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1863. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Séparés de leurs contemporains, qu’ils étonnent quelquefois par leurs ouvrages encore imparfaits, avares gardiens du secret de leur érudition, à l’abri des concurrences, privés du secours des discussions, retirés à l’ombre de leur cabinet, ils ne tendent point à propager leurs connaissances, et leur mérite personnel, n’étant ni suffisamment communiqué, ni soumis à l’épreuve d’un examen constamment public, ne répand qu’au hasard des clartés générales. […] Lui, tel qu’une glace fidèle devant ses contemporains, leur devenait innocemment redoutable, en reflétant les images risibles de leurs prétentions, de leur vanité, de leur imposture, et de leurs faiblesses. […] Cependant ce sage, qui vous paraît si respectable, ne passe aux yeux de ses contemporains que pour un dialecticien spirituel dont les discours ont propagé la manie, trop funeste dans nos murs, d’argumenter et de sophistiquer sur tout. […] Est-il un auteur qui se puisse flatter de vaincre les préventions et les rivalités de ses contemporains, si le plus impartial et le moins envieux des hommes ne daigne accorder qu’une place inférieure à Molière ? […] Lui seul avait l’art de les faire, parce que lui seul voyait ce qui passait invisiblement devant les yeux de ses contemporains, et personne ne mérita mieux la qualification dont il plaisanta, lorsqu’on l’appelait le contrefaiseur de gens.

1864. (1885) L’Art romantique

Dans l’intimité de l’atelier, il s’abandonnait volontiers jusqu’à livrer son opinion sur les peintres ses contemporains, et c’est dans ces occasions-là que nous eûmes souvent à admirer cette indulgence du génie qui dérive peut-être d’une sorte particulière de naïveté ou de facilité à la jouissance. […] Dans le mythe, en effet, les relations humaines dépouillent presque complètement leur forme conventionnelle et intelligible seulement à la raison abstraite ; elles montrent ce que la vie a de vraiment humain, d’éternellement compréhensible, et le montrent sous cette forme concrète, exclusive de toute imitation, laquelle donne à tous les vrais mythes leur caractère individuel que vous reconnaissez au premier coup d’œil. » Et ailleurs, reprenant le même thème, il dit : Je quittai une fois pour toutes le terrain de l’histoire et m’établis sur celui de la légende… Tout le détail nécessaire pour décrire et représenter le fait historique et ses accidents, tout le détail qu’exige, pour être parfaitement comprise, une époque spéciale et reculée de l’histoire, et que les auteurs contemporains de drames et de romans historiques déduisent, par cette raison, d’une manière si circonstanciée, je pouvais le laisser de côté… La légende, à quelque époque et à quelque nation qu’elle appartienne, a l’avantage de comprendre exclusivement ce que cette époque et cette nation ont de purement humain, et de le présenter sous une forme originale très-saillante, et dès lors intelligible au premier coup d’œil. […] Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains I. […] Quand Victor Hugo, dans ses premières poésies, essaye de nous montrer Napoléon comme un personnage légendaire, il est encore un Parisien qui parle, un contemporain ému et rêveur ; il évoque la légende possible de l’avenir ; il ne la réduit pas d’autorité à l’état de passé.

1865. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Sous ce rapport, cependant, on pourrait dire que Montaigne a été moins directement utile à la formation de la langue que son contemporain Amyot, essentiellement français dans son tour et ses expressions, et plus facile pour le commun des lecteurs. À peine Montaigne passa-t-il pour philosophe aux yeux de ses contemporains ; on entendait par philosophie tout autre chose. […] L’usage, au fond intempestif, que Bodin voulait faire de la législation mosaïque, le fit accuser de judaïsme par plusieurs de ses contemporains. […] Mais si les deux écrivains furent contemporains, une profonde ligne de démarcation les sépare. […] On a cherché à faire ressortir cette tendance dans un dialogue supposé entre La Rochefoucauld et un de ses contemporains, dialogue où les pensées de la même couleur se serrent les unes contre les autres et font masse plus que dans l’ouvrage lui-même.

1866. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Milton séparé de ses contemporains, étranger à ses compatriotes humiliés par mille sanglantes déviations, isola son génie, et ne daigna plus avoir à faire qu’à la postérité. […] Homère a donc supérieurement choisi son action, et l’on ne doit pas s’étonner qu’elle ait flatté si vivement l’esprit de ses contemporains, ni lui reprocher d’avoir tant célébré la guerre qui les préservait d’une ruine inévitable sans elle. […] Quant au blâme de donner un vernis d’imposture aux révélations, je répondrai que Linus, Orphée, Hésiode, eurent autant de foi dans leur polythéisme que nous en avons dans la Trinité, que leur religion paraissait aussi sacrée, aussi indubitable à l’esprit de leurs contemporains, que le christianisme à la croyance des hommes de nos temps, et qu’on ne les accusa pas de coupable impiété lorsqu’ils mêlèrent des fictions à ce qui leur semblait alors des vérités saintes. […] Puisse quelque génie, aussi puissant qu’Homère, effrayer un jour leurs pareils à l’aide d’emblèmes capables de leur rendre plus visibles ces châtiments qu’ils n’évitent jamais au bout de leurs triomphes, soit sous le fer qui les attend, soit sous le poids de l’exécration des contemporains et du mépris de la postérité ; ou, si leurs cœurs durs et froids ne sont émus de rien, que de tels emblèmes de leur perfidie éclairent d’avance tous les esprits, soulèvent d’avance toutes les âmes avec tant de force, que le courage prévoyant des nations écrase ces brigands signalés dès leur naissance. […] Ce chant est un des plus épiques de Lucain : on dirait que le poète contemporain des plus odieux des Césars, irrité par la vue des scélérats couronnés qui reçurent l’héritage de la tyrannie du vainqueur de Pharsale, remontant avec indignation à la cause de tant de forfaits, dont l’horreur naquit de cette seule journée, prêt à la raconter, et préparant les esprits à la terreur, sent son imagination émue d’une frénésie qui lui fait chercher, hors des limites de la nature, quel inconcevable démon avait décrété la profanation de tous les sacrifices passés, le malheur et l’opprobre de l’avenir.

1867. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Peut-être supérieur à Lopez de Vega, son contemporain, on ne le peut comparer en aucune manière aux Garnier et aux Hardy, qui balbutiaient alors parmi nous les premiers accents de la Melpomène française. […] Tel auteur contemporain dont nous sentons à peine la valeur sera peut-être un jour la gloire de notre siècle.

1868. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Louis XIV, au Bourgeois gentilhomme, « riait à s’en tenir les côtes », nous disent les contemporains. […] Remarquez de plus, et c’est ce qui explique le succès intellectuel de Molière, non seulement auprès de ses contemporains, mais auprès de la postérité, que Molière a un flair merveilleux ou du moins bien remarquable pour démêler parmi le « sens commun » de son temps le « sens commun » qui a des chances de ne pas varier et d’être éternel. […] Les contemporains ne s’y sont pas trompés. […] Mais en même temps, faites attention, s’il a pu mettre à la volée et comme au hasard dans ses dénouements un extraordinaire si saugrenu, c’est que le goût de ses contemporains était à l’extraordinaire et ne s’offensait point du tout de ce saugrenu. […] Il fait comme éclater les formules de son temps et il efface toute la critique dramatique de ses contemporains en la dépassant.

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