Huet naquit à Caen, en 1630, d’un père déjà vieillard, qui lui communiqua peut-être de ce tempérament rassis et de cette égalité d’âme qui le distingua dans toute sa longue vie ; d’une mère jeune, spirituelle, « d’une humeur charmante, d’un entretien enjoué, d’un esprit délicat et pénétrant, qui savait remarquer finement le ridicule des choses et des personnes ». […] Vous avez le teint trop blanc et même trop délicat pour un homme ; les yeux bleus, plus grands que petits ; les cheveux d’un blond châtain ; le nez bien fait, la bouche grande, mais aussi propre qu’on la peut avoir, car vous avez les lèvres incarnates et les dents d’un blanc fort éclatant et qui saute aux yeux. […] Vous êtes incapable de vous venger en rendant malice pour malice, et vous êtes si peu médisant que même le ressentiment ne vous arracherait pas une médisance de la bouche contre vos ennemis ; je trouve que vous ne les ménagez que trop selon le monde ; je n’entends pas dire pourtant que vous manquiez de sensibilité pour la gloire et pour l’honneur ; au contraire, vous y êtes délicat jusqu’à l’excès. […] En littérature ancienne, Huet était du meilleur goût, du plus sain et du plus fin, du plus délicat et du plus sévère : en français, il est sujet à se tromper, à confondre, à ne point marquer nettement les différences.
Mme Favier, retirée à Champbenoist, lui continuait encore ses soins ; surtout il trouvait un accueil affectueux et délicat auprès de Mme Guérard, sa belle-fille, qui le recevait à sa ferme de Saint-Martin : Moreau a consacré le souvenir de cette hospitalité par la charmante romance de La Fermière. […] Hégésippe Moreau a eu ce bonheur au milieu de toutes ses infortunes, et aujourd’hui, si l’on interroge sur le compte du poète celle qu’il appelait alors sa sœur, elle répond en nous montrant au fond de son souvenir ce Moreau de seize ans, « de l’âme la plus délicate et la plus noble, d’une sensibilité exquise, ayant des larmes pour toutes les émotions pieuses et pures ». […] Les poètes sont une race à part, une race des plus intéressantes quand elle est sincère, quand l’imitation et la singerie (comme il arrive si souvent) ne s’y mêlent pas ; mais, dans aucun temps, cette race délicate ou sublime n’a paru se distinguer par une connaissance bien exacte et bien pratique de la réalité. […] La faiblesse tendre qui a besoin d’appui, la souffrance et le martyre d’un être délicat, se retrouvent mêlés à de l’espièglerie et à de la lutinerie gracieuse dans La Souris blanche ; c’est le plus joli conte de fées et le plus attendrissant ; c’est moins naïf que Perrault, mais aussi aimable, aussi léger, et cela ne se peut lire jusqu’à la fin sans une larme dans un sourire.
Les jours de fête, il arrivait quelquefois à l’un des écoliers les plus favorisés quelque friand morceau ; ces jours-là le régal était en commun, et par une attention délicate, pour ne pas affliger les plus pauvres, celui qui avait reçu le morceau de préférence ne se nommait pas : « Lorsqu’il nous arrivait quelqu’un de ces présents, la bourgeoise nous l’annonçait : mais il lui était défendu de nommer celui de nous qui l’avait reçu, et lui-même il aurait rougi de s’en vanter. […] Navarre, receveur des tailles à Soissons, était, nous dit un homme non amoureux (Grosley), la plus brillante partie de sa famille ; elle visait au grand, à l’extraordinaire, et se fit aimer du maréchal de Saxe : « La beauté, les grâces, les talents, un esprit délicat, un cœur tendre, l’appelaient à cette brillante conquête… Sa conversation était délicieuse70. » Marmontel nous la montre de plus imprévue, capricieuse, avec plus d’éclat encore que de beauté : « Vêtue en Polonaise, de la manière la plus galante, deux longues tresses flottaient sur ses épaules ; et sur sa tête des fleurs jonquille, mêlées parmi ses cheveux, relevaient merveilleusement l’éclat de ce beau teint de brune qu’animaient de leurs feux deux yeux étincelants. » C’est cette amazone, cette belle guerrière qui, sacrifiant l’illustre maréchal au jeune poète, enleva un matin Marmontel à ses sociétés de Paris et le transporta d’un coup de baguette dans sa solitude d’Avenay, où elle le garda plusieurs mois enfermé au milieu des vignes de Champagne comme dans une île de Calypso. […] L’air et le ton léger dont de vieux libertins savent tourner en badinage les scrupules de la vertu, et en ridicule les règles d’une honnêteté délicate, font que l’on s’accoutume à ne pas y attacher une sérieuse importance. […] Dans ce choix délicat et qui demanderait plus de temps que je n’en puis donner aujourd’hui, je n’indiquerai que le petit conte intitulé Heureusement.
