Enfin, ni l’illusion du temps où se passe la fable, ni la condition des personnages ne lui ont caché les traits par lesquels ce drame ressemble à tant de drames domestiques, dont les acteurs sont inconnus, et qui se jouent entre les quatre murs d’une chambre : des amours malheureux ; des cœurs rebutés ; une femme passionnée, qui se sert de l’amant dédaigné pour se venger de l’amant aimé ; l’amour faisant rompre la foi jurée ; une Andromaque, une jeune mère, belle de sa jeunesse et de son malheur, qui se donne en frémissant au protecteur de son fils. […] S’il existe de lui un portrait, de la main d’un peintre tel que Tacite, il faut qu’il reste, dans le drame, égal à lui-même, qu’il vive comme le portrait, et qu’il n’en soit pas la copie.
D’où vint à la pensée du Dante ce drame sublime et fécond ? […] Ne faites pas de ceci par vos rires, messieurs, un drame de Shakspeare. […] On en trouve d’autres exemples, parmi lesquels je citerai les drames latins d’une religieuse allemande du onzième siècle, Hroswithe, qui, dans des sujets chrétiens, imite avec assez d’art de style de Térence. […] Les grandes compositions des muses modernes leur manquent : point de tragédies, point de drames, malgré les contes qu’avait fait le moine des îles d’Or, qui rapporte qu’un poëte provençal avait mis en vers toute l’histoire de Jeanne de Naples, à mesure, pour ainsi dire, que Jeanne exécutait elle-même son histoire. […] La littérature romane n’a laissé ni drames ni poëmes épiques.
Les figures d’arrière-plan ne valent que comme touches complémentaires, qui viennent préciser et vivifier le décor d’un drame tout intérieur. […] Mais, tandis que chez la plupart les faits extérieurs dominent, et oppriment les faits psychologiques qu’ils sont destinés à traduire, ici c’est une esthétique en tous points conforme à celle que formulait Renan dans une page de ses Cahiers de Jeunesse : « Je ne sais pas pourquoi les faits et incidents extérieurs, les péripéties survenant sans être un pur développement psychologique, me choquent dans le Roman et le Drame. […] Ainsi toute l’émotion, tout le pathétique du drame, c’est de savoir ce qu’il adviendra du conflit passionnel où sont engagés Augustin et Fanny, âmes adverses, toutes passionnées qu’elles soient l’une de l’autre : en voilà assez pour créer un intérêt d’intrigue qui nous tient en haleine. […] Lorsque le peintre de Drame et d’Histoire prépare une de ces vastes compositions que Delacroix appelait les Grandes Machines 9, il s’applique, après l’esquisse d’ensemble, à réaliser séparément chacune des figures qui doivent collaborer à la totalité de l’impression. […] C’est le même procédé de composition par Portraits détachés où s’affirme un extraordinaire don visuel, par Descriptions de nature, isolées en apparence, mais liées intimement aux minutes pathétiques du drame, enfin par Morceaux, exécutés avec ce souci de leur donner une exceptionnelle importance10.
L’auteur des Apôtres, de la Réforme intellectuelle et morale, des Drames philosophiques, ne leur a fait aucune part dans sa philosophie, dans sa pensée même. […] Jacques Boulenger nous proposera-t-il comme un modèle de stabilité sous ce rapport l’écrivain qui a commencé par l’optimisme inouï de l’Avenir de la Science, pour finir par le pessimisme presque nihiliste des merveilleux Drames philosophiques ? […] Sous cette idolâtrie de la sensibilité, il n’a pas de peine à reconnaître l’involontaire aveu d’épuisement et de bassesse d’une sensibilité appauvrie, qui se dérobe farouchement au contact des clartés de la pensée parce que ce qu’elle a de chétif, d’impuissant, d’égoïste, d’inférieur aux grandes choses à sentir, aux richesses de la vie, aux tumultes abondants de l’histoire, aux magnificences et aux drames de la nature, en serait cruellement percé et mis à jour. […] Ses drames accusent le sens réel de l’histoire, la connaissance lucide de tout le tragique de l’humanité. […] Certes, le drame n’est pas « bien composé ».
Il avait publié déjà les deux drames Morgane, Elen, et préparait son Isis. […] Les lettrés n’ignoraient pas qu’un admirable écrivain existait parmi eux, celui qui avait écrit la curieuse nouvelle de Claire Lenoir et le magnifique drame d’Axël, imprimés en des revues. […] Le gage le plus réel que Gérard de Nerval donna au romantisme, ce fut le drame de sa propre mort. […] A ce point de son roman, il pouvait aisément le tourner au drame sentimental, et je lui sais gré de n’en avoir rien fait. […] Lucien Muhlfeld savait à merveille, du drame ou de la comédie auxquels il assistait, résumer le sujet et l’intrigue, apprécier finement le jeu des acteurs, noter l’impression produite sur le public.
XLI Le Phédon est le plus beau drame humain avant le drame du Calvaire.