À Ré, au moment le plus décisif de l’effort contre les troupes du roi qui y avaient opéré une descente, Soubise ne parut point faire de sa personne et de son bras tout ce qu’il aurait pu ; et à Viane, pendant que le maréchal Thémînes attaquait et brûlait un faubourg enchâssant vivement les troupes qu’on lui opposait, M. de Rohan fut remarqué sur un bastion de la ville, « d’où il considérait l’action une canne à la main ». […] En conseillant au roi de faire impérieusement, et même avec menaces (s’il en était besoin), ces demandes assez singulières à ses alliés protestants pour battre ses sujets protestants, le cardinal, à qui son tact présageait qu’on obtiendrait tout, savait bien pourtant qu’il se mettait en grand hasard auprès du maître si l’on essuyait un refus : Qui se fût considéré lui-même, dit-il dans un sentiment de généreux orgueil, n’eût peut-être pas pris ce chemin qui, étant le meilleur pour les affaires, n’était pas le plus sûr pour ceux qui les traitaient ; mais sachant que la première condition de celui qui a part au gouvernement des États est de se donner du tout au public et ne penser pas à soi-même, on passa par-dessus toutes considérations qui pouvaient arrêter, aimant mieux se perdre que manquer à aucune chose nécessaire pour sauver l’État, duquel on peut dire que les procédures basses et lâches des ministres passés avaient changé et terni toute la face. […] Il n’osa toutefois assumer la responsabilité d’un refus, et il se mit de la partie avec ce même sentiment de la difficulté et de la non-réussite qui constitue son étoile : « Je considérais quel fardeau je prenais sur mes épaules pour la troisième fois ; je me ramentevais l’inconstance de nos peuples, l’infidélité des principaux d’iceux, les partis formés que le roi avait dans toutes nos communautés, l’indigence de la campagne, l’avarice des villes, et surtout l’irréligion de tous. » Par irréligion il faut simplement entendre l’affaiblissement de ce principe religieux exalté qui ne s’était vu qu’au xvie siècle et qui poussait à tous les sacrifices de vie et de fortune pour la foi, affaiblissement qui tenait déjà de l’esprit moderne, et un vertu duquel beaucoup d’estimables réformés préféraient le commerce à la guerre ; Ce n’était pas le compte de Rohan ni des chefs féodaux. […] D’un côté, il savait bien que dans dix ou douze jours on les aurait la corde au cou, mais d’autre côté il considérait qu’il fallait se hâter… » Il raille donc, il insulte, il n’a nul égard aux vaincus, et il les maltraite à proportion qu’ils ont été plus constants et courageux : Le Cardinal conseilla au roi d’envoyer le maire (l’énergique Guiton) hors de la ville, à cause de la grande inhumanité dont il avait usé envers ses citoyens, ayant mieux aimé les laisser misérablement périr de faim que d’avoir recours à la clémence du roi pour mettre fin à leurs misères ; d’envoyer à Niort Mme de Rohan la douairière, comme étant indigne que Sa Majesté la vît, pour avoir été le flambeau qui avait consumé ce peuple.
— Création : peut-on se passer du système de De Luc, qui considère les six jours comme six époques indéterminées ? […] Quand je considère cette disposition toujours croissante à une mélancolie aride et sombre, l’avenir m’effraye ; de quelque côté que je tourne les yeux, je ne vois qu’un horizon menaçant ; de noires et pesantes nuées s’en détachent de temps en temps et dévastent tout sur leur passage ; il n’y a plus pour moi d’autre saison que la saison des tempêtes… » Ici se trahit le contemporain et le compatriote de René ; et quand je parle de René et d’Oberman à propos de La Mennais, ce ne sont pas des influences qui se croisent ni des reflets qui lui arrivent de droite ou de gauche : c’est une sensibilité du même ordre qui se développe sur son propre fond, mais qui hésite encore, qui se cherche et n’a pas trouvé son accent ; c’est un autre puissant malade, enfant du siècle, qui, dans la crise qu’il traverse et avant de s’en dégager, accuse quelques-uns des mêmes symptômes et rencontre, pour les rendre, quelques expressions flottantes dans l’air et qui se font écho. […] Ce n’est pas connaître le monde, en effet, que de vivre jusqu’à l’âge de trente-deux ans au fond d’une campagne, n’ayant qu’un seul ordre étroit et sévère de rapports et d’intérêts moraux, de n’avoir jamais observé la société moderne dans l’infinie variété de ses conditions, de ses opinions, de ne s’être pas accoutumé de bonne heure à considérer de plain-pied les hommes nos semblables dans la diversité de leurs goûts, de leurs aptitudes, de leurs talents et de leurs mérites, dans les directions multipliées de leur, zèle et de leur ardeur, dans leur indifférence même, qui serait bien souvent de la sagesse si elle était plus réfléchie. […] Le premier contact avec un monde plus varié a révélé au solitaire ses aspirations puissantes, irrésistibles ; il ne se borne plus à se considérer lui-même comme à La Chesnaie, il se compare : il a conscience de ce qu’il peut désormais, il osera.
