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591. (1885) L’Art romantique

Je me retirai conquis par tant de noblesse et de douceur, subjugué par cette force spirituelle, à qui la force physique sert, pour ainsi dire, de symbole, comme pour illustrer encore la vraie doctrine et la confirmer par un nouvel argument. […] car rien n’est vrai que la force, qui est la justice suprême. […] Mais cela dépasserait les forces vertueuses du public de M.  […] Il faut que la littérature aille retremper ses forces dans une atmosphère meilleure. […] La force l’enchante et l’enivre ; il va vers elle comme vers une parente : attraction fraternelle.

592. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 484-486

On y voit un Philosophe Chrétien, assez ferme pour ne pas craindre de mettre dans toute leur force les argumens de ses Adversaires. […] Qu’on vienne nous dire, après cela, qu’un tel homme avoit des sentimens opposés aux Vérités, qu’il soutient avec tant de force & de clarté.

593. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Je l’y encourageai de toute la force de ma conscience. […] L’exaltation m’inspira cette réponse ; mais, je l’avoue, si j’avais prévu ce que j’ai souffert à dater de ce jour, je n’aurais pas eu la force de refuser l’offre que M.  […] C’est là, selon nous, le secret de cette douleur sans proportions et sans bornes, dont l’expression dans ses mémoires excite presque la pitié à force d’exagération. […] ne sait pas même les respecter ; il n’y a ni passé ni avenir pour lui ; son âme impérieuse et méprisante ne veut rien reconnaître de sacré pour l’opinion ; il n’admet le respect que pour la force existante. […] Peu d’écrivains de cette époque se firent scrupule d’adorer au moins d’une génuflexion et d’un enthousiasme le maître de la force.

594. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Quand ses héros ne sont pas comiques ou n’étonnent pas le lecteur par une perfidie tellement marquée qu’elle force l’attention et, dans une certaine mesure, l’intérêt, Dickens faiblit et échoue dans l’emploi de son art particulier de délinéation conversationnelle. […] C’est qu’il faut à toute force, et même contre la vraisemblance, que le spectateur ne puisse se tromper sur l’impression qu’on veut lui causer, et quand Gavarni et Grévin manquent à cette règle du grotesque forcé, c’est qu’ils deviennent peintres de mœurs et cessent d’être de véritables caricaturistes. […] Il n’admire ni la force de l’esprit qu’il ne comprend pas, ni la force de la volonté, la belle dureté de caractère, l’invincible ténacité de desseins dont ses compatriotes eussent dû cependant lui présenter d’impérieux exemples. […] Il marchait dans la vie, droit devant lui, avec alacrité et décision, ne réfléchissant jamais longtemps, prêt à tout entreprendre, ne ménageant guère ses forces, n’usant ni de prudence, ni de patience, ni de longs calculs. […] Il avait épuisé ses forces vitales, ses derniers livres portaient la trace de ses fatigues dans leur humeur morose ; il succomba en 1870 à une hémiplégie cérébrale, ayant amèrement ressenti plus d’émotions, plus de sympathies et de haines, sinon de plus hautes, que les autres hommes.

595. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Leçon dans toute la force du terme et dans tous les sens du mot ! […] La tendresse de l’âme est proportionnée à sa force, et sa force l’est à son dépouillement. […] Une force irrésistible fait cheminer à travers les siècles Ahasvérus, l’homme éternel. […] sur sa force et sur sa faiblesse ? […] C’est une grande force pour elle de ne point compter sur sa force, et de pouvoir néanmoins se promettre la victoire.

596. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Renart vient rôder à l’entour tout doucement, le col baissé ; mais la force des pieux et des épines l’arrête. […] Le Coq rêve donc qu’il voit je ne sais quelle chose qui est dans le courtil et qui lui vient dessus pour le revêtir : ce je ne sais quoi a une peau rousse, blanche sous le ventre ; le bord est en os, le col est étroit, et force lui est, après y être entré, de s’en revêtir au rebours, c’est-à-dire de telle sorte que sa taille aille à l’autre extrémité de l’habit et que sa queue reste dans le collet. […] Renart sourit de la condition et lui dit, en touchant toujours la corde filiale : « Chante, cousin ; je saurai bien si Chanteclin mon oncle te fut de quelque chose. » Chanteclair chante ; mais il chante comme il dormait d’abord, un œil clos et l’autre ouvert, et il regarde souvent de côté : « Ce n’est pas cela, dit Renart, Chanteclin chantait autrement, tout d’un trait, les yeux fermés, tant qu’on l’entendait par-delà les plessis. » À ce coup Chanteclair n’y tient pas ; il commence sa mélodie en fermant les yeux de toutes ses forces, et Renart, s’élançant par-dessus un chou rouge, le prend au cou et l’emporte. […] Certes elle était malade, en effet, et en danger de se dissoudre, cette société finissante du Moyen Âge, qui engendrait ce dernier Roman de Renart comme peinture et expression d’elle-même : pourtant elle avait des ressources encore, de la force héroïque et des exemples à opposer tout à côté à cette corruption des subtils et des lâches. […] Pourtant un des blessés mourants parmi les Lacédémoniens, le nommé Othryades, se soulevant sur le champ de bataille ensanglanté et se voyant seul, eut assez de force et de souffle encore pour dépouiller un vaincu, pour dresser un trophée, chose sacrée et qu’avaient oubliée les autres, et sur le bouclier il écrivit de son sang : « La victoire est aux Lacédémoniens. » Puis il expira.

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