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442. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Ô doux présage ! […] D’abord il frappe l’écho des brillants éclats du plaisir : le désordre est dans ses chants, il saute du grave à l’aigu, du doux au fort ; il fait des pauses, il est lent, il est vif : c’est un cœur que la joie enivre, un cœur qui palpite sous le poids de l’amour. […] Une douce conformité d’humeur et de goûts m’unissait étroitement à cette sœur ; elle était un peu plus âgée que moi. […] Qu’ils sont doux, mais qu’ils sont rapides, les moments que les frères et les sœurs passent dans leurs jeunes années, réunis sous l’aile de leurs vieux parents ! […] La supérieure ajoutait que, depuis trente ans qu’elle était à la tête de la maison, elle n’avait jamais vu de religieuse d’une humeur aussi douce et aussi égale, ni qui fût plus contente d’avoir quitté les tribulations du monde.

443. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

je vous jure que je regrette votre douce amitié, ces promenades si tranquilles, si inconnues, si philosophiques, dignes d’un meilleur climat. […] J’en ai fait une si douce expérience, que je vous en fais part comme d’un secret infaillible qui vous sera aussi utile qu’à moi. […] Je n’ai trouvé de consolation que dans la solitude la plus profonde et en Dieu, et j’ai joui, dans ce dernier refuge, où j’aurais dû recourir bien plus tôt, de la plus douce et de la plus heureuse des existences dont ma position fût susceptible ; et à peine j’ai mis au jour ces fruits de ma retraite, qu’il s’est fait une révolution totale dans ma fortune. […] Je redescends la montagne de la vie, mais par une pente bien douce. […] Vous avez beau dire, avec votre loyauté et générosité ordinaire, que je ne dois pas me gêner pour votre dette, le plus doux fruit que je tire de mon travail est de m’acquitter de ce que je dois, et, comme votre dette est la plus ancienne que j’aie contractée, et la seule qui me reste à payer, je n’en différerai plus le moment.

444. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Lassay était de ces esprits tempérés, bien faits et polis, que l’usage du monde a perfectionnés en les usant, qui ont peu d’imagination, qui n’ajoutent rien aux choses, et qui prisent avant tout une observation juste, une pensée nette dans un tour vif et concis : « Un grand sens, disait-il, et quelque chose de bien vrai renfermé en peu de paroles qui l’expriment parfaitement, est ce qui touche le plus mon goût dans les ouvrages d’esprit, soit en vers, soit en prose. » Il n’allait pas pourtant jusqu’à la sécheresse, et il tenait à rester dans le naturel ; il croyait que les choses qu’on dit ont quasi toujours chance de plaire quand elles sont plutôt senties que pensées : « Il y a des gens qui ne pensent qu’à proportion de ce qu’ils sentent, observait-il ; et il semble que leur esprit ne sert qu’à démêler ce qui se passe dans leur cœur : ces gens-là, qui sont toujours vrais, ont quelque chose de naturel qui plaît à tout le monde. » Chamfort, qui prête quelquefois de son âcreté aux autres et qui est homme à la glisser sous leur nom, a écrit dans ses notes : « M. de Lassay, homme très doux, mais qui avait une grande connaissance de la société, disait qu’il faudrait avaler un crapaud tous les matins pour ne trouver plus rien de dégoûtant le reste de la journée quand on devait la passer dans le monde. » On ne voit rien ou presque rien dans ce que dit et dans ce qu’écrit Lassay qui soit en rapport avec une si amère parole54. […] Le fondateur et législateur de ce nouveau royaume de Salente n’est autre que l’antique et doux Lélius, l’ami de Scipion, ou plutôt Lassay, qui avait toujours son arrière-pensée d’être roi, s’est fait là un royaume comme pour lui, et s’est donné le plaisir de régner tout à son aise sans trop gouverner. […] Saint-Simon parle de lui dans sa vieillesse comme d’un fade adulateur du cardinal de Fleury ; mais, en examinant les idées, les inclinations douces et pacifiques de Lassay, on voit que le cardinal de Fleury les réalisait suffisamment à son heure, et, s’il y a eu flatterie, c’était une flatterie toute naturelle, un faible de vieillard pour un vieillard. […] Un discernement juste, une humeur douce et aisée, un bon esprit éclairé par un grand usage du monde, et cultivé par beaucoup de lecture ; un cœur qui ne respire que l’amour et qui est rempli de courage ; cette sagesse que l’expérience donne et qui est le partage de la vieillesse, accompagnée de la vivacité et de la gaieté de la jeunesse ; tout cela forme un caractère unique, et tout cela se trouve en M. le marquis de Lassay, que je vous prie d’embrasser tendrement pour moi.

445. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

David fait éternellement couler les larmes de son cœur dans le cœur d’autrui, avec le doux murmure du suintement de la source du Siloé dans la vallée des Lamentations. […] Revenant sans cesse au prix inestimable des louanges distribuées par le poète à ses héros : « Comme le vent emporte le navigateur sur la plaine liquide, « Comme les rosées abondantes engraissent la terre et la fécondent, « Ainsi les louanges des poètes contemporains aux hommes qui veulent illustrer leurs noms par leurs vertus ou par leurs victoires, « Les hymnes plus douces que le miel, transmettent leurs exploits aux siècles à venir ! […] » Puis des maximes telles que celles-ci : « La louange, compagne de la lyre, est plus douce que l’onde attiédie des bains chauds ; elle délasse les membres roidis par la fatigue. […] Quant à l’âme, on n’en voit pas la trace, on n’en entend pas le cri, on n’en recueille pas les larmes douces ou amères dans le vase du cœur versé devant Dieu.

446. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

La forme des « Essais » Michel de Montaigne229 conseiller au parlement de Bordeaux ayant résigné sa charge en 1570, à l’âge de trente-sept ans, se retira chez lui, dans son château de Montaigne en Périgord ; et là, sans souci de la guerre civile qui embrasait tout le Midi, il jouit de sa douce oisiveté de gentilhomme campagnard. […] Et voilà qu’en cherchant Montaigne, il a vagabondé de corps et d’esprit, surtout d’esprit, à travers tous les pays et tous les siècles : en cherchant les plus douces assiettes et les plus aisées postures, il a essayé toutes les assiettes et toutes les postures où la pauvre humanité s’est figurée à chaque moment trouver le repos pour l’éternité des siècles. […] Je ne vais pas désirant qu’elle eût à dire la nécessité de boire et de manger… J’accepte de bon cœur et reconnaissant ce que la nature a fait pour moi, et m’en agrée et m’en loue… Nature est un doux guide ; mais non pas plus doux que prudent et juste : je quête partout sa piste… C’est une absolue perfection et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être. » Cet optimisme épicurien, très décidé et très affirmatif, n’est pas moins le fond et l’âme des Essais que le scepticisme.

447. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Eût-il perdu la foi (ce qui, je crois, vaudrait mieux pour son dessein), il faudrait que le romancier des mœurs cléricales eût conservé le don de s’attendrir au souvenir de ses années d’enfance et de jeunesse, de sentir en quoi les pratiques et les croyances qu’il a quittées peuvent être bonnes et douces aux âmes. […] L’abbé Célestin, desservant de la paroisse des Aires, atteint de phtisie laryngée et obligé de demander son changement, est envoyé à Lignières-sur-Graveson, dans un climat plus doux. […] Puis il n’y a pas seulement, dans l’Église, des doux et des patients ; Grégoire VII ni Jules II n’ont laissé une réputation de mansuétude, et, de nos jours encore, on a vu des hommes d’Église au nom desquels on avait pris l’habitude d’accoler le mot « fougueux » comme une épithète homérique. […] VII J’aurais voulu vous montrer encore d’autres figures de prêtres : l’abbé Ferrand, le bon théologien ; Mgr de Roquebrun, l’évêque gentilhomme ; le doux abbé Ternisien, le vieux et timide Clamouse, les trois ravissants vieux chanoines de Lucifer, et Grégoire Phalippou, le moine fondateur d’ordre, et des fanatiques comme la baronne Fuster et le marquis de Pierrerue.

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