. — Les Fleurs boréales (1880). — Les Oiseaux de neige (1880). — La Légende d’un peuple (1888).
. — Fleurs de mes jours (1900).
Quand on approche d’elles pour mesurer de l’œil la grandeur de leurs pis gonflés de lait, qu’on trait deux fois par jour sans tarir la source, elles relèvent leurs larges têtes, ornées plutôt qu’armées de leurs cornes que le joug n’humilie jamais ; elles laissent pendre, comme une draperie à festons redoublés sous leurs cous, leurs larges fanons jusqu’à leurs genoux luisants du poli de l’herbe sur les jointures ; elles ruminent lentement, par un mouvement horizontal et distrait de leurs mâchoires, la touffe d’herbe et de fleurs broyées dont les brins pendent des deux côtés de leur bouche, et elles vous regardent d’abord avec étonnement, puis avec familiarité, puis avec amour. […] C’était la plus belle et la plus pittoresque population de tout âge et de tout sexe qu’il fût possible d’imaginer pour un poète et de reproduire pour un peintre : la taille élevée, les membres dispos, les fières attitudes, les costumes sauvages des hommes ; les profils purs, les yeux d’un bleu noir, les cheveux dorés, les épingles d’argent semblables à des poignards, les corsets pourpres, les tuniques lourdes, les sandales nouées sur les jambes nues des femmes ; les groupes formés naturellement, çà et là, le long des murs, par les captifs, les épouses ou les fiancées demi libres, s’entretenant, les joues rouges de passion ou pâles de pitié, avec leurs maris ou leurs amants, à travers les gros grillages de fer des lucarnes des cachots, ouvrant sur les cours ; les hommes assis et pensifs sur la poussière, le coude sur leurs genoux, la tête dans leur main ; les jeunes filles se tressant mutuellement leurs cheveux de bronze avec quelques tiges de fleurs de leurs montagnes, apportées par leurs aïeules la veille du dimanche, les regards chargés des images de la patrie, des arrière-pensées de la vengeance, des invocations ardentes à la liberté de la montagne ; les enfants à la mamelle allaités en plein soleil de lait amer mêlé de larmes ; toute cette scène, que nous avons contemplée souvent nous-même alors, laissait dans le souvenir, dans l’œil et dans l’imagination un pittoresque de nature humaine qui ne s’efface plus. […] la voilà, dansant les cheveux, semés de fleurs des hautes montagnes, une ivresse qui a peur de sa joie, une lionne qui badine avec sa griffe naissante. […] Elle a noué autour de ses cheveux, à demi détachés, une couronne de fleurs sauvages d’un admirable éclat ; on y reconnaît les bleuets, les œillets rouges, les marguerites blanches, les pavots mêlés à des épis de folle avoine, toutes fleurs des hauts pâturages du Jura transportées par réminiscence sur le front de la fille des Abruzzes. […] On nage dans la tiède lumière d’un éther méridional, on glisse sur le cristal azuré de cette mer presque toujours aplanie, on boit par tous les pores la brise embaumée, on regarde ce ciel du soir qui n’est que l’avenue voilée des mondes imaginaires où s’abîme l’espérance ; on s’assied, on se groupe, on écoute, on s’étonne, on s’enchante aux chants de ce poète avec ces jeunes hommes et ces jeunes femmes, doucement ivres de poésie et de musique, ces fleurs du climat où l’oranger fleurit ; on s’oublie, on oublie le monde, le jour qui baisse, l’heure qui glisse, les soucis qui poignent, les peines qui attendent.
Prenons la figure de Goethe à cette époque fugitive où la fleur de la jeunesse éclate encore sur les traits, mais où le fruit de la pensée ou du sentiment commence à se former et à s’entrevoir sous cette jeunesse qui s’effeuille. […] J’y voyais aussi nos voisins se promener dans leurs jardins, arroser leurs fleurs, regarder jouer leurs enfants, et se livrer avec des amis à toutes sortes d’amusements. […] Oui, céleste enfant ; laisse la voix d’une fleur être pour nous l’oracle de Dieu ! […] Elle revient atterrée à la maison, rentre dans sa chambre et arrose machinalement un pot de fleurs placé pieusement par elle devant une image de la sainte Vierge dans une niche au-dessus de son lit. […] Autrefois, à l’aube naissante, En allant cueillir ces bouquets, J’arrosais de mes pleurs de déité Les pots de fleurs sur ma fenêtre !
La jeune fille ne se doute pas des sentiments du poète, se marie, et meurt dans la fleur de son printemps. […] La jeune fille, à peine entrée dans son printemps, avait la candeur et la fleur de beauté de Marguerite dans le jardin de la voisine. […] Il suit, en rougissant, les traces de celle qui lui est apparue, heureux de son sourire, cherchant, pour la parer, les plus belles fleurs du vallon. […] La fleur se fane, puisse le fruit mûrir ! […] Les billets de Goethe en réponse à ce torrent de passion idéale sont de la neige sur des fleurs d’avril.
Quand vous allez parmi vos chefs faire entendre vos conseils, il vous sied à vous-même d’avoir des habits sans tache ; vous avez dans vos palais cinq fils mariés, et trois dans la fleur de la jeunesse. […] « “Certes, leur cœur, grâce à toi, s’épanouit sans cesse de joie quand ils voient une telle fleur entrer dans le chœur des danses ; mais plus heureux encore que tous les autres au fond de son âme celui qui, l’emportant par les dons du mariage, t’amènera dans sa demeure. […] Sur la prairie, au bord des eaux, Rien ne la tentait plus : à tout indifférente, Ni la prairie en fleurs, ni l’onde transparente, Ni le chant des autres oiseaux. […] Pas même sa mère ou sa sœur, Ni la fleur, ni l’oiseau, ni l’enfant, ni la femme ? […] Morte parmi les fleurs, morte comme une rose Qui demandait d’éclore et qui n’est pas éclose, Et c’est ainsi qu’elle finit.