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251. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

Chacun à sa manière lui a déjà rendu hommage, un hommage mêlé, dans lequel les restrictions et les correctifs entrent pour une grande part, mais qui s’est trouvé unanime sur un point, la distinction de l’esprit. […] M. de Latouche avait toujours soin d’entrer au balcon au moment de ces deux scènes, pour déplorer ces murmures, pour s’en étonner ; puis il s’évanouissait avant le premier bravo qui n’allait pas tarder ; de sorte que le lendemain, quand il revoyait son cher ami l’auteur, il avait droit de le désoler, tout en s’irritant devant lui de l’injustice de ce sot public. — Mme Sophie Gay, très liée dans un temps avec M. de Latouche, ne le nommait jamais que mon ennemi intime. […] Ici l’auteur de circonstance, le romancier pamphlétaire a disparu, et le poète est entré dans le vrai de son sujet. […] On entrait dans ce jeu, et de près on l’applaudissait sous cette forme avec faveur ; mais il avait trop d’esprit pour ne pas sentir que ce n’étaient là que des complaisances mêlées d’estime, et que tous ces éloges mis ensemble ne composaient pas une renommée. […] Il lui était toujours réservé d’ouvrir aux autres la Terre promise, sans y entrer lui-même52.

252. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

… Dans cette ferveur d’oraison funèbre qui nous transporta et dura encore quelques jours, ne transforma-t-on pas cette flexibilité que j’accorde à Sainte-Beuve, mais aux conditions où elle lui a été donnée, en une faculté qui n’est pas nécessaire au critique, la faculté d’entrer dans une autre personnalité que la sienne ?… « Entrer dans la peau du bonhomme » est une expression à la mode dans laquelle les hommes trouvent charmant d’empailler leur pensée ; mais je demande dans la peau de quel bonhomme Sainte-Beuve, qui n’en était pas un, est entré pour en sortir et rentrer dans la peau d’un autre ? […] mais c’est un Trissotin ; et de fait, Sainte-Beuve l’était de nature, à travers son esprit et son goût, et il l’était tellement qu’un jour il disait devant moi à une pâtissière, chez laquelle il était entré pour manger des gâteaux : « Madame, aimez-vous les vers ? […] Je n’avais pas à entrer dans l’examen du fond du livre, des affirmations ou des insinuations qu’il contient.

253. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Ces longs raisonnements tirés de ligne en ligne vous empêchent d’entrer d’abord en des connoissances plus hautes qui ne trompent jamais. […] Ces procédés-là (qui sont déjà les procédés américains) n’entrent pas dans l’idée du chevalier : au fond d’un désert comme au milieu de la cour, à l’écart, à l’improviste, à chaque heure, son honnête homme est le même, car il a son inspiration dans le cœur. […] A force d’y voir je ne sais quelle puissance de charmer et d’adoucir les cœurs farouches, peu s’en faut qu’il n’y ait fait entrer Orphée. […] Après, j’entrai dans la cour où il y avoit trois ou quatre dogues qui se vouloient déchaîner. […] Il avait été gros joueur et s’était mis sur le corps force dettes, il en convient, et une foule de créanciers, quoiqu’il n’ait point fait entrer cette condition dans sa définition de l’honnête homme57.

254. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Il entrera donc dans le sentiment du gracieux une espèce de sympathie physique, et en analysant le charme de cette sympathie, vous verrez qu’elle vous plaît elle-même par son affinité avec la sympathie morale, dont elle vous suggère subtilement l’idée. […] Ainsi tombera la barrière que le temps et l’espace interposaient entre sa conscience et la nôtre ; et plus sera riche d’idées, gros de sensations et d’émotions le sentiment dans le cadre duquel il nous aura fait entrer, plus la beauté exprimée aura de profondeur ou d’élévation. […] Chez les enfants et chez beaucoup d’adultes, l’attention vive produit une protrusion des lèvres, une espèce de moue. » Certes, il entrera toujours dans l’attention volontaire un facteur purement psychique, quand ce ne serait que l’exclusion, par la volonté, de toutes les idées étrangères à celle dont on désire s’occuper. […] Toutefois cette augmentation ne frappe guère la conscience et si l’on réfléchit à la précision avec laquelle nous distinguons les sons et les couleurs, voire les poids et les températures, on devinera sans peine qu’un nouvel élément d’appréciation doit entrer ici en jeu. […]   Sans entrer dans une discussion approfondie de cette ingénieuse opération, montrons en quelques mots comment Fechner a saisi la véritable difficulté du problème, comment il a essayé de la surmonter, et où réside, selon nous, le vice de son raisonnement.

255. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

On le voit, si une idée auguste et grandiose préside à l’inspiration de Gibbon, l’intention épigrammatique est à côté : il conçoit l’ancien ordre romain, il le révère, il l’admire ; mais cet ordre non moins merveilleux qui lui a succédé avec les siècles, ce pouvoir spirituel ininterrompu des vieillards et des pontifes, cette politique qui sut être tour à tour intrépide, impérieuse et superbe, et le plus souvent prudente, il ne lui rendra pas justice, il n’y entrera pas : et de temps en temps, dans la continuité de sa grave Histoire, on croira entendre revenir comme par contraste ce chant de vêpres du premier jour, cette impression dénigrante qu’il ramènera à la sourdine. […] Dans ce premier volume, l’historien exposait et développait avec le plus grand détail l’état et la constitution de l’Empire sous les Antonins ; il remontait dans ses explications jusqu’à la politique d’Auguste ; il caractérisait en traits généraux les règnes et l’esprit des cinq empereurs à qui le genre humain dut le dernier beau siècle, le plus beau et le plus heureux peut-être de tous ceux qu’a enregistrés l’histoire ; et, à partir de Commode, il entrait dans la narration continue. […] Il était entré au Parlement dans des vues très positives et qu’il ne farde pas : Vous n’avez pas oublié, écrivait-il quelques années après à un de ses amis de Suisse, que je suis entré au Parlement sans patriotisme, sans ambition, et que toutes mes vues se bornaient à la place commode et honnête d’un Lord of trade (membre du Conseil supérieur de commerce).

256. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Excité par ces merveilles, il s’ennuya de la vie de bureau, entra comme maréchal des logis dans un régiment de dragons, et y devint sous-lieutenant : il donna sa démission deux ans après, lors de la paix d’Amiens. […] Il dut faire quelques sacrifices au ton du jour et entrer plus ou moins en composition avec le libéralisme, bientôt général et dominant : il sut pourtant se soustraire et résister à l’espèce d’oppression morale que cette opinion d’alors, en tant que celle d’un parti, exerçait sur les esprits les plus distingués ; il sut être indépendant, penser en tout et marcher de lui-même. […] L’armée romantique, qui avait à sa tête la Revue d’Édimbourg et qui se composait de tous les auteurs anglais, de tous les auteurs espagnols, de tous les auteurs allemands, et des romantiques italiens (quatre corps d’armée), sans compter Mme de Staël pour auxiliaire, était campée sur la rive gauche d’un fleuve qu’il s’agissait de passer (le fleuve de l’Admiration publique), et dont l’armée classique occupait la rive droite ; mais je ne veux pas entrer dans un détail très ingénieux, qui ne s’expliquerait bien que pièce en main, et qui de loin rappelle trop la carte de Tendre. […] La tirade, le vers alexandrin, la partie descriptive, épique, ou de périphrase élégante, qui entrait dans les tragédies du jour, faisaient matière à sa raillerie.

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