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501. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

Je sais bien que José-Maria de Heredia a composé beaucoup de vers que je pourrais citer et dans lesquels il a su mêler au marbre impassible de Gautier une veine de sentiment superbe que Gautier ne connut jamais, — la veine rouge de la fierté humaine, — mais il n’en est pas moins certain que l’ensemble des poésies de ce poète, qui a cette noble veine, porte la trace ou le souvenir d’une admiration que je ne voudrais pas voir dans ses œuvres pour le grand pétrificateur de la poésie passionnée. […] Jamais l’art des ensembles n’a été plus grand… Nous sommes uniquement ici dans les sensations générales de l’époque et de l’universel milieu.

502. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXX. De Fléchier. »

L’âme qui est fortement émue, s’attache tout entière à son objet, et ne va point s’écarter de sa route pour faire contraster ensemble des mots ou des idées. […] Ne pouvant encore s’autoriser contre l’usage, il fit connaître à ses amis qu’il allait à l’armée faire sa cour qu’il lui coûtait moins d’exposer sa vie que de dissimuler ses sentiments, et qu’il n’achèterait jamais ni de faveurs, ni de fortune aux dépens de sa probité. » Je pourrais encore citer d’autres endroits qui ont une beauté réelle ; mais le discours en général est au-dessous de son sujet ; on y trouve plus d’esprit que de force et de mouvement ; on s’attendait du moins à trouver quelques idées vraiment éloquentes sur l’éducation d’un dauphin, sur la nécessité de former une âme d’où peut naître un jour le bonheur et la gloire d’une nation ; sur l’art d’y faire germer les passions utiles, d’y étouffer les passions dangereuses, de lui inspirer de la sensibilité sans faiblesse, de la justice sans dureté, de l’élévation sans orgueil, de tirer parti de l’orgueil même quand il est né, et d’en faire un instrument de grandeur ; sur l’art de créer une morale à un jeune prince et de lui apprendre à rougir ; sur l’art de graver dans son cœur ces trois mots, Dieu, l’univers et la postérité, pour que ces mots lui servent de frein quand il aura le malheur de pouvoir tout ; sur l’art de faire disparaître l’intervalle qui est entre les hommes ; de lui montrer à côté de l’inégalité de pouvoir, l’humiliante égalité d’imperfection et de faiblesse ; de l’instruire par ses erreurs, par ses besoins, par ses douleurs même ; de lui faire sentir la main de la nature qui le rabaisse et le tire vers les autres hommes, tandis que l’orgueil fait effort pour le relever et l’agrandir ; sur l’art de le rendre compatissant au milieu de tout ce qui étouffe la pitié, de transporter dans son âme des maux que ses sens n’éprouveront point, de suppléer au malheur qu’il aura de ne jamais sentir l’infortune ; de l’accoutumer à lier toujours ensemble l’idée du faste qui se montre, avec l’idée de la misère et de la honte qui sont au-delà et qui se cachent ; enfin, sur l’art plus difficile encore de fortifier toutes ces leçons contre le spectacle habituel de la grandeur, contre les hommages et des serviteurs et des courtisans, c’est-à-dire contre la bassesse muette et la bassesse plus dangereuse encore qui flatte.

503. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

La modernité, c’est d’abord, si l’on veut, dans l’ensemble et dans le détail de la vie extérieure, le genre de pittoresque qui est particulier à notre temps. […] IV Peu d’œuvres, dans leur ensemble, sont aussi harmonieuses que celle que nous étudions. […] Sur Garnotelle, dans Manette Salomon, ils sont inépuisables : … Presque toute la critique, avec un ensemble qui étonnerait Coriolis, célébrait ce talent honnête de Garnotelle. […] Le détail est infini, menu, extrêmement cherché ; mais il est un, j’entends subordonné à un effet d’ensemble. […] Dans Madame Gervaisais, le dernier roman qu’ils aient composé ensemble, on n’hésite pas à dire : C’est trop   Et la bizarrerie du style s’est encore aggravée dans les livres que M. 

504. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

(Ils marchent ensemble.) […] ce n’est pas tant la vue de la pierre précieuse dont il est orné qui a pu exciter l’émotion du roi, que… Les deux gardes , ensemble. […] C’est ainsi qu’au sortir d’une profonde éclipse, l’astre brillant des nuits retrouve de nouveau sa chère Rohini, et qu’ils confondent ensemble leurs rayons argentés. […] Sita et Rama s’extasient ensemble sur les scènes reproduites par le pinceau : « Jours heureux pour moi », s’écrie Rama à l’aspect de ces peintures, « quand un père vénéré vivait encore, quand la tendresse d’une mère veillait attentivement sur mon existence, quand tout était plaisir pour mon jeune âge… Voyez… Voilà que ma jeune épouse, la belle Sita, attire l’admiration de ma mère… Le sourire est sur ses lèvres, sa bouche entrouverte laisse éclater des dents aussi blanches que les calices allongés du jasmin ; de longues nattes de cheveux souples, et doux au toucher comme la soie, répandent un crépuscule sur ses joues ; tous ses membres, élégants de formes, gracieux de mouvements, ont la blancheur et la flexibilité des rayons de la lune glissant dans le vague des airs ! […] « Nous arrivons ensemble », continue-t-il en s’adressant à sa chère Sita, « à ce site au milieu des montagnes du midi de l’Inde, sur le bord des ruisseaux tombant des rochers où habitent les saints anachorètes ; ils préparent pour leurs hôtes le plat de riz sauvage.

505. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Mais rien ne prouve que ce phénomène, quand on le trouve précis, complet, nettement analysable en perception et souvenir, quand surtout il se produit chez des gens qui ne présentent aucune autre anomalie, ait la même structure interne que celui qui se dessine sous une forme vague, à l’état de simple tendance ou de virtualité, dans des esprits qui réunissent tout un ensemble de symptômes psychasthéniques. Supposons en effet que la fausse reconnaissance proprement dite — trouble toujours passager et sans gravité — soit un moyen imaginé par la nature pour localiser en un certain point, limiter à quelques instants et réduire ainsi à sa forme la plus bénigne une certaine insuffisance qui, étendue et comme délayée sur l’ensemble de la vie psychologique, eût été de la psychasthénie : il faudra s’attendre à ce que cette concentration sur un point unique donne à l’état d’âme résultant une précision, une complexité et surtout une individualité qu’il n’a pas chez les psychasthéniques en général, capables de convertir en fausse reconnaissance vague, comme en beaucoup d’autres phénomènes anormaux, l’insuffisance radicale dont ils souffrent. […] Que si, au contraire, les deux images se forment ensemble, la continuité de l’illusion se comprend mieux, mais le rejet de l’une d’elles dans le passé appelle plus impérieusement encore une explication. […] De là une compénétration d’états qui se fondent et même s’identifient ensemble dans la conscience immédiate, mais qui n’en sont pas moins logiquement incompatibles entre eux et que la conscience réfléchie se représentera dès lors par un dédoublement du moi en deux personnages différents, dont l’un prendrait à son compte tout ce qui est liberté, tandis que l’autre garderait pour lui la nécessité — celui-là, spectateur libre, regardant celui-ci jouer son rôle automatiquement. […] Dans une auto-observation rédigée en anglais, qui me fut remise il y a quelques années, je trouve l’épithète shadowy appliquée à l’ensemble du phénomène ; on ajoute que le phénomène se présente plus tard, quand on se le remémore, comme the half forgotten relic of a dream.

506. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Ici personnages et situations sont soudés ensemble, ou, pour mieux dire, les événements font partie intégrante des personnes, de sorte que si le drame nous racontait une autre histoire, on aurait beau conserver aux acteurs les mêmes noms, c’est à d’autres personnes que nous aurions véritablement affaire. […] Et pour nous induire à tenter le même effort sur nous-mêmes, ils s’ingénieront à nous faire voir quelque chose de ce qu’ils auront vu : par des arrangements rythmés de mots, qui arrivent ainsi à s’organiser ensemble et à s’animer d’une vie originale, ils nous disent, ou plutôt ils nous suggèrent, des choses que le langage n’était pas fait pour exprimer. — D’autres creuseront plus profondément encore. […] Voilà bien les éléments à fondre ensemble. […] Si vous vous endormez au milieu de gens qui causent, vous trouverez parfois que leurs paroles se vident peu à peu de leur sens, que les sons se déforment et se soudent ensemble au hasard pour prendre dans votre esprit des significations bizarres, et que vous reproduisez ainsi, vis-à-vis de la personne qui parle, la scène de Petit-Jean et du Souffleur. […] Une moyenne de justice pourra apparaître dans le résultat d’ensemble, mais non pas dans le détail des cas particuliers.

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