C’est cette confusion de rumeurs et ce nuage gros d’alarmes qu’André Chénier a surtout à cœur d’éclaircir et de démêler. […] En général, la politique d’André Chénier doit être envisagée comme une politique de droiture et de cœur, émanée d’une simple et haute inspiration personnelle. […] Mais non, c’est encore l’homme de cœur et le valeureux citoyen qui, sans se soucier du succès et bravant le péril, ne peut étouffer le cri de ses entrailles. […] Car il aime, il revit, il espère ; il va chanter comme autrefois, et la source d’harmonie va de nouveau abonder dans son cœur et sur ses lèvres. […] Comisaire — Et maintenant, pour se soulager le cœur gros de dégoût, qu’on relise les derniers ïambes du poète !
Sa mère Anne Donne, de noble naissance, mourut jeune en 1737, laissant deux fils ; William n’avait alors que six ans, mais il garda des premiers temps de son enfance et des tendresses de sa mère un souvenir vif et profond, gravé plus avant en son cœur par le régime tout différent auquel il fut soumis le lendemain de cette mort ; il a consacré ce souvenir, à plus de cinquante ans de distance, dans des vers composés par lui en recevant d’une cousine le portrait de sa mère (1790). En les lisant, on n’y retrouve pas seulement l’affectueuse émotion qui serait dans le cœur de bien des fils à la vue de ce qui ramène vers les années heureuses, mais on y reconnaît aussi ce qu’il y avait de particulièrement sensible, de tendrement sensitif et douloureux dans cette nature de Cowper, qui avait avant tout besoin de la tiédeur et de l’abri du nid domestique : En recevant le portrait de ma mère Oh ! […] Je n’oserais me fier à mon cœur ; ce délicieux bonheur semble si désirable ! […] S’il pleuvait ou s’il faisait trop de vent pour sortir, la conversation se tenait au-dedans, ou bien on chantait quelques hymnes que Mme Unwin accompagnait sur le clavecin, et dans ce petit concert spirituel, c’était le cœur de chacun qui faisait le mieux sa partie. […] Ceux-là entre les chrétiens méritent le mieux ce nom, qui ont à cœur de faire de la paix leur but ; la paix, qui est à la fois le devoir et la récompense de celui qui rampe et de celui qui vole2.
Ce qui la rapproche surtout de cet homme de grand esprit et qui avait laissé jusqu à présent trop peu de souvenir, c’est une certaine conformité dans la manière de juger les choses et les personnes, le besoin de causer à cœur ouvert, d’être entendue de quelqu’un. […] La vie de cœur de Mme de Créqui paraît s’être concentrée, durant ses belles années, sur deux personnes, ce fils unique et son oncle le bailli de Froullay. […] Au sujet de ces agitations, de ces énergies de cœur et d’esprit qu’elle lui marquait, il lui disait encore : « Votre âme se porte trop bien, elle vous use ; vous n’aurez jamais un corps sain. » — À la paix, après quelques années passées à observer les riches héritières, le marquis de Créqui se maria avec Mlle du Muy ; cette union, tout en vue de la fortune, fut sans bonheur, et les zizanies, les chicanes qu’elle engendra rejaillirent jusqu’à Mme de Créqui, et lui causèrent bien des ennuis et même des pertes d’argent considérables ; mais ce qui l’atteignait plus que tout, c’était l’indifférence et l’ingratitude de cœur de son fils, qui ne parut jamais s’apercevoir des sacrifices et de l’affection de sa mère. Celle-ci écrivait à M. de Meilhan en octobre· 1787 : « Depuis vingt ans que je compte ce que je pouvais avoir d’agrément, et à quelle perspective j’avais tant sacrifié, et que j’ai vu à quoi cela était réduit, j’ai senti qu’il fallait se pendre ou se consoler : j’ai pris le dernier parti… » Mais cette espèce de consolation, qui n’est que le pis-aller du désespoir, est morne et laisse le cœur bien flétri. […] L’amour n’a jamais seulement effleuré son âme ; l’amitié suffit à sa sensibilité… La vie de cœur de Mme de Créqui, aux années actives, se résume en ces deux mots : Elle a aimé son digne oncle, et elle a souffert par son fils.
