/ 1833
254. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Joseph de Maistre »

Mais c’est là peut-être une manière de se frotter une conscience qui fait mal encore. […] qui navrent le cœur de ceux-là qui ne voudraient pas mépriser Louis XVI, que dire et que penser de ce roi de Sardaigne qui a le bonheur d’avoir pour serviteur un Joseph de Maistre, un Mirabeau sans scories, qui n’a, lui, ni dans l’intelligence, ni dans la conscience, ni dans la conduite, l’ombre d’une seule de ces taches dont Mirabeau était constellé, et qui n’écoutait pas cet homme fidèle, au génie toujours prêt pour son service, ou qui le méconnaissait après l’avoir invoqué ! […] C’était quelque chose d’incomparable, — une sensibilité, une fierté, une conscience de soi, justement révoltées, et qui, armées de toutes les puissances de l’esprit, savaient s’en servir d’une manière charmante ou poignante, sans blesser une seule fois ce respect dans lequel de Maistre avait mis l’honneur de sa vie !

255. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Georges Caumont. Jugements d’un mourant sur la vie » pp. 417-429

Mais, ni parmi les insurgés contre la mort, ni parmi les cabrés devant le Sphinx qui ne répond que dans la tombe, je n’en vois aucun de la convulsion prolongée, de la profondeur dans la conscience du mal de mourir plus épouvanté et plus épouvantant que ce phtisique de vingt-cinq ans, jetant sa phtisie contre toute consolation humaine et divine, enfermant le monde entier dans les [crevasses de son poumon, et, de cet abîme de purulence qui le dévore, envoyant ses crachats empoisonnés jusqu’à Dieu ! […] — ajoute-t-il en insistant, — je ne crois pas au ciel, mais je crois à l’enfer, où ma place est marquée de toute éternité ; à un enfer où l’inique Jeffries qui doit me juger m’ôtera, pour me confondre, le sentiment de l’iniquité divine, et par ses tout-puissants prestiges, domptant, éblouissant, affolant ma conscience, me fera avouer en grinçant des dents que l’injustice est juste, que l’horreur est clémente, qu’une faiblesse d’un instant exige une éternité de peine infinie ; que le péché originel, la prédestination, le petit nombre des élus, la damnation de Socrate et des enfants non baptisés, sont des miracles de miséricorde, et qu’il est juste et très juste qu’éternellement avec eux je hurle, et qu’éternellement ils râlent avec moi !!!… » On ne répond pas à une démence si furieuse, si contradictoire, et, disons-le, si bête… Madame de Staël a dit un jour que le secret de la conscience des écrivains se révélait par le mot qu’ils répétaient le plus.

256. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

Elle ne comportait aucun oubli de ce qui fait vivre nos consciences, mais, au contraire, elle est née de ces croyances qui, par tout ce qu’elles ont de plus excellent, se rejoignent en profondeur. […] Il n’y a plus qu’une écume sur la conscience française ; vienne le grand souffle de la victoire, tout cela sera balayé dans un grand vent d’union et de fierté nationales. […] … Je fais mes réserves, moi aussi, telles qu’un instinct du goût nous les suggère, sur ces ententes qui, dans le froid de nos vies quotidiennes, seraient des compromissions ; mais dans la fraternité du sacrifice pour la France et pour la civilisation, nos héros reçoivent spontanément le secours de toutes les prières, l’effusion de toutes les consciences bouleversées par le même sublime.

257. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Sa peine n’était pas dans son orgueil, elle était dans son incertitude de conscience, il avait remis sa conscience à l’Église, elle avait prononcé ; il crut entendre la voix de Dieu et il s’inclina sous l’arrêt. « L’autorité a déchargé ma conscience, écrivait-il le soir même de ce jour ; il ne me reste plus qu’à me soumettre et me taire, et à porter en silence mon humiliation. […] Pour l’auteur, dans sa conscience, la publication imprévue de son poëme lui causa autant de trouble que de douleur. […] Le service militaire réduit à cinq ans de présence sous les drapeaux ; les pensions aux invalides servies dans leurs familles, pour être dépensées dans leurs villages, au lieu d’être dilapidées dans l’oisiveté et dans la débauche du Palais des Invalides dans la capitale ; Jamais de guerre générale contre toute l’Europe ; Un système d’alliance variant avec les intérêts légitimes de la patrie ; Un état régulier et public des recettes et des dépenses de l’État ; Une assiette fixe et cadastrée des impôts ; Le vote et la répartition de ces subsides par les représentants des provinces ; Des assemblées provinciales ; La suppression de la survivance et de l’hérédité des fonctions ; Les États généraux du royaume convertis en assemblées nationales ; La noblesse dépouillée de tout privilége et de toute autorité féodale, réduite à une illustration consacrée par le titre de la famille ; La justice gratuite et non héréditaire ; La liberté réglée de commerce ; L’encouragement aux manufactures ; Les monts-de-piété, les caisses d’épargne ; Le sol français ouvert de plein droit à tous les étrangers qui voudraient s’y naturaliser ; Les propriétés de l’Église imposées au profit de l’État ; Les évêques et les ministres du culte élus par leurs pairs ou par le peuple ; La liberté des cultes ; L’abstention du pouvoir civil dans la conscience du citoyen, etc.

258. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

A quel instinct ou à quel sentiment peuvent donc obéir ceux de nos jeunes artistes auxquels je viens de faire allusion, en fermant leurs yeux au monde pour préserver de contacts impurs le développement de leurs consciences, en se livrant à ces jouissances secrètes, à cette culture intensive et exclusive du « moi », qui les sépare de toute humanité ? […] Goûtant chaque jour la saveur amère de sa conscience stérile, la vie n’est pour lui qu’une ironie funèbre, affolante et cruelle. […] Si votre incroyable vanité se nourrit de la conscience de posséder un privilège, soyez persuadés qu’il y a là une illusion de votre part, et que la poésie n’a pas borné sa demeure aux temples silencieux de vos personnes, car il est impossible que chaque être n’en possède pas en lui, à un degré quelconque et à une seconde de sa vie. […] Celui qui s’adonne à la femme perd secrètement, sans s’en douter, la faculté de penser métaphysiquement et d’avoir conscience de son moi supérieur. […] Mais il est aussi évident que cet obscurcissement de la conscience suprême et de sa volonté n’est que purement transitoire, sa durée correspondant à la violence et à la fréquence du coïtus.

259. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Une conscience collective et impersonnelle existerait alors en dehors des consciences personnelles et particulières : comme elles, et indépendamment d’elles, « l’âme de la cité » le « Volksgeist », l’« esprit du temps » aurait ses pensées propres. […] Tous les individus prennent-ils une égale conscience des principes directeurs de leur groupe ? […] Mais, avec la conscience de ces différences, l’exigence de l’égalité économique et politique s’accordera-t-elle aussi aisément que celle de l’égalité civile et juridique ? […] Toutefois, il faut reconnaître que rien, dans le mouvement des institutions, modernes ne permet de prévoir l’opération difficilement concevable qui consisterait à distribuer, en parts égales, les richesses de la nation : si les théories socialistes agitent la conscience publique, c’est bien plutôt lorsqu’elles dénoncent la disproportion qui subsiste entre certains travaux et certains salaires, et demandent la mise en pratique de la maxime : « À chacun selon ses œuvres. » Reste l’égalitarisme politique, qui semble en effet, au premier abord, difficilement conciliable avec l’idée de la diversité des hommes.

/ 1833