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314. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

» Il a résumé toute sa théorie à cet égard dans ce mot si souvent cité, et qui, déjà dit par d’autres13, restera attaché à son nom, comme au nom de celui qui était le plus digne de le trouver et de le dire : « Les grandes pensées viennent du cœur. » Comme critique littéraire, et dans les jugements qu’il porte au début sur les écrivains qui ont été le sujet favori de ses lectures, Vauvenargues n’est pas sans inexpérience : sur Corneille, dont l’emphase lui répugne jusqu’à lui masquer même les hautes beautés, sur Molière dont il ne sent pas la puissance comique, Voltaire le redresse avec raison, avec une adresse de conseil délicate et encore flatteuse : Vauvenargues reprend ses avantages quand il parle de La Fontaine, de Pascal ou de Fénelon. […] Est-il rien de plus délicat, de plus aimable, de plus pratique et de plus encourageant, que les Conseils qu’il donne à un jeune ami ? […] Si Vauvenargues avait seulement vécu quelques années de plus, il allait se trouver dans une portion délicate et singulière.

315. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

Ce n’est pas seulement la langue ici et l’expression qui lui fait faute et qui résiste, c’est souvent le tact délicat qui est absent ! […] Jamais aucun auteur avant vous n’a eu le tact aussi fin, ni le goût aussi sûr, aussi délicat que vous l’avez. […] Il sait résister pourtant aux caresses et aux offres délicates du roi.

316. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Son père l’avait emmené en Guyenne en bas âge ; là, dans son château de Bonnefons, il plaça près de lui un jeune précepteur, qui devint plus tard un prédicateur assez célèbre, l’abbé Anselme, sujet excellent, homme sensé et distingué, d’une piété éclairée, d’une morale exacte, qui donna à son élève les meilleurs préceptes et lui laissa les plus pures impressions : « Ce n’est point sa faute, dit M. d’Antin, si je n’ai pas l’esprit et le cœur faits comme je devrais l’avoir ; il n’y a rien oublié de sa part, ses paroles et ses actions étant toujours de concert. » Mais la nature avait mêlé dans cette âme délicate et molle des goûts de séduction qui ne demandaient que l’éveil. […] Il est en habit du matin, chapeau à trois cornes, debout dans une des allées de Versailles ; beau, fin, délicat de visage, élégant de taille, de port, de geste, la jambe bien faite ; c’est un très joli portrait, et qui contraste agréablement avec celui que Rigaud fit plus tard du grand seigneur, du duc et pair arrivé au faîte des honneurs, dans toute la maturité et dans toutes les largesses de la vie, portrait à grand fracas, à perruque solennelle, où la cuirasse et l’armure sont à demi noyées sous l’hermine, mais où la physionomie plus pleine exprime bien de la force et de la beauté. […] Ce sont là, d’ailleurs, des points délicats où il nous est impossible, à cette distance, de venir prononcer un jugement.

317. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

Ce sont là de ces tours délicats de flatterie comme en avait Boileau ; ce satirique, qui savait si bien piquer au vif, est le même qui a pu dire : La louange agréable est l’âme des beaux vers. […] il récita ce dernier vers d’un ton si léger et rapide, qu’Arnauld, naïf et vif, et qui se laissait faire aisément, de plus assez novice à l’effet des beaux vers français, se leva brusquement de son siège et fit deux ou trois tours de chambre comme pour courir après ce moment qui fuyait. — De même, Boileau récitait si bien au père La Chaise son Épître théologique sur l’Amour de Dieu, qu’il enlevait (ce qui était plus délicat) son approbation entière. […] Nous avons connu des rois qui étaient moins délicats en cela que Louis XIV.

318. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Ses jugements, ses impressions sur Michel-Ange et la chapelle Sixtine, sur Raphaël et les Chambres du Vatican, sont de l’homme de goût que la nature a doué avant tout d’organes délicats, et qui ne mêle à son sentiment direct rien d’étranger ni de littéraire. […] Il y voit aussi lui-même un retour au goût gothique, lequel « étant petit, délicat et détaillé, peut convenir aux petits objets, et jamais aux grands ». […] En même temps, et si son style laisse à désirer pour un certain poli, nul plus que lui n’eut le goût fin et délicat des arts, la sensibilité italienne unie à la malice et à la naïveté gauloise.

319. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

On est forcé, quand on cite du saint François de Sales, de retrancher bien des nuances et des finesses qui sont le plus délicat de la pensée : « Ce sont des choses si minces, si simples et délicates, disait-il lui-même en en supprimant plus d’une, que l’on ne les peut dire quand elles sont passées. » Il suffit ici que nous nous attachions au gros de l’arbre et à la principale branche. […] Voici, à une première vue, ce qui m’a semblé : saint François de Sales, jusque dans ses élévations, est moins métaphysicien à proprement parler, et moins raisonneur que saint Anselme ; il est plus actif comme missionnaire, et plus entendu, ce me semble, comme évêque, plus naturellement habile dans ses relations, également délicates, avec les puissants.

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