À toutes les raisons qu’on a de croire que ce récit très amusant et ce portrait du premier Cosnac est de l’abbé de Choisy, j’en ajouterai une qui me paraît décisive, c’est la manière délicate et toute féminine dont il est parlé de cette nature et de ces inclinations toutes féminines aussi de Monsieur, duc d’Orléans. […] Cette place était de la plus grande importance à ses yeux, parce que le prince, presque toujours malade ou très délicat, passait des journées entières dans sa chambre : Ainsi ceux qui avaient à parler à lui étant obligés de parler à moi, cette charge était d’un grand commerce et me donnait une grande facilité pour entrer dans ses affaires et dans ses secrets. […] Le prince de Conti, qui fut la tige de cette branche des Conti, la plus brillante, la plus délicate et la plus voluptueuse de ces branches princières parasites, était un spirituel, un aimable, terrible et fantasque enfant. […] Il y a là un chapitre bien délicat à écrire, et dont Cosnac fournirait les principaux traits.
Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l’effet que d’un long travail et d’une pénible recherche ; elles sont heureuses dans le choix des termes, qu’elles placent si juste, que tout connus qu’ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, semblent être faits seulement pour l’usage où elles les mettent ; il n’appartient qu’à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée qui est délicate ; elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement, et qui n’est lié que par le sens. […] Rabelais surtout est incompréhensible : son livre est une énigme, quoi qu’on veuille dire, inexplicable ; c’est une chimère, c’est le visage d’une belle femme avec des pieds et une queue de serpent, ou de quelque autre bête plus difforme ; c’est un monstrueux assemblage d’une morale fine et ingénieuse, et d’une sale corruption : ou il est mauvais, il passe bien loin au-delà du pire, c’est le charme de la canaille : ou il est bon, il va jusques à l’exquis et à l’excellent, il peut être le mets des plus délicats. […] Ce qu’il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieux dans la raison, est manié par le premier ; et par l’autre, ce qu’il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion : ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des préceptes ; et dans celui-ci, du goût et des sentiments : l’on est plus occupé aux pièces de Corneille ; l’on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racine : Corneille est plus moral ; Racine plus naturel : il semble que l’un imite Sophocle, et que l’autre doit plus à Euripide. […] ou plutôt le naturel et le délicat ne sont-ils pas le sublime des ouvrages dont ils font la perfection ?
Chez les auteurs médiocres, l’expression est, pour ainsi dire, toujours à côté de l’idée ; leur lecture fait aux bons esprits le même genre de peine que ferait à des oreilles délicates un chanteur dont la voix serait entre le faux et le juste. […] Les anciens étaient extrêmement délicats sur cette qualité du discours ; on le voit surtout par un passage de Cicéron1, où en rapportant le trait éloquent d’un tribun du peuple, qui invoquait les mânes d’un citoyen contre un fils séditieux, il paraît encore plus occupé de l’arrangement des mots que de la grande idée qu’ils expriment. […] Mais il est dans l’harmonie une autre condition, non moins nécessaire que le choix et la succession des mots, et qui demande une oreille plus délicate et plus exercée. […] Cette nation délicate et sensible, qui connaissait l’éloquence et sa langue, avait raison sans doute d’écouter Démosthène avec admiration ; la nôtre ne serait qu’un enthousiasme outré, si elle était au même degré que la leur.