Le xviie siècle devient peu à peu une seconde antiquité digne d’être étudiée comme l’autre et à son tour il est sommé de partager avec des rivaux plus jeunes. […] Je ne crois pas devoir insister plus longuement sur l’importance littéraire de ces institutions permanentes ; je passe à ces réunions éphémères qui sous des noms divers, pléiade, cénacle, école, ne sont pas moins dignes d’être regardées de près. […] Au temps de la Renaissance, lorsque les poètes, dans un essai de groupement renouvelé des Grecs d’Alexandrie, forment sous le nom de Pléiade une brillante constellation, il faut entendre de quel ton ils parlent de leurs confrères du moyen âge et même des disciples encore vivants de Marot : « Parmi les anciens poètes françoys, quasi seuls Guillaume du Lauris et Jean de Meun sont dignes d’estre leus, non tant pour ce qu’il y ait en eux beaucoup de choses qui se doivent immiter des modernes, que pour y voir quasi comme une première imaige de la langue françoyse vénérable pour son antiquité. […] Il a fait une guerre acharnée à l’école précieuse ; il a criblé de railleries Chapelain, l’honnête Chapelain, dont le prestige était si grand que Colbert le choisissait pour dresser la liste des auteurs dignes de recevoir une pension. […] Les complaisances de la camaraderie, les admirations mutuelles, les louanges intéressées faussent le caractère, habituent à déguiser la vérité, ôtent à la pensée son allure franche et digne.
Que l’on prenne dans Martin Chuzzlewitt les filandreux bavardages que profère cette merveilleuse garde-malade, ivrognesse, larmoyante et digne, Mme Gamp ; que ce soit dans David Copperfield la grand ’tante Betsy Trotwood qui aligne ses phrases raides, sèches et remuantes comme toute sa maigre et décidée et dégingandée personne, c’est par la drôlerie de leurs paroles, la syntaxe étrange de leurs phrases et de leurs idées que se marquent tous ces types. […] Micawber, à l’instigation de sa femme, prend la résolution de jeter le gant à la société, la sommant de lui donner une position digne de ses talents. Dans Dombey et fils, la scène où le capitaine Cuttle fait, avec sa joyeuse indiscrétion, les plus compromettantes confidences au perfide Carker, est à rapprocher du joyeux et bizarre quiproquo qui met aux prises l’onctueux Pecksniff et la digne Mme Gamp, l’une croyant avec les voisines qu’on l’appelle auprès d’une femme en couches et qu’elle s’adresse à l’heureux père, tandis que son interlocuteur réclame au contraire ses services pour être de garde auprès d’un mort. […] Dickens n’est supérieur que quand il reste, comme le lui commande son talent, tout de premier jet et d’emportement, l’artiste caricatural et partial qui déforme violemment tout ce qu’il entreprend de décrire, et qui sait nous montrer les choses et les gens, mais les montrer comiques, haïssables, monstrueux, mystérieux, humoristiques, dignes de pitié ; qui, essentiellement subjectif et passionné, ne peut évoquer ni une scène ni un personnage sans les figurer de telle sorte qu’on les connaisse moins qu’on n’apprend à les juger L’art de Dickens est en effet un art moral, et c’est en vertu de règles précises, d’une vue arrêtée sur le monde, qu’il délivre le blâme et l’éloge. […] À l’autre bout au contraire de la hiérarchie sociale, les riches, les hommes de professions libérales, la classe gouvernante, les gens de négoce, tous ceux qui, animés d’un égoïsme vivace, de quelque avidité d’argent ou de pouvoir, ou en vertu de leur situation acquise, se sont placés au sommet de la nation et pèsent de leurs poids sur la masse des misérables, les offensent de leur insolence et les oppriment de leur dureté, — paraissent à Dickens, haïssables, pervers et dignes de blâme ; leurs institutions sont condamnables ; on torture les enfants dans les écoles ; on a tort d’enfermer les criminels dans les prisons ; les tribunaux sont faits pour pressurer les plaideurs, les parlements pour pérorer d’inutiles bavardages, les ministères pour perdre l’argent et compromettre les intérêts de la nation, les hospices pour maltraiter les malheureux, les banques pour voler, les salons pour échanger de niais propos avec de ridicules cérémonies.
Que de beauté, en effet, dans le vieillard digne de porter le poids et l’honneur des longues années qu’il a plu à la Providence d’accumuler sur ses épaules courbées ? […] Il se fit de cette Cléopâtre italienne, digne d’être adorée dans tous les pays, une divinité terrestre. […] En recherchant bien dans la littérature française le type original et l’ancêtre direct d’Alfred de Musset, nous ne trouvons pour cette généalogie lointaine que Saint-Évremond qui soit digne de cette parenté. […] une de ces créatures au-dessus de tout pinceau, fût-ce celui de Raphaël pour la Fornarina ; elle semblait digne d’exhausser le génie d’un jeune poète jusqu’à la hauteur idéale et sereine où l’amour des Béatrice, des Laure et des Léonore avait transfiguré le Tasse, le Dante et Pétrarque. […] Lis avec moi maintenant ces pages de ton poète favori, pour apprendre de lui comment on délire avec grâce, et déchires-en ensuite plus de la moitié, pour apprendre qu’on ne doit chanter que ce qui est digne d’être pensé, et que la littérature de l’âme est plus impérissable que la littérature des sens.
Mais lors même qu’il serait possible d’éviter l’emphase, l’ode d’André Chénier serait encore une œuvre digne d’étude ; car elle concilie heureusement la personnalité de la pensée et le respect des traditions ; elle est naturelle avec un air antique. […] Si quelque chose a droit d’exciter notre étonnement, c’est que Prévost ait laissé un chef-d’œuvre ; car les agitations innombrables de sa vie semblaient le condamner à ne produire que des ouvrages vulgaires et dignes d’un prompt oubli. […] Le mensonge est, en effet, plus digne de mépris que l’infidélité ; c’est ce que Manon comprend admirablement. […] Hugo n’ignore pas que ce livre est digne, tout au plus, de prendre place à côté de Barbe-Bleue. […] Excellent, loyal, mais d’une nature peu expansive, il considère l’empressement et la flatterie comme des enfantillages dignes de pitié, et il croirait insulter sa femme en cherchant à deviner ses caprices.
Le talent d’un tel poète est à coup sûr un digne sujet d’étude. […] Il serait difficile d’imaginer un coup de théâtre plus digne de l’art primitif. […] L’amour paternel est profondément senti, et l’auteur trouve pour le peindre des couleurs dignes du sujet. […] Malheureusement, parmi les pièces, il n’y en a pas une qui soit digne de figurer en si glorieuse compagnie. […] Hugo, pour qu’un tel personnage lui ait paru digne de la poésie dramatique.
Sandeau nous apparaît le digne émule de ses éloquents antagonistes. […] il a raillé les Grecs modernes avec une finesse et une élégance dignes du siècle de Périclès. […] C’était là, au point de vue réaliste, la seule fin digne de ce triste corps. […] Qu’il songe à se rendre digne d’intéresser et d’instruire, outre les contemporains, ceux qui viendront après eux. […] Seul le titre est alléchant et digne des romans de Gaboriau.