À ce mélancolique dîner, Sainte-Beuve parle du suicide, comme d’une fin légitime, presque naturelle de la vie, comme d’une sortie soudaine et volontaire de l’existence à la façon des anciens, au lieu d’assister à la mort de chacun de ses sens, de chacun de ses organes, — et il regrette qu’il lui manque le courage de se tuer. […] Après des compliments, il nous demande pourquoi nous n’avons pas parlé des vertus provinciales, de la vie sociale de la province, de cette vie si particulière, si tranchée, si caractéristique, et qu’on trouvait surtout dans les villes de parlement comme Dijon, de cette vie aujourd’hui complètement morte… « Oui, reprend-il, la province ne se fait plus envoyer les livres de Paris, on ne lit plus ; quand il vient des voisins chez moi à la campagne, je leur donne des livres, personne ne les ouvre… » Puis il nous parle de l’article de Sainte-Beuve sur notre livre, et nous dit qu’à cette place où nous sommes, Sainte-Beuve venait souvent causer avec lui en 1848, lui avouant que c’était dans le but de l’étudier, et lui demandait comment il faisait pour parler, et prenait des notes, en se frottant joyeusement les mains : « Je lui ai connu bien des phases d’existence. […] Taine. — Mais il me semble qu’on ne doit mettre au monde des enfants, que lorsqu’on est sûr de leur assurer une existence… Des filles qui partent pour être institutrices en Russie, c’est affreux ! […] Ici Gautier prend la parole, et nous déroule l’étrange existence de cette femme3.
Gay, receveur général du département de la Roer, qui menait la grande existence que l’empereur exigeait des fonctionnaires de ce temps-là. […] Il semble qu’on les ait rencontrés dans l’existence comme des personnages réels, que vous leur avez parlé et qu’ils vous ont répondu. […] De là viennent ces personnages soutenus, logiques, ne se démentant et ne s’oubliant jamais, doués d’une existence intime et profonde, qui, pour nous servir d’une de ses expressions, font concurrence à l’état civil. […] Les anciens Grecs supposaient l’existence de divinités envieuses qu’ils appelaient les Moires, et dont les yeux jaloux étaient blessés par le spectacle du bonheur qu’elles se plaisaient à troubler. […] » Quelle existence horrible que celle où, entraîné dans le tourbillon des choses, l’on peut innocemment applaudir une cantatrice lorsque le cercueil se ferme sur une tête chère !
La légende du Tannhäuser, telle qu’elle apparaît en Allemagne au xve et au xvie siècles, n’est donc pas d’origine allemande ; elle remonte à la légende du Monte della Sibilla, dont nous pouvons constater l’existence à une époque bien plus ancienne. […] Entre la légende du disciple bien-aimé et l’histoire du châtiment de Malc qui avait frappé le Sauveur, le bizarre récit de l’archevêque arménien sur Cartaphilus semble une transition ou plutôt un compromis : ce qui relie clairement Cartaphilus à Malc, c’est la mention du coup qu’il donna à Jésus ; d’autre part son nom, la sainteté et la douceur de son existence l’en séparent nettement. […] Mais ce qui nous importe, c’est l’existence légendaire de ce dernier personnage, évidemment identique au Juan de Voto-a-Dios signalé en Espagne au xvie siècle par Mme de Vasconcellos. […] La forme sanscrite dans laquelle elle a certainement été conçue n’a pas encore été retrouvée ; mais l’existence n’en est pas douteuse : elle est attestée par de nombreuses dérivations plus ou moins directes. […] On ne sait à quel original remonte une version arménienne, dont on ne connaît que l’existence (Zotenberg et Meyer, p. 317).
Il va sans dire qu’on ne nie pas l’existence de chants lyriques : épopée et lyrisme répondent à deux besoins de l’âme humaine : mais l’épopée vient des narrations épiques. […] Aussi n’y a-t-il pas de poème qui se soit maintenu à travers le moyen âge dans une forme fixe, et le moment où l’écriture leur assura une prolongation indéfinie d’existence lut non le terme, mais le commencement des pires aventures pour la plupart.
Si, dans un poème, on les change sans repos selon les exigences du rythme, elles n’ont plus d’existence réelle puisqu’elles ne sont plus un nombre périodique, et leur nom, vainement conservé, ne peut servir qu’à faire confondre encore une fois les rythmes avec le chiffre des syllabes alignées. […] Mais l’homme, jusqu’ici, pense à soi plus qu’aux autres hommes ; la Société est une collection d’égoïsmes, et la lutte pour l’existence s’y dénonce à première vue comme le seul principe un peu apparent : le socialisme, venu de l’autre pôle, doit donc précéder l’anarchie, — de quelques centaines, peut-être de quelques milliers d’années, — car il importe avant tout de protéger les faibles ; il faut d’abord paralyser les forces de l’égoïsme et le faire peu à peu céder au sentiment contraire, pour qu’enfin puisse grandir l’universel Amour.
La vie brahmanique offre le plus puissant modèle de la vie possédée exclusivement par la conception religieuse, ou pour mieux dire sérieuse, de l’existence. […] Supposé même que, nous autres philosophes, nous préférassions un autre mot, raison par exemple, outre que ces mots sont trop abstraits et n’expriment pas assez la réelle existence, il y aurait un immense inconvénient à nous couper ainsi toutes les sources poétiques du passé et à nous séparer par notre langage des simples qui adorent si bien à leur manière.