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794. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

J’oubliais un point : Voltaire suppose qu’Oreste tue sa mère (malgré lui) parce que les dieux veulent le punir de leur avoir désobéi en se découvrant à Électre. […] Bizarres dieux ! […] Il a aussi des simplicités qui ne sont pas sans affectation, comme quand il dit en regardant dormir les deux petits mariés : « C’est pas un homme, c’est pas une femme ; c’est des petits bons dieux. » Est-ce aller trop loin, après tout cela, que de trouver Pugnol légèrement incohérent ? […] Ils seront dieux. […] Dumas aime bien trop la vie, la trouve trop amusante à vivre et à regarder, pour croire à ces désespérances rimées. « De toutes les choses que l’homme peut souhaiter, la fortune, la richesse, la santé, l’amour, la mort, la mort est justement la seule qu’il soit en son pouvoir de se procurer tout de suite, sans l’appui des dieux, sans le secours des hommes.

795. (1890) Dramaturges et romanciers

La pensée des dieux, quand ils douèrent de beauté toutes les choses créées, fut de faire aimer leurs œuvres par les hommes, et d’arracher de leurs cœurs reconnaissants le remerciement du don qui leur était fait. Ainsi les dieux se sont glorifiés eux-mêmes dans la nature, et lorsque l’artiste et le poète chantent avec enthousiasme la beauté des êtres vivants, ils entonnent à leur insu un hymne religieux. […] Un tel travail ne peut s’opérer qu’à la condition que l’homme ne s’en mêlera pas, qu’il laissera agir en lui la nature, et qu’il attendra la volonté des dieux. […] L’amour révèle la beauté, mais ce n’est pas lui qui l’a créée ; la beauté est un don gratuit des dieux à la terre. […] Enfin, dernière supériorité, tandis que ses rivaux n’ont qu’une langue à leur service, lui sait parler à son gré la prose des simples mortels avec une mâle correction et le langage musical des dieux avec une sobriété fleurie et une élégante énergie.

796. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

On aime les chats comme on aime des objets — ou des dieux : on aime les chiens presque comme des hommes. […] Et je vous répète que ce ne sont point des brutes : ils sont doux ; leurs femmes sont chastes ; ils ont, comme les autres hommes, leurs dieux, qui sont de bons petits dieux, des fétiches, des poupées qu’ils prient, et qui les exaucent quand cela se rencontre…. […] Interminablement on en voit dégringoler, pêle-mêle, des femmes qui sont des fées, des déesses, des bergères, des nymphes, des amazones, des nixes ou des anges ; des hommes qui sont des rois, des dieux, des héros, des magiciens, des troubadours, des chevaliers ou des ondins ; et des gamines de dix à douze ans, qui représentent les Amours, maillots roses, frimousses innocentes et maquillées — déjà   sous la perruque d’étoupe, de petits arcs couverts de papier doré… Etrange, dans ce coin de grenier, cette avalanche lumineuse de créatures surnaturelles. […] Reste, Reste avec moi, cher hôte envoyé par les dieux. […] MONSIEUR, Le dieu Osiris, votre homonyme, n’était autre que le soleil ; et comme lui, en effet, vous « éclairez », dirait quelque vaudevilliste.

797. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

 xxxvii. « Comme il n’y a rien d’éternel, ni d’immuable, ni d’indépendant que dieu seul, il faut conclure que ces vérités ne subsistent pas en elles-mêmes, mais en dieu seul, et dans ses idées éternelles qui ne sont autre chose que lui-même. […] Un dieu dont l’absolue unité exclut l’intelligence, voilà le dieu de la philosophie mystique. […] Ce dieu est le père du monde 72. […] On eut des démons à soi, et en quelque sorte à ses ordres ; on n’invoqua plus seulement les dieux, on les évoqua. […] Ce front est bien celui d’un dieu : une paix inaltérable y habite.

798. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Si sages que nous soyons, nous ne sommes plus obligés de nous placer au rang des dieux. […] Le Destin, supérieur à la volonté même des dieux, pourrait, en étreignant d’une main violente toute les parties de l’action, la simplifier jusqu’à l’immobilité. […] Le poète à l’œuvre, qui se débat sous le dieu et frémit sur le trépied, est par lui-même un enseignement inappréciable, une leçon vivante, et que nulle lecture ne saurait remplacer. […] Il a connu la gloire et la popularité, il ne lui reste plus à subir que l’apothéose, il devient dieu. […] Entre un dieu et un homme, il n’y a de possible que la prière et la clémence ; or, ni la clémence ni la prière n’appartiennent à l’amitié.

799. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Oui, j’aime fort aussi les dieux Lath et Nésu. […] Moi qui vous parle, si j’avais été le dieu de la mer, je n’aurais pas exclu le pauvre animal de mon empire. […] Le fait est qu’il égorge trop volontiers des victimes sur l’autel où il fait fumer l’encens en l’honneur de ses dieux. […] Le goût, qui est son dieu, le préserve de l’envie d’approfondir et surtout d’étaler ses connaissances. […] Se mettra-t-il à genoux, le front dans la poussière, pour adorer le dieu ?

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