/ 2652
352. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

Toutes les expressions de l’un sont des tableaux ; l’autre, sans coloris, donne trop peu d’éclat à ses idées. […] Le plus souvent il jette et abandonne ses idées sans s’en apercevoir, et l’expression naît d’elle-même. […] Le sentiment, quand il est vif, commande à l’expression, et lui communique sa chaleur et sa force ; mais l’âme de La Rue n’est point en général assez passionnée pour soutenir toujours et colorer son langage.

353. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

La grâce est l’expression visible de ces deux états : la volonté satisfaite et la volonté portée à satisfaire autrui. […] En général, tandis que la force représente dans l’expression de la vie le côté viril, la grâce représente plutôt le côté féminin. […] En général, tout chef-d’œuvre d’art n’est autre chose que l’expression dans le langage le plus sensible de l’idée la plus élevée. […] Autant le rythme est l’expression naturelle de l’émotion, autant il semble étrange au premier moment de rimer sa joie ou ses douleurs. […] Ces sons composés ont au contraire une expression caressante.

354. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

La nouvelle de la victoire de Fleurus par Jourdan (26 juin 1793) le comble de joie, et il en consigne l’expression dans son Journal en homme qui, à cette date déjà bien sanglante, était pour la Révolution tout entière, sans marquer ses réserves : De même qu’on a fait apporter aux prêtres leurs lettres de prêtrise, et aux nobles leurs lettres de noblesse, de même nous ne devrons accorder la paix à nos ennemis qu’autant que tous les rois faux auront apporté leurs lettres de royauté. […] Il avait déjà parlé à une précédente séance et obtenu quelques amendements qu’il demandait sur ces expressions exagérées, faire nos idées, créer nos idées, etc., qu’il voulait qu’on réduisît à leur juste valeur et sans préjudice pour la faculté intérieure naturelle qui seule avait réellement ce pouvoir. […] Saint-Martin comprend au reste qu’il a eu des malheurs d’expression et des duretés apparentes56, des torts d’indiscrétion et de négligence dans l’exposition de ses idées, et il s’explique par là leur peu d’effet et d’action sur les contemporains. […] [NdA] Dans sa Lettre sur la Révolution française, il parle des prêtres, alors persécutés, sans ménagement et avec des expressions qui ne s’oublient pas ; il leur reproche, par exemple, d’avoir rempli les temples d’images, « et par là d’avoir égaré et tourmenté la prière, tandis qu’ils ne devaient s’occuper qu’à lui tracer un libre cours » ; il les appelle les accapareurs des subsistances de l’âme, etc. De telles expressions, si on les isolait, donneraient de Saint-Martin une idée fausse, et calomnieraient son cœur.

355. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Alphonse Daudet : sensibilité et sympathie dans l’effort pour atteindre l’expression objective. […] Et ce déplacement de la supériorité est à lui seul le signe d’une nouvelle orientation littéraire : par définition, le lyrisme est l’expression du moi, et le roman doit être la perception du non-moi. […] La pauvreté et la raideur des caractères individuels les inclinent à devenir des expressions symboliques909, et le roman tend à s’organiser en vaste allégorie, où plus ou moins confusément se déchiffre quelque conception philosophique, scientifique ou sociale, de mince valeur à l’ordinaire et de nulle originalité. […] La répression de la sensibilité, l’étude sévère de l’objet, ne coûtaient aucune peine à Guy de Maupassant912 : aussi est-ce chez lui, après Flaubert, qu’il faut chercher la plus pure expression du naturalisme. […] Flaubert lui apprit à poursuivre le caractère original et particulier des choses, à choisir l’expression qui fait sortir ce caractère.

356. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

La conception, d’ordinaire, la composition de ces petits cadres, le motif est délicieux, poétique ; c’est l’expression, le style souvent qui s’étrangle ou qui fléchit. […] On en a retenu le refrain et des vers charmants : La fleur des champs brille à ta boutonnière… Ces jours mêlés de pluie et de soleil… C’est très joli de motif, très spirituel d’idées, quelquefois très heureux d’expression. Et pourtant je ne puis m’empêcher de noter quelques mauvais vers, des expressions vagues et communes. […] Banni des bras de ses amis, n’est-ce pas une expression bien académique pour quelqu’un qui ne veut pas être académicien ? […] Il y a quelques années déjà que, l’étudiant à part moi, et sans songer à venir reparler de lui au public, j’écrivais cette page que je demande la permission de transcrire, comme l’expression la plus sincère et la plus nette de mon dernier sentiment littéraire à son égard : Béranger a obtenu de gloire tout ce qu’il en mérite, et un peu au-delà ; sa réputation est au comble.

357. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Je ne ferai que peu de remarques sur ce premier effet que Mirabeau produisit sur les convives, et qui nous est si visiblement rendu ; je ne me permettrai que d’expliquer et de commenter deux ou trois traits, ainsi que l’expression de ridicule qui échappe quelques lignes plus bas, et qui est appliquée à l’extérieur de Mirabeau. […] Lui, selon l’expression de son père, qui le jugeait très bien cette fois, il avait « des manières nobles et le faste des habits en un siècle de mode dépenaillée ». […] Lui qui jugeait si bien les hommes par le dedans, il savait que la plupart ne se forment une idée des autres que par leur dehors et par leur autour (l’expression est de lui). […] » Une fois même, poussé à un état d’exaspération plus violent que de coutume, il s’écria : « Tout est perdu ; le roi et la reine y périront, et vous le verrez : la populace battra leurs cadavres. » — Il remarqua, ajoute M. de La Marck, l’horreur que me causait cette expression. « Oui, oui, répéta-t-il, on battra leurs cadavres ; vous ne comprenez pas assez les dangers de leur position ; il faudrait cependant les leur faire connaître. » Après les journées des 5 et 6 octobre qui amenèrent le roi et la reine captifs à Paris, journées auxquelles, malgré d’odieuses calomnies, il ne prit aucune part que pour les déplorer et s’en indigner, Mirabeau, sentant que la monarchie ainsi avilie aurait eu besoin de se relever aussitôt par quelque grand acte, dressa un mémoire qu’on peut lire à la date du 15 octobre 1789. […] Et il s’offre nettement, hardiment, à lui pour être son conseil habituel, son ami abandonné, « le dictateur enfin, permettez-moi l’expression, dit-il, du dictateur : — Car je devrais l’être, avec cette différence que celui-là doit toujours être tenu de développer et de démontrer, tandis que celui-ci n’est plus rien s’il permet au gouvernement la discussion, l’examen.

/ 2652