En général, la Marie-Antoinette qui ressort de la correspondance de Vienne est beaucoup moins en état d’écrire et de correspondre agréablement qu’il ne semblerait d’après les lettres, aujourd’hui plus que suspectes, qui étaient d’accord avec une flatteuse légende et dont les couleurs répondaient au besoin des imaginations. […] Elle projette ses lueurs et ses couleurs sur tout le passé ; elle crée, après coup, des enchantements et des merveilles là où il n’y a eu que de l’agrément racheté par bien des futilités. […] La catastrophe étant donnée, il y aurait eu bien vite un parti pris absolu, une unité souveraine de couleur et de ton sur les précédents de cette destinée : c’eût été la satire ou l’apothéose qui eût prévalu ; on eût eu une première Antoinette, toute divine et adorable ou tout odieuse et détestable, tout une ou tout autre, selon le courant d’opinion qui eût soufflé et régné : il n’y aurait pas eu de milieu.
Une langue n’est pas l’œuvre d’un homme ni d’un jour ; une langue est l’œuvre d’un peuple et d’une longue série de siècles, et quand cette langue, comme la langue employée par Homère, présente à l’esprit et à l’oreille toutes les merveilles de la logique, de la grammaire, de la critique, du style, des couleurs, de la sonorité et du sens qui caractérisent la maturité d’une civilisation, vous pouvez conclure avec certitude qu’une telle langue n’est pas le patois grossier des montagnards ni des marins d’une péninsule encore barbare, mais qu’elle a été longtemps construite, parlée chantée, écrite, et qu’elle est vieille comme les rochers de l’Attique et répandue comme les flots de son Archipel. […] Le cinquième élément nécessaire de cette création ou de cette poésie, c’est le don d’exprimer par la parole ce que nous voyons et ce que nous sentons en nous-mêmes, de produire en dehors ce qui nous remue en dedans, de peindre avec les mots, de donner pour ainsi dire aux paroles la couleur, l’impression, le mouvement, la palpitation, la vie, la jouissance ou la douleur qu’éprouvent les fibres de notre propre cœur à la vue des objets que nous imaginons. Il faut pour cela deux choses : la première, que les langues soient déjà très riches, très fortes et très nuancées d’expressions, sans quoi le poète manquerait de couleurs sur sa palette ; la seconde, que le poète lui-même soit un instrument humain de sensations, très impressionnable, très sensitif et très complet ; qu’il ne manque aucune fibre humaine à son imagination ou à son cœur ; qu’il soit une véritable lyre vivante à toutes cordes, une gamme humaine aussi étendue que la nature, afin que toute chose, grave ou légère, douce ou triste, douloureuse ou délicieuse, y trouve son retentissement ou son cri.
Il voit moins les couleurs que les reliefs ; il est sensible surtout aux oppositions de l’ombre et de la lumière, qui lui fournissent l’antithèse fondamentale de sa poésie. […] C’est un charmant poète et bien original, chez qui sens, émotion, couleur, comique, tout naît de l’allure des mètres et du jeu des rimes. […] Leconte de Lisle sont puissamment objectives, d’une intensité de couleurs, d’une énergie de reliefs890, à quoi rien dans la poésie contemporaine ne saurait se comparer.
L’oreille, l’œil, trouvent leur plaisir dans le rapport harmonique de deux sons ou de deux couleurs ; mais ici c’est pour ainsi dire le plus haut degré de consonance que l’âme puisse percevoir, car en même temps toutes ses puissances sont en jeu : l’imagination, les sens sont séduits, satisfaits par un des termes de la comparaison ; la raison spéculative ou le sens du beau moral, par l’autre ; et ce double plaisir est encore surpassé par celui qui naît simultanément du rapport entre les deux termes, c’est-à-dire de la similitude même. […] La puissante imagination de M. de Chateaubriand, sollicitée par tant d’émotions, ramenée vers la nature par les convulsions du monde politique, cherchant partout des démonstrations au spiritualisme, et faisant parler la terre et les cieux pour ranimer la foi religieuse, a trouvé là bien des couleurs. […] Aussi appelle-t-il lui-même ses poèmes une aurore boréale nuancée de mille couleurs qui flambe sur une terre glaciale et déserte 9.
Le premier roman qu’on a d’elle, et qui date de ce temps, porte également témoignage de ses opinions et de ses couleurs. […] En avançant, elle s’est appliquée sans trop d’efforts à les tailler dans la forme du jour, à leur en donner la coupe et la couleur : elle y a réussi. […] Son style aussi, en affectant plus de couleur, s’est tendu par endroits et s’est altéré ; il est moins pur qu’autrefois.
Un jour, dans un dîner où il s’était dit des propos de tout sel et de toute couleur comme il arrive entre jeunes gens, Carrel, qui avait laissé passer toutes ces grossièretés, se leva et se mit à débiter avec âme l’Ode sur le vaisseau Le Vengeur. […] « Ils vinrent sur la Bidassoa agiter inutilement aux yeux de nos soldats des couleurs oubliées, et, avant d’enterrer ce drapeau qui trompait leurs espérances, ils crurent lui devoir cet honneur d’être encore une fois mitraillés sous lui. » C’est Carrel qui parle de la sorte. […] Il résulta toujours de cette situation personnelle et du sentiment très chatouilleux qu’elle avait créé en lui, une assez grande indulgence, plus grande qu’on ne l’aurait attendue de sa part, dans ses jugements sur les émigrés de couleurs différentes, pourvu qu’ils fussent braves et gens d’honneur.