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1014. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Je n’ai pas d’ennemis. […] Car il voudrait faire de grandes machines, et plus de ces articles « infâmes, ignobles, crie-t-il, sur un ton qui s’indigne contre lui-même, oui, les articles que je suis obligé de faire à la Tribune, au milieu de gens dont il me faut prendre l’opinion idiote… Car il faut bien le dire, ce gouvernement avec son indifférence, son ignorance du talent, de tout ce qui se produit, rejette nos misères aux journaux de l’opposition, les seuls qui nous donnent de quoi manger… Vrai, nous n’avons absolument que cela… » Puis après un silence : « C’est que j’ai tant d’ennemis… Et c’est si dur de faire parler de soi !  […] vos ennemis eux-mêmes reconnaissent que vous avez inventé votre art ; ils croient que ce n’est rien : c’est tout ! 

1015. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

C’est à cause de lui que je me suis brouillée avec l’Impératrice… Et tout ce qu’il a eu par moi… Dans mon dernier séjour à Compiègne, il m’a demandé trois choses, j’en ai obtenu deux de l’Empereur… Et qu’est-ce que je lui demandais… Je ne lui demandais pas de renoncer à une conviction… je lui demandais de ne pas s’engager dans un traité avec Le Temps, et de la part de Rouher, … je lui ai tout offert… Il aurait été à La Liberté avec Girardin, c’était encore possible, c’était de son monde… Mais au Temps, nos ennemis personnels… où tous les jours on nous insulte !  […] Il arrive que nous, qui avons à nous plaindre, plus que personne, de ce régime (procès en police correctionnelle ou nous avons été assis entre les gendarmes, procès à propos de notre nom, que l’Empereur autorisait un monsieur, qui n’était pas de notre famille, à porter, etc.), nous, qui avons toutes les haines de purs lettrés pour ce gouvernement, ennemi et envieux des lettres, et nous qui n’avons, dans cette pétaudière d’un Empire ramolli, d’autre amitié que l’amitié de la princesse, et encore une amitié en dispute et en lutte sur toute idée et toute chose, c’est nous, dont on veut tuer près du public le talent avec la calomnie du mot « courtisans », et d’où cela part-il ? […] Au premier mot de cette lettre je devinais quelque cancan d’ennemi… Allons, jusqu’à la fin, même au bord de sa tombe, Sainte-Beuve sera le Sainte-Beuve de toute sa vie, l’homme toujours mené dans sa critique par les infiniment petits, les minces considérations, les questions personnelles, la pression des opinions domestiques autour de lui9.

1016. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Terre que consacra l’empire et l’infortune, Source des nations, reine, mère commune, Tu n’es pas seulement chère aux nobles enfants Que ta verte vieillesse a portés dans ses flancs : De tes ennemis même enviée et chérie, De tout ce qui naît grand ton ombre est la patrie ! […] Pendant que ce gouvernement combattait dans les rues de Paris pour le salut de la république et de l’assemblée ; pendant qu’il triomphait par l’armée qu’il avait préparée, par le général qu’il avait nommé, par ses propres mains, chef et soldat lui-même, offrant sa vie au feu pour défendre la représentation nationale, cette même représentation nationale le soupçonnait odieusement d’une complicité souterraine avec ses ennemis, et lui redemandait en hâte le pouvoir exécutif pour le décerner à un dictateur aussi patriote, mais pas plus dévoué que lui à la France. […] Il avait été un ardent fauteur de la révolution française dans ses commencements ; il était devenu l’ennemi le plus implacable de la cause française à la fin.

1017. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Un homme dont l’opinion avait en soi quelque chose d’auguste, M. de Bonald, fut le premier à conseiller à Audin de supprimer les morceaux, plus forts que toute réflexion, où l’ennemi de l’Église se noyait dans l’écume de son injure, et Audin se conforma, dans la seconde édition du Luther, au conseil donné par une voix si imposante et si grave, agissant en cela avec une vertu plus haute que l’amour de son œuvre, mais affaiblissant en réalité sa ferme conception de l’histoire. […] Moyen comme un autre de développer l’abnégation dans les âmes chrétiennes ; mauvais moyen de servir une cause que nos ennemis s’entendent mieux à ruiner que nous à défendre ! […] La République romaine, cet immense modèle, ne voulait entendre à rien avec ses ennemis avant qu’ils eussent mis bas les armes.

1018. (1910) Rousseau contre Molière

Je n’ai pas du tout traité ici la question de Rousseau ennemi du théâtre. […] Ici, je ne m’occupe exclusivement que de Rousseau ennemi de Molière. […] Peut-il en être étonné quand on l’en instruit, comme si c’eût été la première fois de sa vie qu’il eût été sincère, ou la première fois que sa sincérité lui eût fait un ennemi ?  […] Mais enfin Rousseau a vu un assez grand embarras à dénoncer Don Juan comme l’œuvre d’un ennemi des honnêtes gens. […]   Voilà ce que disent contre Tartuffe les ennemis de Molière.

1019. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Sans doute, le patriotisme est chez nous bien tenace, puisqu’il a résisté à tant de périls, aux sophismes de ses ennemis et aux tirades de ses défenseurs, aux déclamations hypocrites des pharisiens et à l’indifférence goguenarde des scribes. […] Tel homme de lettres, effroyablement civilisé, faisandé de lectures et farci de phrases, lui rappelle, malgré tout, le bipède flaireur et guetteur, qui fait des gambades pour égayer ses amis, des cabrioles pour désarmer ses ennemis, des grimaces pour leur faire peur, ou des génuflexions pour les attendrir. […] Ses amis, connus ou inconnus, ses ennemis (il en a certainement, puisqu’il est très célèbre) sont d’accord pour dire qu’il devait « finir par là ». […] Votre ennemi le ramasse, croyant trouver une bourse pleine. […] Notez que ce commandant était la sévérité même, impitoyable sur le service, généralement brusque dans son langage, ennemi juré des permissions.

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