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373. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Ceux que vous avez plaints et révérés dans le malheur, vous les aimez aussi dans la prospérité ; ceux que vous avez exécrés quand ils exerçaient la tyrannie, vous les exécrez encore quand ils sont tombés… En comparant ces deux manières de fidélité, l’une aux principes, l’autre aux personnes, je remarquerai, quoi que vous en puissiez dire, que la vôtre est beaucoup plus passionnée, beaucoup plus jeune que la mienne, et que, quelques efforts que vous ayez faits pour vous calmer par l’étude de la philosophie et une longue retraite, vous avez encore le cœur plus chaud et les sentiments plus ardents que celui que vous accusiez quelquefois de trop de jeunesse. » Bientôt la correspondance cessa, s’interrompit ; en la renouant l’année suivante, Sismondi s’y prit d’un ton fort digne, pas trop humblement, et sans faire son mea culpa du passé. […] Ce qui remplit désormais ma vie, c’est mon affection pour ma femme ; elle me tient lieu de tous les autres liens ; elle ne me laisse désirer ni regretter aucune autre société… Je ne fais plus d’efforts pour plaire aux autres… C’est ainsi que le bonheur lui-même nuit peut-être à notre perfectionnement. » Il avait raison ; pas trop de bonheur, pas tant de plénitude conjugale et domestique, pas de béatitude, qui que vous soyez, artiste ou philosophe, si vous voulez avoir encore de l’aiguillon. […] Dans une lettre à Channing, il analyse admirablement la disposition religieuse propre au XIXe siècle, en explique très-bien les origines, le point de départ, les fluctuations aussi ; « Les sentiments religieux, écrit-il (8 septembre 1831), ont été en progrès en France pendant le XIXe siècle, mais je ne sais si les efforts imprudents de ceux qui voudraient les ranimer ne les font pas, au contraire, reculer de nouveau aujourd’hui. […] C’est ainsi qu’en France, au sortir de la Révolution, un nouvel ordre de sentiments inverses et tout opposés remplaça ceux de la veille : « Quand cette Église, dit-il dans cette même lettre à Channing, eut été renversée en France par le double effort des encyclopédistes et des révolutionnaires, quand surtout un peu de calme eut succédé à la tempête, le besoin des affections tendres des cœurs, le besoin de confiance et d’espérance, l’admiration pour la création, le sentiment de la spiritualité de notre être, la soif de l’immortalité se firent sentir dans les âmes.

374. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

. — Dans l’hallucination maladive, le cordon tire encore, mais son effort est vaincu par la puissance plus grande des sonnettes ; et diverses causes, l’afflux du sang, l’inflammation du cerveau, le haschich, toutes les circonstances qui peuvent rendre les hémisphères plus actifs, produisent cet accident ; le tiraillement des sonnettes, plus faible à l’état normal que celui du cordon, est devenu plus fort, et l’équilibre ordinaire est rompu, parce qu’une des fonctions qui le constituent a pris un ascendant qu’elle ne doit pas avoir. […] Nicolaï notait une différence très nette entre le personnage tel qu’il lui apparaissait et le même personnage tel qu’un instant après il se le figurait par un effort d’attention et de mémoire. […] Lorsque le paysage, la figure agissante, le geste et la voix du personnage commencent à surgir et à se préciser, on attend, on retient son souffle ; quelquefois alors, tout apparaît tout d’un coup ; d’autres fois, c’est lentement, après des intervalles de sécheresse. — Mais, dans les deux cas, ce qui apparaît est attendu, voulu, ou du moins compris dans le cercle lâche des images attendues et voulues, puis tout de suite employé, mis à profit par la main qui écrit et note, partant suivi à l’instant de sensations répressives, en tout cas marqué dès sa naissance d’un caractère particulier qui est la propriété d’éclore par un effort personnel, dans une direction prévue, après une recherche préalable, comme un effet du dedans et non comme une impression du dehors ; de sorte que, après un éclair et un éblouissement, les sensations habituelles, tactiles, musculaires ou visuelles, peuvent sans difficulté reprendre leur ascendant normal, et, jointes à la file des souvenirs positifs, refouler le fantôme affaibli dans le monde imaginaire. — Une suite d’hallucinations très courtes qui, étant voulues, peuvent être et sont effectivement rompues et niées à chaque instant par la perception plus ou moins vague du monde réel, voilà la vision pittoresque ou poétique, très différente, comme le dit M.  […] Ou bien, après une suite de sollicitations répétées, elles atteignent le détail et la précision de la sensation réelle, en suspendant les sensations contemporaines et les souvenirs ordinaires, mais pour une seconde, par une extase fugitive qu’interrompt au bout d’un instant le retour à l’état normal, et qui alors est déclarée illusoire ou interne, parce que l’effort de volonté interne dont elle est issue surgit de nouveau avec elle dans la mémoire de l’observateur. — Supprimez ces particularités répressives et la rectification qui s’ensuit ; suspendez pour plusieurs heures ou plusieurs minutes les sensations ordinaires et la cohésion des souvenirs enchaînés, comme cela se rencontre dans le sommeil naissant ou complet ; faites, comme il arrive alors, que l’image décolorée et vague se complète, se circonstancie et se colore ; ce qui, à l’état de veille, eût été déclaré simple idée devient hallucination hypnagogique, puis rêve intense. — D’autre part, prolongez cette extase momentanée ; faites que, par un accident organique, elle se répète d’elle-même subitement, sans être attendue ni voulue, en dépit de la volonté ; vous aurez les hallucinations de Nicolaï, et, si le patient n’a pas la raison très ferme, vous aurez les visions d’un fou comme en renferment les hôpitaux, ou d’un mystique comme en fournissent l’Inde et le moyen âge22.

375. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

D’une façon générale, il apparaît que l’idée qui, dans sa pureté, allait à renier le monde, concluait au renoncement des biens terrestres, proclamait la fraternité humaine, l’égalité de tous et la vanité des différences, tenait en mépris l’effort intellectuel et la recherche scientifique, condamnait l’attachement à la beauté des formes, des mots et des sons, a donné naissance, avec le monde moderne qu’elle a créé, à l’organisation de la propriété, au développement de la richesse, à la constitution des hiérarchies, à un labeur inouï de l’humanité occidentale pour s’emparer des forces de la nature, à un accroissement des besoins, à une culture scientifique, dont le monde antique n’a pas approché, ainsi qu’à des formes d’art nouvelles et d’une égale beauté. […] Au moyen de l’idée générale, on nous suggère de diriger nos efforts vers des buts qui ne nous stimulent que faiblement, on nous contraint d’engager la lutte pour la puissance sur un terrain qui ne nous est pas favorable. […] Il est trop évident qu’ils ont un intérêt majeur à nier ces différences, afin de jouir immédiatement et d’une manière intégrale d’une civilisation qui n’a pourtant été créée, à travers le cours des siècles, que par un long effort commun. […] C’est cette lutte dont Fustel de Coulanges a magistralement exposé les phases dans la deuxième partie de son livre, où il nous montre les efforts de deux grands peuples pour mettre leurs lois en harmonie avec leurs besoins.

376. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Sans doute nous savons que quelques-uns des esprits les plus éclairés de notre temps font tous leurs efforts pour engager l’Église dans cette voie de liberté et de progrès, dans cette voie de réconciliation avec les principes fondamentaux de l’esprit moderne. Nous croyons que des cœurs chauds et purs (car pour nous tous les catholiques ne sont pas des hypocrites ou des inquisiteurs) se consacrent à cette œuvre de salut ; mais qu’importe, et quelle valeur peuvent avoir ces efforts purement individuels ? […] Je ne désarme donc point l’école spiritualiste dans ses efforts pour prouver, comme vous le dites, l’existence d’un ordre invisible. […] Or, quelque effort que je fasse, il m’est impossible ici de ne pas voir une seule et même pensée chez M. 

377. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Tous les états de fortune relèvent de lui ; tous les hommes sont bénéficiaires de l’effort. […] La foule est grossière ; sa psychologie se réduit à des éléments par trop simples pour être curieux ; elle pense à peine ; elle ne rêve pas ; elle ressemble à une pierre rugueuse, que tout l’effort de l’artiste ne rendra pas agréable à l’œil. […] Les personnages sont nés, ils vont grandir et se parfaire doucement, sans effort, comme sans arrêt. […] Il est perçu par l’esprit beaucoup mieux que l’effort dont il procède.

378. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Par deux points, ce souvenir touche à notre sujet : par l’influence de la tradition littéraire, et par l’effort de la rénovation poétique. […] Jamais il ne fut préparé à l’étude plus vaste enceinte et plus riche mobilier que le Muséum et la Bibliothèque d’Alexandrie : et, à cet effort si constant, à cette protection si empressée, on ne peut pas dire même que le génie ait fait entièrement défaut. […] Dans ce faubourg de Bruchium, où, loin du bruit des deux ports de la cité marchande, s’étendaient les galeries du Muséum, dans ce quartier paisible que surmontait sous un ciel si pur la haute tour de l’Observatoire, entre ces philosophes antiquaires ou mystiques, ces grammairiens, ces critiques occupés de recherches sur toutes les formes de l’imagination et de la poésie grecque, il devait se produire, selon l’esprit du temps, un effort nouveau de la veine poétique et s’ouvrir une mine inexplorée. […] N’y a-t-il pas ici, sous quelques rapports, un artifice, un effort de grandeur, symptôme des œuvres faussement archaïques, et qui rappelle Ossian comparé à Homère ?

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