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173. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

On peut donc très bien admettre, parmi les conditions matérielles du souvenir, des vibrations qui se perpétuent. […] En effet, ayant une première fois surmonté cette résistance, l’effort a amené, parmi les conditions du milieu où il s’exerce, un changement dans le sens de son action, un changement favorable à la répétition du même acte avec un effort moindre. […] En l’absence de ces conditions, notre attention est impuissante à les provoquer. […] Les idées mêmes de telle émotion et de tel acte moteur rentrent dans cette condition générale ; les idées les plus fortes sont donc les idées des émotions et des volitions ; ce sont aussi celles qui peuvent le mieux produire dans l’organisme des traces et des trajets propres au renouvellement des représentations. […] C’est que, dans ce dernier cas, les conditions du souvenir sont des idées toujours présentes et renouvelables, non une perturbation passagère de l’organisme ; les mêmes pensées reproduisent donc le même orage intérieur.

174. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Comment l’homme sent, imagine, pense, veut, agit, c’est-à-dire quel est le phénomène organique ou psychique qui sert de condition à chacun de ces phénomènes de la vie morale, voilà ce que cette école cherche à expliquer en s’appuyant sur un genre d’observation qu’il ne faut pas confondre avec l’observation immédiate et directe, telle que la pratiquent Maine de Biran, Jouffroy et les psychologues de leur école. […] Les travaux de Bain, de Spencer, comme de tous les psychologues physiologistes de l’école anglaise, ont puissamment contribué aux progrès de cette science positive et tout expérimentale de l’homme, qui se borne à constater les rapports des phénomènes psychiques et à en déterminer les conditions. Toute cette théorie de l’association des idées, par exemple, n’est pas simplement ingénieuse, elle est vraie par un côté, et féconde en explications heureuses, du moment qu’il ne s’agit que de connaître les antécédents et les conditions d’un phénomène donné. […] Encore ici il est facile de voir que l’école expérimentale confond les conditions des phénomènes avec leurs causes. […] Et alors même qu’il serait prouvé qu’il n’y a pas une seule exception à cette loi, que toujours et invariablement l’acte volontaire est déterminé, tantôt par un jugement de la raison, tantôt par un mouvement de la sensibilité, serait-on fondé à en induire que cette condition est la cause, et que l’acte n’est pas réellement libre ?

175. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Pour être un bon peintre des mœurs cléricales, il me semble qu’il faudrait réunir au moins trois conditions. […] La seconde condition, ce serait, après avoir vécu à l’église, à la sacristie et au presbytère, d’en être sorti. […] Une dernière condition, ce serait d’entreprendre ces descriptions et ces études dans un esprit de sympathie respectueuse. […] Il se trouvait dans les meilleures conditions pour affronter une si difficile entreprise. […] Ferdinand Fabre a su placer l’abbé Célestin dans les conditions les plus propres à mettre au jour et à montrer sous toutes ses faces cette délicieuse naïveté ecclésiastique.

176. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

C’est à la catégorie des rapports de succession qu’appartient la causalité ; mais tout rapport de succession n’est pas un rapport de causalité ; il faut pour cela qu’il remplisse des conditions essentielles qui vont être déterminées. […] Le rapport de cause à effet a lieu d’ordinaire entre un groupe d’antécédents et un groupe de conséquents, quoiqu’en général, par un procédé tout arbitraire, on mette à part un de ces antécédents sous le nom de cause, les autres étant appelés simplement des conditions. […] C’est que cette succession n’est pas inconditionnelle ; la production du jour est soumise à une condition qui n’est pas l’antériorité de la nuit, mais la présence du soleil. […] Herbert Spencer, dans une lettre à Stuart Mill où il répudie le titre d’anti-utilitaire que celui-ci lui avait appliqué, formule ainsi sa critique en se fondant sur la doctrine des conditions d’existence : « Je diffère des Utilitaires non sur le but à atteindre, mais sur les moyens à suivre. […] L’objet de la morale doit donc être de déduire des lois de la vie et de ses conditions d’existence, quelles sont les espèces d’actions qui tendent nécessairement à produire le bonheur et quelles sont les espèces d’actions qui tendent au contraire.

177. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

C’est ainsi que jusqu’à leur dernier souffle ils continuent de se concevoir autres qu’ils ne sont, comme si c’était là la condition même de leur existence. […] L’homme primitif, dans son désir de survie, nie le fait de la mort naturelle : il n’y voit qu’un changement de condition et l’explique de mille façons ingénieuses, naïves ou grossières. […] Il est aisé de vérifier cette loi en en considérant les effets dans la sensibilité d’un même individu : il suffit de le choisir tel que durant la brève période de sa vie, la fortune l’ait soumis à des conditions diverses et contraires. […] C’est là ce qui le distingue vraiment de toutes les autres espèces et c’est à cause de cette humeur spéciale qu’il change autour de lui les conditions du milieu auxquelles les autres animaux s’adaptent dans la mesure qu’ils peuvent et dans les limites permises par leur organisme. […] De même qu’avec la passion amoureuse, l’homme, croyant n’agir qu’en vue de son bonheur, remplit les desseins du Génie de l’Espèce, de même, avec la recherche scientifique, croyant améliorer les conditions de sa vie, il sert les vues du Génie de la Connaissance.

178. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Son caractère naturaliste, et la condition de la vraisemblance imposée aux écrivains, rendent compte de ce qu’ont parfois les œuvres d’un peu sévère et sec, et de médiocrement flatteur pour l’imagination. Le même naturalisme, et la condition de chercher un objet d’imitation universel et permanent, nous font comprendre pourquoi le xviie  siècle n’a pas eu de poésie lyrique — ou si peu — et pas d’histoire. […] La réduction de la beauté et de l’idéal littéraire à la vérité et à la nature, et du plaisir à la raison, c’est-à-dire au général, le sentiment de l’inaltérable identité de l’esprit humain correspondant à la confiance du savant en sa raison, la condition d’universalité objective et formelle imposée à la poésie, correspondant au principe de la permanence des lois de la nature, l’indépendance de la raison universelle maintenue sous l’autorité du consentement universel, la notion enfin de la vraisemblance, équivalent littéraire de l’évidence mathématique : tout cela est bien conforme à l’esprit de Descartes, et l’Art poétique fait l’effet de n’être qu’une transposition des idées cartésiennes. […] Ils prennent les lois et les règles comme des conditions données à leur activité, comme une sorte de cahier des charges imposé à l’artiste qui entreprend de faire une œuvre, tout au plus comme une méthode qui permet d’obtenir économiquement et sûrement la plus grande somme de perfection. […] Il fit parler spirituellement et même raisonnablement son abbé sur la technique des beaux-arts ; il y distingua des beautés universelles et des beautés relatives ; il fit voir que les formes, le style et le goût sont choses infiniment variables, qui enveloppent et déguisent certaines conditions générales et permanentes.

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