Elle peut considérer les œuvres, les hommes ou les idées. […] Nisard ne considérait que les œuvres, M. Taine affecte de considérer surtout les causes proches ou lointaines dont elles sont l’aboutissement ; et, tandis que M. […] L’Académie a beau l’honorer publiquement : cela n’empêche point les plus aventureux parmi les plus jeunes écrivains, et ceux du cerveau le plus trouble, symbolistes, esthètes, wagnériens et mallarmistes d’être pour lui pleins d’égards, de le considérer comme un maître.
Cette inconséquence, en deux mots, la voici : c’est que lui, Voltaire, qui considérait volontiers les hommes comme des fous ou comme des enfants, et qui n’avait pas assez de rire pour les railler, il leur mettait en même temps dans les mains des armes toutes chargées, sans s’inquiéter de l’usage qu’ils en pourraient faire. […] Sur cet article délicat des femmes, lord Chesterfield brise la glace : « Je ne vous parlerai pas sur ce sujet en théologien, en moraliste, ni en père, dit-il ; je mets de côté mon âge, pour ne considérer que le vôtre. […] Parmi les auteurs, ceux que Chesterfield recommande surtout à cette époque, et qui reviennent le plus habituellement dans ses conseils, sont La Rochefoucauld et La Bruyère : « Si vous lisez le matin quelques maximes de La Rochefoucauld, considérez-les, examinez-les bien, et comparez-les avec les originaux que vous trouvez les soirs. […] Il prémunit tout d’abord son fils contre cette idée que les Français sont purement frivoles : Les froids habitants du Nord considèrent les Français comme un peuple frivole, qui siffle, chante et danse toujours : il s’en faut de beaucoup que cette idée soit vraie, quoique force petits-maîtres semblent la justifier.
La roue de l’histoire, qui tourné sans cesse, nous a ramenés au point de vue qu’il faut pour mieux comprendre peut-être ce que c’est qu’une nature royale et souveraine, et de quel usage elle est dans une société : donnons-nous un moment le plaisir de la considérer en Louis XIV dans sa pureté et son exaltation héréditaire, et avant que Mirabeau soit venu. […] Il était aimable de sa personne, honnête et de facile accès à tout le monde, mais avec un air grand et sérieux qui imprimait le respect et la crainte dans le public, et empêchait ceux qu’il considérait le plus de s’émanciper, même dans le particulier, quoiqu’il fût familier et enjoué avec les dames. […] Ce sont les accidents extraordinaires qui lui font considérer ce qu’il en retire ordinairement d’utilité, et que, sans le commandement, il serait lui-même la proie du plus fort, il ne trouverait dans le monde ni justice, ni raison, ni assurance pour ce qu’il possède, ni ressource pour ce qu’il avait perdu ; et c’est par là qu’il vient à aimer l’obéissance, autant qu’il aime sa propre vie et sa propre tranquillité. […] Regrettait d’en être venu si tard à l’étude de l’histoire, il considère que « la connaissance de ces grands événements que le monde a produits en divers siècles, étant digérée par un esprit solide et agissant, peut servir à fortifier la raison dans toutes les délibérations importantes ».
Meister que nous avons vu près de Grimm), son esprit avait l’habitude de considérer toutes les faces d’une affaire avec tant d’exactitude et de réflexion, sa prévoyance était tellement susceptible et tellement scrupuleuse qu’il n’était plus frappé, dans les circonstances même les plus pressantes, que des difficultés d’une décision quelconque, et ne se déterminait, pour ainsi dire, que forcément à vouloir ce qu’il voulait. […] On finit par considérer cette volonté comme un ordre de la nature, et toutes les oppositions cessent. […] Il y a des exceptions cependant, mais fort rares, et c’est alors un grand honneur réservé ou aux princes du sang, ou aux femmes étrangères de la première distinction, ou aux généraux qui viennent de gagner une bataille, ou à un ministre en crédit, à la condition cependant pour celui-ci, qu’il soit assez considéré pour laisser en doute si ce n’est pas à son mérite seul qu’on rend hommage. […] Il a saisi et rendu ces détails de société avec la curiosité du physicien qui observerait le phénomène de la rosée ou celui de la cristallisation, ou comme le Genevois Huber observait les abeilles ; un Français n’aurait pas eu l’idée de considérer ni de décrire de la sorte les choses de son propre monde.