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889. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 111-114

Daniel prétendoit avoir pour lui la raison & la vérité, son Adversaire avoit eu en sa faveur, ce qui a plus d’ascendant sur l’esprit des hommes, les armes du ridicule & de la bonne plaisanterie. D’ailleurs l’impression étoit déjà faite & irrévocable ; le Jésuite ne répondit au Satirique du Port-Royal, que long-temps après la publication des Provinciales, & les esprits étoient prévenus. […] Cet Ecrivain n’a d’autre mérite que celui de la méthode, de la simplicité, de l’exactitude, & de la clarté ; mais M. de Voltaire, en bon Juge du style historique, n’auroit-il pas dû préférer ces qualités au brillant, à l’enthousiasme, à l’esprit de systême, qui forment précisément les mauvais Historiens ? Pouvoit-il ignorer que le premier devoir d’un Historiographe est d’être en garde contre son imagination ; qu’un esprit réfléchi est plus judicieux qu’un esprit plein de chaleur ; qu’il est plus essentiel de s’occuper à chercher, à démêler, à établir, à présenter la vérité, qu’à la défigurer en la chargeant d’ornemens ; qu’une histoire doit être regardée comme irréprochable, quand la narration est claire, suivie, exacte, quand les faits n’offrent rien de falsifié ou d’exagéré ; le style, rien d’artificieux & de passionné ; la chronologie, rien d’obscur ni d’embrouillé ?

890. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Il est heureux pour les critiques de n’être point comme Montesquieu qui ne tirait jamais, disait-il, du moule de son esprit qu’un seul portrait sur chaque sujet. […] Buffon est un grand esprit éducable, et ce sont les degrés successifs de cette éducation positive qu’il est curieux de pouvoir suivre. […] Il n’est pas de ceux qui dépensent chaque jour en esprit leur talent ; il évite même de l’employer en rien hors du cadre principal, unique. […] Flourens, qui est l’un des maîtres de cette école, a présenté en ce sens son Histoire des travaux et des idées de Buffon, et il annote l’édition présente dans le même esprit. […] Mais laissons ces esprits légers.

891. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

On s’est, depuis quelque temps, fort occupé des autres, mais on a négligé ce dernier ; on ne le lit plus du tout, lui qui a été si lu dans les premières années du xviie  siècle, et qui était même estimé alors par de bons esprits (médiocres juges en cela) égal ou supérieur à Montaignej. […] Il a le malheur, pour un chrétien et pour un homme né depuis l’Évangile, de croire à des étages différents d’esprits, à des séparations presque absolues entre le vulgaire ou le commun des hommes pour lequel il n’a que du mépris et du dédain, les esprits moyens et médiocres qui flottent un peu au-dessus sans pouvoir assez s’en détacher, et les sages qui jouissent de la douceur suprême dans un inviolable et inaccessible retranchement. […] Mais quoique Charron, dans son bon esprit, se fasse cette objection conforme à la charité, et qu’il y obtempère en quelque mesure, comme on sent bien que le raisonneur en prend ici à son aise ! […] Un noble esprit de notre temps (M.  […] Ils venaient dans les premières années du règne de Henri IV pour rattacher à la religion de l’État et à celle du prince nombre d’esprits raisonneurs, sérieux, assez philosophiques, et surtout politiques.

892. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Son fils, qui devint bientôt M. le Prince, était un homme d’esprit qui avait, quand il le voulait, bien du fin et du galant avec le génie des fêtes, d’ailleurs le plus capricieux, le plus singulier des hommes, au point de paraître atteint de manie. […] Au milieu d’un tel monde, il y avait pour un homme d’esprit et capable plus d’un rôle à tenter et plus d’une visée à suivre. […] Peu à la fois et souvent : suivez la prescription, et vous vous en trouverez bien pour le régime de l’esprit. […] Il entre et débute en plein sujet par une suite de chapitres dont on ne voit pas très bien d’abord le lien et l’enchaînement : Des Ouvrages de l’Esprit, Du Mérite personnel, Des Femmes, Du Cœur, De la Société et de la Conversation. […] En général, il n’était pas d’avis qu’un talent en exclut nécessairement un autre ; il se raille des vues courtes et des esprits bornés ou envieux qui arguent d’une de vos qualités pour vous refuser une qualité voisine ou même opposée.

893. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Mme Lenormant, si ce chapitre est d’elle (et elle a bien assez d’esprit, — assez de finesse et de précision dans l’esprit, — pour avoir mené cette discussion comme on l’a fait), l’a pris vraiment sur un ton un peu trop haut. […] Thiers un tout autre homme pour la crédulité que ne saurait l’être un esprit si sagace et si clairvoyant. […] Laissons ces mots mystiques de conversion et de croyant qui ne sont pas à l’usage des esprits vraiment politiques, ni même tout uniment des esprits sensés. […] Grand esprit plutôt que grand écrivain, Mme de Staël vivra-t-elle ? […] J’ai en ce moment présente à l’esprit une épreuve à laquelle je les ai vues bien souvent soumises et dans fort peu de cas résister.

894. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Il en résulta, en effet, un peu de chimère et d’illusion, une sorte d’optimisme, mêlé aux pensées de réforme qui animèrent les généreux esprits du xviiie  siècle. […] Patru, vieilli et mort dans l’indigence, était un peu comme ces gens d’esprit dont on disait, dans notre jeunesse, qu’ils avaient donné dans la Révolution. […] J’ai oublié le Contrat social de Rousseau, mais j’ai toujours présentes à l’imagination et à l’esprit tant de descriptions engageantes d’une vie saine, naturelle et sensée : puisse ce genre heureux d’existence, qui présuppose de si bons fondements, se propager plus encore39 ! […] Or, les idées de bon sens, de tolérance, de réforme, civile, les idées justes, exclusives des vieux préjugés et vraiment libératrices des esprits, circulaient, étaient partout au xviiie  siècle, tandis qu’elles étaient rares, étouffées, contraintes, et n’existaient que dans quelques têtes durant la dernière et même la première moitié du règne de Louis XIV. […] il y aurait plaisir et honneur à le louer pour son charmant esprit et son grand sens.

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