateur et qui participe le plus largement à l’existence ; comme un nombre produit ceux qui le suivent et se multiplie en eux, un grand homme s’agrège la foule et grandit par sa masse. […] Dans l’esthopsychologie des littérateurs, dans la psychologie biographique des héros, ces hommes sont mis debout analysés et révélés par le dedans, décrits et montrés par le dehors, reproduits à la tête du mouvement social dont ils sont les chefs, érigés, eux et leurs exemplaires, un et plusieurs, individus et foules, en des tableaux qui, basés sur une analyse scientifique nécessitant le recours à tout l’édifice des sciences vitales, et sur une synthèse qui suppose l’aide de toute la méthode historique et littéraire moderne, peuvent passer pour la condensation la plus haute et la plus stricte de notions anthropologiques que l’on puisse accomplir aujourd’hui. […] Comme on l’a déjà suggéré, Hennequin prend le contrepied d’une historiographie héritière de Michelet, et d’une sociologie naissante symbolisée par Le Bon, qui accorde une place de premier plan au « peuple » ou aux « foules », quitte à en faire une description très idéologique, passant par la criminalisation ou l’interprétation pathologique.

20. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface des « Burgraves » (1843) »

Les trois mille Océanides éplorées lui apparaissaient en foule dans les nuées au-dessus du Pinde ; dans les cent vallées de l’Œta il retrouvait l’empreinte profonde et les coudes horribles des cent bras des hécatonchires tombés jadis sur ces rochers, il contemplait avec une stupeur religieuse la trace des ongles crispés d’Encelade sur le flanc du Pélion. […] Ainsi, la réalité qui éveille l’intérêt, la grandeur qui donne la poésie, la nouveauté qui passionne la foule, voilà sous quel triple aspect la lutte des burgraves et de l’empereur pouvait s’offrir à l’imagination d’un poète. […] Poser de cette façon devant tous, et rendre visible à la foule cette grande échelle morale de la dégradation des races qui devrait être l’exemple vivant éternellement dressé aux yeux de tous les hommes, et qui n’a été jusqu’ici entrevue, hélas ! […] Chaque jour cette foule sympathique et intelligente qui accourt si volontiers au glorieux théâtre de Corneille et de Molière, vient chercher dans cet ouvrage, non ce que l’auteur y a mis, mais ce qu’il a du moins tenté d’y mettre. […] Le théâtre doit faire de la pensée le pain de la foule.

21. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

. — Cérémonies d’un jour qui gît au sein inconscient de la foule : presque un Culte ! […] Son jeu reste inhérent au passé, tel que le répudierait, à cause de cet intellectuel despotisme, une représentation populaire, la foule y voulant, selon la suggestion des arts, être maîtresse de sa créance. […] Toujours ce héros, qui foule une brume autant que notre sol, se montrera dans un lointain que comble la vapeur des plaintes, des gloires, et de la joie émises par l’instrumentation, reculé ainsi vers des commencements. […] Il m’avait troublé jusqu’à l’âme ; il introduisait en moi des sentiments complexes, en foule, que je ne saurais plus analyser, mais qui me faisaient vivre dans un état de maladif énervement dont je me rappelle très bien la fiévreuse ivresse. […] Il est quatre heures ; le Soleil d’été brille, en plein ciel ; par les avenues ombragées, la foule est montée ; on n’entendait que le bruit des pas ; la foule confusément se mêle, errant sur la terrasse d’où l’horizon apparaît immensément.

22. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Le grand art en tout est trop haut pour la foule ; il faut qu’elle grandisse quelquefois un siècle ou deux pour former ce jury du génie qui juge enfin avec connaissance de cause, sans appel et pour la postérité. […] L’hymne qu’ils chantent est le fameux trio des masques ; c’est un de ces rares morceaux qui, par la clarté de la forme, par l’élégance et la profondeur des idées, émeuvent la foule et charment les doctes. […] « Un cri perçant s’élève tout à coup du milieu de cette foule enivrée. […] Or, en fait d’art, la sensation est dans la foule, mais le jugement est dans l’élite. […] Les paroles sont un poids de plomb que le musicien est obligé, à cause de la foule, d’attacher à ses notes pour les retenir à terre et pour les empêcher de s’envoler trop haut, trop loin dans l’espace.

23. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Une foule d’académies, d’universités, existaient dans les grandes villes d’Italie. […] Après le siècle de Léon X, après l’Arioste et le Tasse, leur poésie a rétrogradé ; mais ils ont eu Galilée, Cassini, etc. ; et nouvellement encore, une foule de découvertes utiles en physique les ont associés au perfectionnement intellectuel de l’espèce humaine. […] Une foule d’historiens en Italie, et même les deux meilleurs, Guichardin et Fra-Paolo, ne peuvent, en aucune manière, être comparés, ni à ceux de l’antiquité, ni, parmi les modernes, aux historiens anglais. […] La foule d’improvisateurs assez distingués qui font des vers aussi promptement que l’on parle, est citée comme une preuve des avantages de l’italien pour la poésie. […] Les gradations de la pensée, les nuances du sentiment, ont besoin d’être approfondies par la méditation ; et ces paroles agréables qui s’offrent en foule aux poètes italiens pour faire des vers, sont comme une cour de flatteurs qui dispensent de chercher, et souvent empêchent de découvrir un véritable ami.

24. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

Les personnes, dis-je, qui voudront bien consulter ces excellents écrits 6, y trouveront expliqués une foule de points sur lesquels j’ai dû être très succinct. […] Les vastes recueils latins de Lightfoot, de Schoettgen, de Buxtorf, d’Otho, contenaient déjà à cet égard une foule de renseignements. […] C’est ainsi que « l’Évangile selon Matthieu » se trouva avoir englobé presque toutes les anecdotes de Marc, et que « l’Évangile selon Marc » contient aujourd’hui une foule de traits qui viennent des Logia de Matthieu. […] Outre les évangiles qui nous sont parvenus, il y en eut une foule d’autres prétendant représenter la tradition des témoins oculaires 23. […] J’admets volontiers que cet admirable récit de la Passion renferme une foule d’à peu près.

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