L’Empire eut de si grands revers après de si prodigieuses victoires, que le mot de Voltaire resta toujours, — même après Napoléon, — comme s’il était une vérité. […] À nos yeux, l’Armée n’est pas seulement le fourreau d’où sortent les empires : Saliens in æternum !
Ainsi, parce que la centralisation administrative existait en un certain degré sous l’ancienne monarchie, il s’est imaginé que cette centralisation était une institution de l’ancien Régime, et non plus l’œuvre de la Révolution et de l’Empire. […] Or, de son propre aveu, à deux lignes de là, dans ce livre où toutes les affirmations se soufflettent, la liberté déréglée et malsaine des hommes du xviiie siècle les rendait moins propres qu’aucun autre peuple à fonder l’empire paisible et libre des lois… — En présence d’une liberté déréglée et malsaine, eh !
Plus vaniteuse que tendre, fastueuse de sa beauté autant qu’insolente de son empire, c’est bien l’effrontée qu’on retrouve, dans le seul portrait qu’on ait d’elle, « le sein tout nud » jusque sur un vitrail d’Église, et à qui Louis XI, dauphin alors, pour venger sa mère outragée, un jour appliqua un soufflet. […] Ainsi enfin, lorsque Gibbon lui-même, Gibbon, plus près des faits déjà, plus soucieux de ce qu’ils peuvent être, moins élevé, moins général que Bossuet et que Montesquieu, roule, comme une espèce de Meschacebé historique aux larges ondes, ce magnifique récit du déclin et de la chute de l’empire romain débordant sous les écroulements de la civilisation antique et sous les alluvions du Christianisme et de la barbarie, Gibbon laisse beaucoup trop aussi la personnalité de sa pensée philosophique jouer sur les faits qu’il brasse et pousse avec tant de vigueur.
Il a été évidemment écrit sous l’empire du plus grand préjugé de notre âge, dans la foi exaltée ou calme, superficielle ou profonde, d’un croyant moderne à cette Économie politique qui a succédé à une détestable philosophie, et voilà ce qu’avant tout la Critique devait signaler. […] Et si, au contraire, comme nous le pensons, il ne veut pour l’heure, en quoi que ce puisse être, se réclamer de la philosophie du xviiie siècle, s’il croit même qu’elle est de nature à compromettre ses idées, pourquoi ne s’est-il pas rendu compte des influences latentes et ambiantes sous l’empire desquelles il a écrit ?
En réalité, je n’affirmerais pas qu’il le fût avec la sécurité que j’ai, par exemple, quand j’affirme que Bonaparte est le premier, lui, dans l’ordre politique et militaire, et Byron dans l’ordre poétique ; mais il ne s’agit pas ici de réalité, il s’agit de l’opinion et de l’empire qu’un nom a sur elle. Demandez à l’écho l’empire de celui de Humboldt !
que le Don Juan de Byron devait parcourir le globe tout entier dans le plan du poète, de même le héros de Gogol devait parcourir l’empire russe ; mais ce n’était pas la main aveugle des circonstances qui le poussait à travers l’empire, c’était une pensée de spéculation.