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641. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Nous le trouvons assez inquiet de l’espèce de coup de sang qu’il a eu samedi, disant : « Je n’aime pas les choses que je ne comprends pas !  […] Il ne surgit plus quelque grand toqué de gloire ou de foi, qui brouille un peu la terre et tracasse son temps à coups d’imprévu. […] Et revenant à la province, Colardez nous esquisse des figures pantagruéliques des vieux temps de la Haute-Marne, où nos aïeux, du matin au soir, toujours prêts à boire, nos aïeux restaient sur le banc de pierre de leur porte à raccrocher des buveurs, tandis que leurs dignes épouses se faisaient des noirs au visage, en buvant à la cave un coup du vin, et remontaient trébuchantes. Il nous peint ces triomphantes apoplexies des propriétaires dans leurs jardinets, après une rincette d’eau-de-vie, sous un coup de soleil de juin : natures perdues qui n’ont guère laissé d’héritiers que ce notaire de Daillecourt, qui ces années-ci, après un souper prolongé jusqu’à huit heures du matin, fit explosion, à table. […] Nous nous sauvons de là, et nous nous apercevons que notre système nerveux, dont l’état nous avait à peu près échappé dans la contention de toutes nos facultés d’observation, ce système nerveux secoué et émotionné de tous les côtés à notre insu, a reçu le coup de tout ce que nous avons vu.

642. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Les attaques littéraires n’agissent pas sur le coup. […] De Nittis lui répondait d’abord par des geignements, des soupirs douloureux, en se touchant le front, puis tout à coup s’écriait : « Ah ! […] Lundi 8 novembre Ces jours-ci, j’ai eu vraiment une jouissance d’esprit et de cœur, à me plonger dans un paquet de lettres de mon frère, retrouvé chez Louis Passy, un paquet de lettres de sa jeunesse, et qui me remontrent, en pleine lumière, des morceaux de notre vie, à demi effacés, et comme sortant tout à coup du brouillard, qu’apportent les années aux souvenirs d’un vieux passé. […] Il veut passer tout l’hiver en Italie… il partira aussitôt qu’il aura de l’argent… il laissera son roman et le reste… et il se décidera tout à coup, comme ça, dans l’heure du réveil… au moment où il fume son premier cigare, et où il se garderait bien de lire une lettre… Oui, le soir, il s’embarquera, à dix heures, — il est très bien avec le chef de gare, qui lui donnera un compartiment pour lui tout seul — et il prendra du chloral… et il dormira jusqu’au matin… et quand il se réveillera… il se réveillera dans du soleil, dans de la gaieté. […] — Dans la vie moderne actuelle, avec l’exiguïté des demeures, c’est bien difficile, de faire durer éternellement les chapelles des morts, les chambres d’agonie, qu’on veut toujours conserver, telles qu’elles étaient, lorsque a sonné la dernière heure d’une personne aimée ; — et ces jours-ci, ç’a été pour moi une véritable tristesse, quand j’ai entendu les coups de pioche, jetant à bas les cloisons de la chambre de mon frère, et détruisant cette espèce de survie d’un être cher, parmi les objets et les choses de son entour, brutalement démolis.

643. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

Cela nous rappelle l’admiration d’un littérateur républicain qui félicitait sincèrement le grand Rubens d’avoir, dans un de ses tableaux officiels de la galerie Médicis, débraillé l’une des bottes et le bas de Henri IV, trait de satire indépendante, coup de griffe libéral contre la débauche royale. […] La difficulté est double, — modeler avec un seul ton, c’est modeler avec une estompe, la difficulté est simple ; — modeler avec de la couleur, c’est dans un travail subit, spontané, compliqué, trouver d’abord la logique des ombres et de la lumière, ensuite la justesse et l’harmonie du ton ; autrement dit, c’est, si l’ombre est verte et une lumière rouge, trouver du premier coup une harmonie de vert et de rouge, l’un obscur, l’autre lumineux, qui rendent l’effet d’un objet monochrome et tournant. […] Il y a deux manières de devenir célèbre : par agrégation de succès annuels, et par coup de tonnerre. […] Il a, avec un esprit de choix qui lui est particulier, entre tous les sujets bibliques, mis la main sur celui qui allait le mieux à la nature de son talent ; c’est l’histoire étrange, baroque, épique, fantastique, mythologique de Samson, l’homme aux travaux impossibles, qui dérangeait les maisons d’un coup d’épaule — de cet antique cousin d’Hercule et du baron de Munchhausen. — Le premier de ces dessins — l’apparition de l’ange dans un grand paysage — a le tort de rappeler des choses que l’on connaît trop — ce ciel cru, ces quartiers de roches, ces horizons graniteux sont sus dès longtemps par toute la jeune école — et quoiqu’il soit vrai de dire que c’est M.  […] Le modelé en est beau, et cette peinture a le mérite, rare chez ces messieurs, de paraître faite tout d’une haleine et du premier coup.

644. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Ouvrez-les ; chacune d’elles est un trésor ; il y a mis, dans un étroit espace, un long amas de réflexions, d’émotions, de découvertes, et notre jouissance est d’autant plus vive que tout cela, saisi en une minute, tient aisément dans le creux de notre main. « Ce qui fait ordinairement une grande pensée, dit-il lui-même, c’est lorsqu’on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d’autres, et qu’on nous fait découvrir tout d’un coup ce que nous ne pouvions espérer qu’après une longue lecture. » En effet, telle est sa manière ; il pense par résumés : dans un chapitre de trois lignes, il concentre toute l’essence du despotisme. […] Des coups d’une force et d’une portée extraordinaires sont lancés, en passant et comme sans y songer, contre les institutions régnantes, contre le catholicisme altéré qui, « dans l’état présent où est l’Europe, ne peut subsister cinq cents ans », contre la monarchie gâtée qui fait jeûner les citoyens utiles pour engraisser les courtisans parasites466. […] Tous les mécontentements accumulés, la fatigue du présent, l’ennui, le dégoût vague, une multitude de désirs enfouis jaillissent, pareils à des eaux souterraines sous le coup de sonde qui pour la première fois les appelle au jour. Ce coup de sonde, Rousseau l’a donné juste et à fond, par rencontre et par génie. […] Joignez à cela un double sens perpétuel, l’auteur caché derrière ses personnages, la vérité mise dans la bouche d’un grotesque, des malices enveloppées dans des naïvetés, le maître dupé, mais sauvé du ridicule par ses belles façons, le valet révolté, mais préservé de l’aigreur par sa gaieté, et vous comprendrez comment Beaumarchais a pu jouer l’ancien régime devant les chefs de l’ancien régime, mettre sur la scène la satire politique et sociale, attacher publiquement sous chaque abus un mot qui devient proverbe et qui fait pétard491, ramasser en quelques traits toute la polémique des philosophes contre les prisons d’État, contre la censure des écrits, contre la vénalité des charges, contre les privilèges de naissance, contre l’arbitraire des ministres, contre l’incapacité des gens en place, bien mieux, résumer en un seul personnage toutes les réclamations publiques, donner le premier rôle à un plébéien, bâtard, bohème et valet, qui, à force de dextérité, de courage et de bonne humeur, se soutient, surnage, remonte le courant, file en avant sur sa petite barque, esquive le choc des gros vaisseaux, et devance même celui de son maître en lançant à chaque coup de rames une pluie de bons mots sur tous ses rivaux  Après tout, en France du moins, l’esprit est la première puissance.

645. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Tout à coup l’horizon entier se couvre de ténèbres qui montent et finissent par obscurcir le soleil. Un violent coup de vent ébranle alors la forêt et courbe la cime des arbres ; puis vient un éclair éblouissant, un coup de tonnerre et une pluie diluvienne. […] Un bruit limité et soudain éclate tout à coup dans ce silence. C’est le coup sourd des vagues qui s’amoncellent et qui viennent de minute en minute heurter les flancs du vaisseau ; ce sont les plaintes des madriers et des solives qui, dans cet immense chantier flottant, tendent à se détacher les uns des autres pour reprendre leur liberté ; ce sont les sifflements des ailes du vent à travers les voilures, dont cinq cents matelots intrépides prennent les ris ; le tumulte des hommes sur le pont tremblant, la voix et le sifflet du commandant, les voiles qui se déchirent et qui emportent dans les airs la force échappée de leurs plis, les mâts surchargés qui se rompent et qui tombent avec leurs vergues et leurs cordages sur les bastingages, le pas précipité des matelots courant où le signal les appelle, les coups de haches qui précipitent à la mer ces débris pour que leur poids ajouté au roulis du navire ne l’entraîne pas dans l’abîme ; le tangage colossal de ces débris mesuré par six cents pieds de quille, tantôt semble gravir jusqu’aux nuages la lame écumeuse et la diriger en plein firmament, tantôt, arrivé au sommet de la vague, se précipiter la tête la première, les bras des vergues tendus en avant dans l’abîme où il glisse, le gouvernail touchant au fond de l’océan ; les matelots suspendus aux câbles décrivent des oscillations gigantesques sur l’arc des cieux ; les canons détachés de leurs embouchures roulent çà et là sur les trois ponts avec des éclats de foudre ; à chaque effondrement du vaisseau entre des montagnes d’écumes qui semblent l’engloutir, un cri perçant monte de la prison des condamnés, puis des voix de femmes et d’enfants qui croient toucher à leur dernière heure.

646. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Que sa maîtresse l’eût fait battre, il se peut ; mais il n’ajoute pas deux autres motifs qu’il a de voyager : la peur de la justice, et la mission qu’il avait reçue de sa bande d’étudier un coup à faire à Angers sur un vieux moine fourni d’argent comptant. […] Je ne puis même résumer ici, mais il faut voir avec quelle incomparable maîtrise Commynes décompose tous les éléments, toutes les étapes de la ruine de son ancien maître, toutes les occasions de salut gâchées ou refusées et, d’autre part, le jeu de son nouveau maître, les commodités qu’il offre à son ennemi pour aller « où le conduisait son malheur130 », les multiples assurances qu’il prend pour ne rien perdre, et pour gagner à tout événement, la fiévreuse activité dont il recueille, après la mort de Charles, les résultats de son apparente indolence, l’échafaudage de motifs, le balancement de pour et contre, qui précèdent chaque démarche, chaque parole décisive : si on lit cette partie de la chronique, on comprendra du même coup et Louis XI et Commynes. […] Le narrateur s’égaie de ces « beuveries » pantagruéliques, de la grossière ivrognerie de ces grands Anglo-Saxons, de cette précieuse paix gagnée sans coup férir, parquelques centaines de tonneaux de vin de France : un imperceptible sourire illumine son récit, mais il reste discret et grave. […] Ce fut une joie pour lui de servir un homme avec qui la politique était une science, avec qui nulle intervention de sentimentalité, d’honneur, de passion même mauvaise, toutes choses gênantes pour un bon joueur, ne venait brouiller l’échiquier avant les beaux coups longuement médités. […] Il faut ajouter, pour être juste, que cette haute théorie sert à Commynes pour légitimer le succès, et engager les battus à se trouver contents : dans le jeu des empires, Dieu fait sortir les coups qu’il lui plaît ; réclamer serait sacrilège.

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