Il faut joindre encore à cette connaissance une profonde expérience des scènes de la vie.
L’expérience l’a dit longtemps avant Horace : on ne se trouve heureux qu’à la place des autres, et jamais à la sienne ; le seul avantage que donnent les lumières, si c’en est un, est de n’envier l’état de personne, sans en être plus content du sien.
Que de fois l’expérience en a été faite !
Mais à cette divination de l’expérience il voulait joindre un ascendant plus mystérieux, dont le prestige se confondait avec son inspiration même de poëte.
On voit qu’il s’agit ici d’une expérience pareille à celles que les savants font en physiologie ou en chimie. […] Ce n’est pas le réfuter que de lui dire : « Votre méthode est mauvaise, car elle rend le style rigide et désagréable. » Il vous répondra tout haut : « Tant pis pour moi. » — Ce n’est, pas non plus le réfuter que lui dire : « Je repousse vos procédés, car la doctrine à laquelle ils conduisent dérange mes convictions morales. » Il vous répondra tout bas : « Tant pis pour vous. » L’expérience seule détruit l’expérience ; car les objections théologiques ou sentimentales n’ont pas de prise sur un fait. […] C’est la même solidité et la même expérience, et, au bout de son livre, il n’est personne qui ne trouve nécessaire la révolution et la restauration. […] Pour ma part, après expérience faite, je réponds oui : car, lorsqu’on étudie les documents d’une époque qu’il a étudiée, on éprouve une sensation semblable à la sienne, et l’on trouve qu’en définitive les conclusions de son lyrisme divinatoire sont presque aussi exactes que celles de la patiente analyse et de la lente généralisation. […] Elles lui inspirent l’aversion de la politique spéculative, le goût de l’expérience, le sentiment du possible, le respect de l’antiquité, le culte de la loi, bref toutes les habitudes qui peuvent contenir et diriger l’essor de la liberté imprudente.
De vingt-six à trente ans, il s’élève en eux un combat entre l’imagination, exaltée par les sens, et la raison, éclairée par un commencement d’expérience, où celle-ci ne triomphe pas toujours. […] Mais est-ce là tout, et en dehors du détail des expériences et de la formule précise, qui échappent au poète, n’y a-t-il pas pour lui au contact de la science, bien des sources profondes et neuves d’inspiration ? […] Ni l’expérience externe ni l’expérience interne, nos seules lumières, ne sont en état de résoudre le problème de la substance ; il leur est donc impossible d’en attester la division et la pluralité. […] L’expérience de ce poème n’est pas concluante. […] Il variait de mille manières ses fines expériences sur la vie mondaine ; il enrichissait son imagination de types et de caractères nouveaux au contact de ce monde si divers, si agissant et [si agité, où il s’est mêlé sans s’y plonger.