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22. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

C’est de ce caractère original, de cette vitalité puissante de femme du monde et de femme d’esprit que je voudrais toucher ici quelque chose, en rapportant Mme Gay à sa vraie date, et en indiquant aussi, en choisissant quelques-uns des traits fins et des observations délicates qui distinguent ses meilleurs écrits. […] Un dîner chez Mme Tallien, une soirée chez Mme de Beauharnais, les Concerts-Feydeau, ces réunions d’alors avec leur mouvement et leur tourbillon, avec le masque et la physionomie des principaux personnages, revivaient jusqu’à la fin sous la plume et dans les récits de Mme Gay. […] Les scènes mélodramatiques de la fin et les airs de mélancolie, répandus çà et là dans l’ouvrage, sont la marque du temps ; ce qui est bien déjà à Mme Gay, c’est le style net, courant et généralement pur, quelques remarques fines du premier volume ; par exemple, lorsque Laure dit qu’en se retirant du monde pour vivre à la campagne, partagée entre les familles des deux châteaux voisins, elle avait cru se soustraire aux soins, aux tracas, aux passions, et qu’elle ajoute : « Eh bien ! […] Voilà de ces remarques fines, comme Mme Gay en avait beaucoup, plume en main. […] Dans ce roman gracieux, où il n’entre rien que de choisi et où elle a semé de fines observations de société et de cœur, Mme Gay s’est montrée une digne émule des Riccoboni et des Souza10.

23. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Il avait un oncle, frère de sa mère, peintre connu de la fin du XVIIIe siècle, Thiémet. […] De là, vers la fin de son séjour, il envoyait à Paris, à M. de La Mésangère, qui publiait le Journal des Dames et des Modes, des dessins de costumes espagnols, de travestissements. […] Dans les Fourberies de femmes, je ne me flatterai pas de trouver la formule générale, mais cependant tout s’y rapporte à une fin, à la fin féminine par excellence : tromper pour un certain motif. […] La même question s’est posée à la fin de chaque siècle. […] Un catalogue complet de Gavarni est à faire ; un premier essai, et très-utile, se trouve à la fin de l’agréable volume intitulé Masques et Visages (1857), dû à l’un de ses meilleurs amis, M. 

24. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Une tante, sœur de son père, prêta la main à cet enlèvement qui était à si bonne fin. […] Soit en habit du matin, soit en habit de cour, ou en habit d’hiver, elle y paraît fine, mince, grande, noble, élégante et jolie ; d’une taille élevée et qui a tout à fait grand air ; une figure un peu ronde, une figure d’ange, et où la douceur s’allie à la malice, une bouche fine où la raillerie se joue aisément, de beaux yeux où éclatent l’agrément et l’esprit : en tout la grâce et la distinction même. […] S’il fallait badiner, s’il faisait des plaisanteries, s’il daignait faire un conte, c’était avec des grâces infinies, un tour noble et fin que je n’ai vu qu’à lui. […] À considérer les soins extrêmes que prenaient les anciens pour donner à leurs enfants, dès le sein de la nourrice, ce tact fin et ce sens exquis, on est frappé de la différence avec l’éducation moderne. […] À la fin du xviie  siècle, c’est-à-dire au plus beau moment de notre passé, on se plaignait déjà ; c’était l’âge d’or de l’urbanité pourtant.

25. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

je ne parle plus des cinquante volumes inqualifiables qui précédèrent ses premières œuvres distinguées ; je parle de ce qui se mêle à tout instant à ses œuvres les plus distinguées et les plus fines elles-mêmes. […] Quoique un vrai talent dramatique s’y marque jusqu’au bout, j’avoue que cette fin me plaît peu, et, sans me gâter le reste, ne l’achève pas, à mon sens, avec autant de vérité qu’on a droit d’attendre. […] Et voilà qu’avant le soir un roman nous donne le fin mot de cette péripétie sanglante, N’est-ce pas là tomber dans l’art à bout portant comme le pratique Marillac ? […] M. de Bernard, dans cette fin, a trop cédé à la dramaturgie moderne ; il y avait, j’ose le lui affirmer, sans pouvoir l’indiquer, quelque autre conclusion possible et vraie, qu’il eût trouvée en le voulant bien et en restant fidèle à tous ses caractères, même à celui du baron. Après tout, M. de Bernard, en se livrant vers cette fin au terrible à la mode, a pu se dire qu’il avait, dans les trois autres quarts du roman, payé assez largement sa dette à l’observation fine et franche, à la vérité amusante des mœurs, à cette nature humaine d’aujourd’hui, vivement rendue dans ses sentiments tendres ou factices, ses élégances et ses ridicules, ses affectations naïves ou impertinentes ; car il a fait de tout cela dans Gerfaut, et bon nombre de ces pages, de ces conversations et de ces scènes scintillantes ou gaies, entraînantes ou subtiles, et parfois simplement plaisantes, auraient pu être écrites par un Beaumarchais romancier, ou même par un Regnard.

26. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

Il était bien le même soleil, et au même instant précis de sa durée sans fin ; là pourtant il avait une couleur très différente ; se tenant plus haut dans un ciel bleuâtre, il éclairait d’une douce lumière blanche la grand’mère Yvonne, qui travaillait à coudre, assise sur sa porte. […] Et comme, dans le mouvement général de l’univers, les êtres particuliers ont leur mouvement propre, ainsi, pour l’écrivain, tandis que l’ouvrage entier s’avancera vers sa fin, chaque partie accomplira son évolution particulière et aura son progrès propre. […] Toute action, toute démonstration ont un commencement, un milieu et une fin : toute œuvre qui racontera une action, ou développera un raisonnement, devra avoir un commencement, un milieu et une fin. […] Où fixer cette fin ? […] On a beau savoir à fond la chose, et où elle se termine : on ne trouve pas l’idée et la phrase de la fin, celles qui doivent achever l’impression et conclure le discours ; on reprend son propos, on revient sur ses pas, on change un peu sa direction, sans pouvoir tomber juste au but.

27. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre I. L’esprit gaulois »

On aime pourtant le joli soleil qui luit doucement entre les ormes, le thym qui parfume les côtes sèches, les abeilles qui bourdonnent au-dessus du sarrasin en fleur : beautés légères qu’une race sobre et fine peut seule goûter. […] Ils portent partout cet esprit mesuré, fin par excellence. […] Souvenez-vous comment Joinville conte en six lignes la fin de « son pauvre prêtre malade, qui voulut achever de célébrer la messe et oncques puis ne chanta et mourut ». […] Et la chose est si naturelle, que sans culture et parmi des moeurs brutales ils sont aussi fins dans la raillerie que les plus déliés. […] Un mot glissé montre seul le sourire imperceptible ; c’est l’âne, par exemple, qu’on appelle l’archiprêtre, à cause de son air grave et de sa soutane feutrée, et qui, gravement, se met à « orguenner. » Au bout de l’histoire, le fin sentiment du comique vous a pénétré sans que vous sachiez par où il est entré en vous.

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