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679. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Sainte-Beuve a été un jour, aux yeux des connaisseurs, un trop rare poète pour que l’Imagination autant que la Critique ne tienne pas à connaître toute l’œuvre de l’homme qui a donné cette note unique de profondeur, et à savoir, s’il l’a perdue, comment cela se fit. […] Or, voilà la question que la Critique est en droit de poser aujourd’hui. […] Si au lieu de l’auteur, devenu infiniment littéraire, une Critique entendue s’était chargée de ranger les poésies d’un livre auquel M.  […] Ainsi elle est dans ces Rayons jaunes dont la Critique française, toujours française, s’est moquée presque autant que de la Ballade à la lune d’Alfred de Musset, et avec un sens poétique qui aurait indigné les poètes anglais, ces premiers poètes du monde ! […] Critique, érudit, anecdotier, professeur de professeurs, sachant du grec autant qu’homme de France, il a fait jusque de l’André Chénier qui déjà imitait les autres !

680. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

Cependant vingt critiques, sous des titres différens, couroient dans Athènes, afin de prouver qu’Aristophane n’avoit pas dû plaire ; mais cet excellent comique avoit aussi ses enthousiastes. […] Toutes les ironies, les plaisanteries & les critiques de Socrate, vinrent bientôt à la connoissance d’Aristophane. […] L’amour de l’égalité, l’envie de voir abbaisser dans une république le mérite suprême & dangereux, aveugla sur l’excès de la critique ; &, quoique la pièce eut d’abord été sifflée, ils honorèrent ensuite le poëte d’une couronne de l’olivier sacré.

681. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

la Critique, qui reconnaît en lui de pareils dons et qui voudrait que l’homme qui les a en tirât parti davantage, comme une femme tire parti de sa beauté quand elle en a l’intelligence, la Critique, sympathique et pourtant sincère, n’a-t-elle pas le droit de regretter que l’incohérence des images, trop habituelle, vienne si souvent jeter son ombre heurtée sur des qualités faites pour être vues dans la lumière, et qui produiraient certainement l’effet imposant qu’on devrait en attendre si le poète savait les y placer et les y retenir ? […] Barbey d’Aurevilly ne faisait la critique littéraire dans le Pays que depuis le 6 novembre 1852.

682. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Erckmann-Chatrian » pp. 95-105

D’un autre côté, la Critique, qui doit tenir compte de tout, n’a pas de pistolet à mettre sur la gorge pour forcer un homme à avoir du génie, et presque tous, quand nous n’avons pas du génie, nous commençons par l’imitation en toutes choses. […] En d’autres termes, sans être dans son genre un lord Byron, Erckmann-Chatrian a-t-il senti la vocation — cette tigresse qui dort parfois comme une marmotte — s’éveiller en lui sous le rude toucher de la Critique, et nous forcera-t-il à reconnaître qu’il a le génie fantastique, qui doit être le plus étonnant et le plus rare de tous les génies, puisque, ainsi que je l’ai avancé, il se permet tout, et que l’imagination, cette Rêveuse difficile, a toujours le droit de lui dire : Je m’y attendais ? […] C’est là une question de biographie intellectuelle que la Critique n’a pas besoin de se poser pour être sûre qu’il s’est trompé, et pour le rappeler au sentiment de son talent vrai… et possible.

683. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

Mes amis les plus intimes se sont un peu irrités des deux autres ; mais, moi, à qui vous avez dit franchement ce que vous pensez de mon gros livre, je vous sais gré d’avoir mis tant de clémence dans votre critique. […] Son ami, « son parrain, un maître en fait de critique l’a dit lui-même « assez clairement, bien qu’avec cette finesse et cette bonhomie railleuse qui, etc. » Qu’aurais-je à répondre, — et à faire ? […] Cousin, vous auriez singulièrement modifié l’idée qu’on doit se former, pour être juste, d’un critique aussi éloquent qui a su et entrevu tant de choses, qui nous a ouvert ou entr’ouvert tant d’horizons. […] « Ce n’est qu’un peu plus tard et à un second temps que la critique est née véritablement ou s’est introduite au sein de ce groupe des poëtes romantiques. […] Il y a gagné, sans cesser d’être le poète distingué et élevé que l’on connaît, de devenir un littérateur proprement dit, un critique expert en bien des matières, et non confiné à celles de poésie.

684. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

Je remarque, au milieu de ces récits animés, deux passages qui expriment l’opinion d’Horace Vernet sur la critique qui, pendant ce temps-là, était à l’œuvre et le traitait assez mal en France. […] Ne te vexe donc pas contre les cris des rabaisseurs de réputations ; laisse-les dire, et ne troublons pas notre quiétude intérieure en faisant attention à ces braillards qui, dans le fond, me représentent juste les chiens qui cherchent à mordre les roues d’un cabriolet qui passe dans la rue. » Dans une autre lettre écrite d’Alger, il disait encore, en réitérant sa profession d’indifférence sur les critiques : « Je n’estime que le succès que le bon sens vous accorde et non celui qu’on doit aux coteries ; il en est de même des critiques, qui n’atteignent pas le but lorsqu’elles le dépassent. » Je compléterai encore par deux autres citations, prises dans la correspondance de Russie, ces contre-jugements d’Horace sur la critique : « (3 mars 1843). Tu dis que tu as envoyé Thamar au Salon… Je cours les risques des observations qu’on pourra faire sur le sujet, et je me soumets d’avance aux critiques. — Fais ce que dois, advienne que pourra ! […] Juste, la critique m’a donné des leçons ; injuste, elle m’a donné des forces. […] On dirait qu’en s’y amusant on déroge à la dignité du critique biographe.

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