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233. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Les caractères de la parole subsistent encore en elle, mais effacés ; elle paraît moins une parole ou quelque chose de la parole qu’un élément ou une détermination de la pensée ; son rapport avec la parole semble si faible et si lointain qu’il faut pour le reconnaître un véritable effort de réflexion ; au contraire, on ne la conçoit pas sans la pensée ni la pensée sans elle ; elle est comme un vêtement dont la pensée est toujours revêtue à nos yeux et sans lequel nous ne la reconnaîtrions pas. […] La parole intérieure proprement dite est l’écho affaibli d’un écho déjà plus faible que le son primitif ; mais, se trouvant maintenu par un effort incessant et insensible à un certain degré d’intensité [ch. […] La mémoire est une puissance à la fois matérielle et formelle ; elle fournit toujours les éléments de l’activité expérimentale, et souvent elle suffit à les former en groupes plus ou moins complexes ; mais sa force est en raison inverse de l’étendue de ces groupes ; plus elle veut embrasser, plus il lui faut d’efforts pour écarter les jeux de l’imagination236. […] Composée d’habitudes particulières, mais dont l’ordre de réalisation reste pour une grande part indéterminé, l’habitude totale n’est qu’une habitude générale 239 ; pour se réaliser en actes particuliers, mais complexes, elle doit appeler à son aide l’imagination [§ 3] ; celle-ci est nécessaire pour faire franchir à la phrase la faible distance qui la sépare de l’actualité ; mais elle n’a besoin pour cela d’aucun effort, tant les matériaux qu’elle emploie ont été bien construits, et tant ils sont habitués à s’enchâsser sans heurt entre des phénomènes de même nature aux côtés desquels ils se sont déjà souvent trouvés ; d’une part, l’analogie des images, qui toutes sont des sons, facilite leur enchaînement ; d’autre part, l’habitude totale contient, outre les habitudes particulières, spéciales à chaque mot, des habitudes encore générales, mais plus déterminées, qui résultent de l’association fréquente de certains mots ou de certains genres de mots : par exemple, après un substantif, l’habitude conseille, sans l’imposer absolument, un verbe, et, après un verbe, un adjectif240 [ch. […] Or l’invention serait impossible, si elle n’était facilitée par l’existence préalable d’une habitude générale, et elle exigerait un effort, si cette habitude, tout en demeurant générale, partant souple et variée dans son acte, n’était pas d’une réalisation facile, et, pour ainsi dire, proche de l’acte.

234. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Il aima son pays ; il le servit de ses efforts, pour la concorde au dedans et contre l’étranger. […] Aux efforts passionnés du pape, à ses bulles triomphales, à ses ambassades, pour presser la guerre et pour étendre l’alliance, Philippe II répondit seulement par la promesse de laisser sa flotte hiverner en Italie, afin d’en protéger les rivages. […] Le poëte adresse à un ami cette majestueuse complainte, où la grandeur est décrite sans emphase, et le néant des efforts humains déploré sans faiblesse : « Ces champs, ô douleur ! […] Mais bien de maladroits efforts se consumaient dans la première épreuve. […] Là cependant, admirable dans quelques strophes, Malherbe est inégal, même pour un effort de courte durée : tant cette flamme de génie, prodiguée sous le ciel de la Grèce, était départie d’une main plus avare à nos climats tempérés ; et tant ce génie moderne, qui renaissait laborieusement, avait à la fois à s’aider et à se dégager d’un amas de souvenirs !

235. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

C’est ainsi que se multiplient jusqu’à remplir des volumes, de petites piéces, qui, pour le grand nombre, ont demandé du tems, mais dont chacune n’a coûté que de foibles efforts. […] Les anthitèses ne sont donc blâmables, et ne deviennent des jeux d’esprit, que par la recherche et la continuité ; en un mot quand l’art et l’effort se font trop sentir. […] Ou fera-t’il ses efforts, pour s’en faire aimer ? […] Ainsi, tandis que le poëte tragique fait effort pour élever les ames par de grands exemples, au-dessus des sentimens vulgaires, le parodiste s’étudie à les faire retomber dans leur pusillanimité naturelle. […] Il pourroit abuser de la facilité du stile, en se contentant trop tôt de ses premieres idées, et en ne faisant pas assez d’effort pour chercher le mieux, dès qu’il se seroit offert du raisonnable.

236. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Au point de vue physiologique, l’attention a pour effet final une concentration d’efforts musculaires. Si je veux faire attention à un objet que je regarde, écoute, palpe, flaire ou savoure, je produis des efforts musculaires dans la direction de mes divers sens ; je tends les muscles de ma main pour mieux palper, ceux de mes yeux pour les accommoder à l’objet et à la lumière, etc. […] L’idée la plus pure, encore une fois, contient toujours quelque représentation sensible, est toujours accompagnée de quelque mouvement et de quelque effort ; dans la méditation, cet effort se manifeste sur le visage même par la tension et l’immobilité des traits. […] A notre avis, si l’attention volontaire, avec effort, est un état de travail, conséquemment plus ou moins exceptionnel et instable, on n’en saurait dire autant de l’attention spontanée. […] C’est donc simplement le degré de résistance qui, par le degré d’effort qu’il exige pour être surmonté, caractérise l’attention volontaire.

237. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Croce, non pas que je lui aie emprunté celles-là de mes idées qui sont le plus semblables aux siennes ; non, j’y suis arrivé par mon propre effort et par une voie différente ; mais il a affermi et précisé mes convictions ; même là où je le combats, je sais tout ce qu’on apprend d’un pareil adversaire. […] Par l’analyse le théoricien peut démonter en quelque sorte une personnalité, en montrer les rouages et les ressorts, mais sa démonstration est toujours a posteriori, et dès demain l’effort total de cet ensemble dont il croit connaître chaque partie lui réserve des surprises. […] Or quelle que soit l’infinie variété des tempéraments, on peut les ramener sans effort, en littérature, à ces trois visions : lyrique, épique et dramatique ; ou à des combinaisons de ces visions. […] L’Éducation sentimentale 50 a été, à mon insu, un effort de fusion entre ces deux tendances de mon esprit (il eût été plus facile de faire de l’humain dans un livre et du lyrisme dans un autre). […] Par un effort magnifique, Corneille y galvanise l’histoire ancienne, en la francisant ; et Racine y met toute la psychologie de son époque.

238. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

À y bien réfléchir, la certaine sensation pénible provoquée en ces vers, provient d’un excès d’effort visible. Le beau plastique est produit, — dans l’attitude d’un travailleur, par exemple, — par l’équilibre d’un rythme, par l’adaptation parfaite de ce rythme à son but, par un minimum d’effort pour un résultat à obtenir ; chaque muscle tendu prête aux autres son appui dans la stricte mesure de la force qu’il faut déployer. Ici, le sens étant deviné sans qu’on le précise, sa désignation explicite paraît un effort superflu ; il y a en cet excès une faute contre l’harmonie. — La nuance est plus aisément saisie au théâtre où toutes choses sont grossies. […] Et c’est encore la suggestion dont je parlais plus haut ; l’idée, acquérant ainsi l’aspect d’une chose inconnue puisque le lecteur ne la vit jamais auparavant environnée de ces similitudes rayonnantes, semble naître à la vie par un effort de son esprit.

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