Alfieri, comme une âme rigide qui se fige pour jamais en un moment décisif et en un sentiment unique, nous voua dès lors une malédiction immortelle, et emporta en son cœur la haine de la France et des « singes-tigres », comme il les appelait, qui y avaient usurpé la domination. […] Chaque cœur, chaque esprit sincère pourrait ainsi noter toute sa vie morale sur les marges de son La Bruyère. […] j’ai tout perdu : c’est comme si on m’avait arraché le cœur ! […] Je suis fâché que ce cœur, fortifié et soutenu par Alfieri, ait eu besoin d’un autre appui. » M. de Chateaubriand ne tient aucun compte, dans ce portrait dénigrant, d’un certain « air majestueux » que d’autres ont reconnu jusqu’à la fin à Mme d’Albany. […] Elle y revenait aussi prudente que jamais et bien avertie de l’être, mais au fond du cœur, on le conçoit, médiocrement reconnaissante.
Tout dévoués au réel, à l’effectif, au vrai, ils ne sont pas privés pour cela d’une manière de beauté et de bonheur ; beauté nue, rigide, sentencieuse, expressive sans mobilité, assez pareille au front vénérable qui réunit les traits sereins du calme et les traits profonds des souffrances ; bonheur rudement gagné, composé d’élévation et d’abstinence, inviolable à l’opinion, inaccessible aux penchants, porté longtemps comme un fardeau, pratiqué assidûment comme un devoir, et tenant presque en entier dans l’origine à cette âpre et douloureuse circoncision du cœur, dont on reste blessé pour la vie. […] Charles Nodier a débuté par des romans passionnés et déchirants, lambeaux arrachés d’un cœur tout vulnérable ; mais, à la différence d’Oberman, l’auteur du Peintre de Saltzbourgne s’est pas replié obstinément dans la vie intérieure. […] L’activité d’une passion profonde est pour lui l’ardeur du bien, le feu du génie : il trouve dans l’amour l’énergie voluptueuse, la mâle jouissance du cœur juste, sensible et grand ; il atteint le bonheur, et sait s’en nourrir… Je ne condamnerai point celui qui n’a pas aimé, mais celui qui ne peut pas aimer. […] Cœurs vraiment sensibles, qu’une destinée sinistre a comprimés dès le printemps, qui vous blâmera de n’avoir point aimé ? […] L’inquiétude gronde encore sans doute dans son cœur, mais elle diminue, mais elle s’endormira ; on comprend qu’Oberman doit vivre et que son front surgira à la sereine lumière.
L’histoire d’un cœur est celle de beaucoup ; une âme d’élite hors de ses voies, si elle est bien étudiée et connue, donne la clef de bien des âmes. […] Est-ce donc qu’Amour a tiré trois flèches, comme pour blesser, non pas un seul cœur en moi, mais trois cœurs ? » Prolonger de telles situations, les créer par amusement, tout en se flattant d’avoir trois cœurs, c’est le sûr moyen de n’en avoir bientôt plus un ; à un tel régime la sensibilité véritable s’épuise, la volonté se ruine et s’use, l’être moral intérieur arrive vite à un complet délabrement. […] Et, pour prouver que je n’ai aucun parti pris après non plus qu’avant, je veux citer de lui une lettre encore, mais toute différente de celles qu’on connaît, une lettre fort simple en apparence, et qui a cela de remarquable à mon sens, qu’entre toutes les autres que j’ai vues, elle est la seule où il témoigne avoir un peu de calme et de contentement dans la tête et dans le cœur. […] Je me le suis souvent reproché, mais j’ai tant couru le monde, surtout depuis le printemps, que je ne savais où je pourrais recevoir votre réponse, et c’est bien dans l’espoir d’obtenir de vos nouvelles, et par le besoin de cœur que j’en ai, que je vous écris.