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629. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

La théologie de l’auteur des Pensées, à la bien voir et en la dégageant des accessoires qui n’y tiennent pas essentiellement, porte en plein sur la nature morale de l’homme ; c’est là sa force et son honneur. […] Bourdaloue était vif, il était prompt, impatient peut-être ; quelques mots de son biographe, qui paraît l’avoir bien connu, laissent entrevoir qu’il y avait de la fougue dans son tempérament, et que, dans l’art de maîtriser son cœur, il déploya plus de force encore que dans l’art de maîtriser sa pensée. La régularité sévère, la facture savante d’une œuvre d’art n’est qu’au regard superficiel le signe d’un équilibre imperturbable de l’âme ; les plus passionnés sont quelquefois les plus austères, et la force qui règle peut avoir le même principe que la passion qui entraîne et que l’enthousiasme qui crée. »— Si M. 

630. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Soumet, sur le ton solennel d’un prône ou d’un ordre du jour : « Les lettres sont aujourd’hui comme la politique et la religion ; elles ont leur profession de foi, et c’est en ne méconnaissant plus l’obligation qui leur est imposée que nos écrivains pourront se réunir, comme les prêtres d’un même culte, autour des autels de la vérité ; ils auront aussi leur sainte alliance ; ils n’useront pas à s’attaquer mutuellement des forces destinées à un plus noble usage ; ils voudront que leurs ouvrages soient jugés comme des actions, avant de l’être comme des écrits ; ils ne reculeront jamais devant les conséquences, devant les dangers d’une parole courageuse, et ils se rappelleront que le dieu qui rendait les oracles du temple de Delphes, avait été représenté sortant d’un combat. » Une fois qu’on en venait à un combat dans les formes avec les idées dominantes, on était certain de ne pas vaincre. […] Tant soit peu injuste par représailles, elle eut ses prédilections et ses antipathies : Casimir Delavigne et surtout Béranger furent ses poètes ; et ils le méritaient bien sans doute ; mais d’autres aussi méritaient quelque estime, qui, après des succès de salon, n’obtinrent du public que peu d’attention et force plaisanteries. […] Mais après la chute de leur théorie, un rôle assez beau resterait encore aux jeunes talents qui, désabusés d’une vaine tentative, abjurant le jargon et le système, se sentiraient la force d’entrer dans de meilleures voies, et de faire de la poésie avec leur âme.

631. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Il faut inventer des difficultés et des obstacles, imposer à son activité des conditions restrictives, se lier par des conventions, sauter le fossé quand le pont est à deux pas, se hisser à la force du bras sans autre objet que de redescendre dès qu’on sera en haut : tout cela est artificiel, mais cela développe toutes les énergies physiques. […] Le résultat utile, ce ne sera pas d’avoir passé, ce sera d’avoir sauté, et ramassé sa force dans un effort qui l’accroît. […] Aussi quand on avait à écrire, comme lorsqu’on parlait, on y allait de tout son cœur et de tout son esprit ; on faisait donner toutes ses forces, et par cet élan vigoureux et spontané, on trouvait naturellement les mots qui représentaient les choses.

632. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

La force des choses l’amène. […] Les poètes nouveaux sont fidèles à leur siècle ; de là leur force. […] Un autre ami des lutteurs et des tours de force, Léon Cladel, y introduit le style tarabiscoté.

633. (1887) Discours et conférences « Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand »

On se plaint souvent que la force devienne l’unique reine du monde. Il faudrait ajouter que la grande force de nos jours, c’est la culture de l’esprit à tous ses degrés. […] Allez de l’avant avec courage ; ne supprimez rien de votre ardeur ; ce feu qui brûle en vous, c’est l’esprit même qui, répandu providentiellement au sein de l’humanité, est comme le principe de sa force motrice.

634. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

La chimérique mélancolie qui alanguissait les esprits aux environs de 1890, et depuis une dizaine d’années, les passe-temps où ils se plaisaient, aucune de leurs occupations ni des émotions dont ils s’ampoulaient, n’étaient susceptibles de convenir à de frémissants écrivains auxquels leurs pères ont su transmettre un peu de ces haines généreuses qui les animaient avec force pendant la guerre et après la Commune. […] Les puissantes statues de Rodin, en qui la sève des terres paraît frémir encore, malgré leur force compacte et sombre, la mystérieuse torpeur du marbre ou de l’airain, le Saint-Jean, le Baiser, les Bourgeois de Calais, voilà aussi de surprenants éducateurs ! […] C’est que cette ivresse militaire qui exultait naguère si fortement nos pères s’est transformée chez nous en une sorte de culte de la force, auquel personne ne pourra se soustraire.

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