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648. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Le marquis d’Argenson est à bon droit un nom des plus estimés parmi ceux des politiques du dernier siècle et des hommes qui se sont occupés des matières d’intérêt public. […] Le d’Argenson dont il s’agit était le fils aîné de Marc-René, le célèbre lieutenant de police pendant les dix-huit dernières années de Louis XIV, et garde des sceaux sous la Régence. […] À cela et à ses vues encore vagues sur lui, mais qui allaient à le faire un jour ou ministre, ou ambassadeur, ou même premier président du Parlement, d’Argenson, sans trop résister, répondait toutefois en rappelant ce qui lui manquait : qu’il était honteux et timide au premier abord ; qu’il avait été mal élevé sur un point ; que son père, en portant ses préférences trop longtemps sur son cadet et en le méconnaissant hormis dans les deux dernières années de sa vie, l’avait découragé ou trop habitué à se renfermer en lui, et « avait par là engourdi son entrée dans le monde » ; qu’il était balourd au jeu, qu’il s’y ennuyait et ne savait qu’y perdre son argent, etc., etc. […] Ceux même qui n’aimaient guère de son vivant le garde des sceaux d’Argenson l’apprécient mort et le classent au rang des meilleurs ministres, un des derniers de l'école de Louis XIV, et en même temps ils parlent de lui comme d’un homme qui, vu de près, était bon homme et d’excellente compagnie.

649. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

Le roi qui dira au maréchal de Villars partant pour l’armée de Flandre en 1712 ces nobles paroles, en prévision d’un malheur suprême et de la perte d’une dernière bataille : « Je sais, monsieur le maréchal, que des armées aussi considérables ne sont jamais assez défaites pour que la plus grande partie de la mienne ne pût se retirer sur la Somme. Je connais cette rivière ; elle est très difficile à passer : il y a des places qu’on peut rendre bonnes ; je compterais aller à Péronne ou à Saint-Quentin, y ramasser tout ce que j’aurais de troupes, faire un dernier effort avec vous, et périr ensemble ou sauver l’État ; car je ne consentirai jamais à laisser approcher l’ennemi de ma capitale » ; celui qui dira cette parole est bien le même qui, quarante ans auparavant, a honoré et loué les Hollandais d’avoir tout fait pour lui fermer l’accès d’Amsterdam. […] Un Récit authentique de ses derniers instants, écrit par un témoin et assez récemment publié, nous le montre procédant et agissant sur son lit de mort « avec une manière naturelle et simple, comme dans les actions, est-il dit, qu’il avait le plus accoutumé de faire ; ne parlant à chacun que des choses dont il convenait de lui parler, et avec une éloquence juste et précise qu’il a eue toute sa vie et qui semble s’être encore augmentée dans ses derniers moments.

650. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Mais n’insistons pas trop sur cette philosophie amère qui n’est pas une habitude, qui n’est qu’une extrémité de la pensée dernière de Gavarni, et revenons avec lui à de plus amusantes satires. […] Je choisis, dans ces séries dernières et désenchantées, celle qui me paraît la plus facile, la plus directe et la mieux trouvée, la plus heureuse vraiment de ces contreparties, gaie encore et plaisante, sans rien d’odieux : les Invalides du sentiment. […] Sa nomination, proclamée avec d’autres en séance solennelle au Louvre, fut accueillie par une double salve d’applaudissements, Quelque temps après, Gavarni, qui s’entend peu aux compliments, alla chez M. de Nieuwerkerke : « J’ai voulu voir, lui dit-il, celui qui a eu l’idée de décorer Gavarni. » Arrivé à la plénitude de la vie, à la conscience du talent satisfait qui désormais peut indifféremment continuer ou se reposer, et qui a fait sa course, — après bien des traverses et une de ces douleurs cruelles qui éprouvent à fond le cœur de l’homme35, — Gavarni ne formait plus qu’un souhait : rêver, travailler encore, et trouver son dernier bonheur, comme Candide, à cultiver son jardin. […] Tout en n’étant pas insensible au progrès de la grandeur publique, il m’est bien souvent arrivé, je l’avoue, à l’aspect de ces abatis de maisons qui prenaient en écharpe de vieux quartiers de Paris et des faubourgs tout entiers, de regretter et de recomposer une dernière fois en idée ce que démasquait tout d’un coup le prodigieux ravage, ces petites maisons cachées, blotties dans la verdure et toutes revêtues de lierre, qui avaient été longtemps l’asile du bonheur ; mais jamais je ne me suis mieux rendu compte de ce genre de regret qu’en voyant menacé d’une coupe prochaine le jardin de Gavarni.

651. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Nous avons à reprendre les dernières années de la vie de Cervantes là où nous l’avons laissée, c’est-à-dire depuis la publication de la première partie de Don Quichotte (1605). […] Les publications qu’il multiplia dans ces années montrent à quel point Cervantes, désormais affranchi de tout autre occupation, était redevenu un pur homme de lettres, vidant ses portefeuilles, ouvrant une dernière fois tous ses casiers, tous ses tiroirs, et surtout ceux d’une imagination restée si enjouée et si jeune. […] Il a cependant parlé de la poésie en toute occasion avec bien du charme, mais nulle part avec plus de délicatesse que par la bouche de Don Quichotte, lorsque celui-ci, dans sa dernière sortie, vient à rencontrer l’homme au gaban vert, le vertueux hidalgo, qui se plaint à lui de son fils unique, trop adonné à la poésie. […] Il dut être enterré, selon sa volonté dernière, dans un couvent où sa fille s’était depuis peu retirée et avait fait ses vœux.

652. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

des corps célestes, ni tout à fait au dernier. […] Ô mages de l’éternelle vérité, apôtres du sacrifice, pères de la sagesse, toi, Socrate, qui pris la ciguë, toi, son élève, ô Platon, — vous, Phidias et Praxitèle, sculpteurs de la beauté, — vous, disciples de l’Évangile, Jean, Paul, Augustin, — vous, apôtres de la science, Galilée, Képler, Newton, Descartes, Pascal, — et vous Raphaël et Michel-Ange, dont les conceptions resteront toujours nos modèles, — et vous, chantres divins, Hésiode, Dante, Milton, Racine ; Pergolèse, Mozart, Beethoven, seriez-vous donc maintenant immobilisés dans un paradis imaginaire ; auriez-vous changé de nature ; ne seriez-vous plus les hommes que nous avons connus et admirés, et dormiriez-vous maintenant, véritables momies, éternellement assis à votre place dernière ? […] Racine, dans ses dernières années, croyait aux prétendus miracles qui se faisaient sur la tombe de M.  […] Biot et a ramené à leur valeur les interprétations trop adoucies et trop émoussées du vieil académicien devenu, dans ses dernières années, un catholique fidèle et soumis.

653. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. »

On n’aurait pas l’idée, d’ailleurs, de s’occuper particulièrement de lui : il n’offre qu’un intérêt assez médiocre comme individu ; il était assez spirituel, mais sans pouvoir passer pour véritablement distingué : c’est comme existence, comme variété et bizarrerie de condition sociale, que le personnage est curieux à connaître : prince du sang, abbé, militaire, libertin, amateur des lettres ou du moins académicien, de l’opposition au Parlement, dévot dans ses dernières années, il est un des spécimens les plus frappants, les plus amusants à certains jours, les plus choquants aussi (bien que sans rien d’odieux), des abus et des disparates poussés au scandale sous un régime de bon plaisir et de privilège. […] Cependant les succès réitérés auxquels était mêlé son nom avaient raccommodé dans Paris sa réputation, fort endommagée par les scandales publics des derniers Longchamps. […] On voit par là le respect que l’on doit aux discours de ville et du public : car que n’a-t-on pas dit contre lui, l’année dernière, et le tout à cause de Mlle Leduc, sa maîtresse ? […] Il fut envoyé, dans les derniers mois de cette même année 1744, sur le haut Rhin avec le chevalier de Belle-Isle ; pendant le siège de Fribourg, il s’avança avec un gros corps de troupes jusqu’à Constance.

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