L’entretien s’animant à ce sujet, et continuant de parler de cette sorte de chanson et de son influence électrique sur les nations à certaines heures, Gœthe disait qu’il fallait pour cela qu’une nation n’eût qu’une tête et qu’un cœur et, à un moment donné, qu’une seule voix : « Mais, ajoutait-il, une poésie politique n’est aussi que l’œuvre d’une certaine situation momentanée qui passe et qui ôte à la poésie la valeur même qu’elle lui a donnée. » Il reconnaissait qu’il y avait seize ans, même dans cette Allemagne si divisée, mais unie alors dans un sentiment commun contre l’étranger, un poëte politique aurait pu exercer aussi son influence sur le pays tout entier, et il ajoutait : « Mais ce poëte était inutile : le mal universel et le sentiment général de honte avaient, comme un démon, saisi la nation ; le feu de l’inspiration qui aurait pu enflammer le poëte brûlait déjà partout de lui-même.
Et puis, quand, tout cela sera fait et parfait, quand il se sera maintenu au premier rang des ministres du second ordre force de zèle et de miracles administratifs ; quand il pourra se vanter auprès du roi d’avoir accompli ses désirs les plus chers, d’avoir converti vingt-deux mille âmes sur vingt-deux mille, moins quelques centaines, et cela dans l’espace d’environ seize mois ; quand il aura plus que personne contribué, par cette fausse apparence d’une réussite aisée, au fatal Édit qui s’ensuivit ; lorsqu’il aura inscrit de gaieté de cœur son nom dans l’histoire au-dessous de celui de Baville, ce même, honnête homme s’en ira jouir de sa réputation acquise, dans une intendance heureuse et plus facile, il s’y fera aimer, aimer surtout des savants qu’il assemblera et présidera volontiers, et avec une entière compétence ; il fondera des chaires, il fera des fouilles, il découvrira d’antiques cités enfouies, en même temps qu’il embellira les cités nouvelles ; il recherchera des manuscrits, il aura un riche cabinet de médailles, il sera auprès des curieux l’aménité même et recueillera pour tant de services pacifiques et d’attentions bien placées des éloges universels.
Sa lyre tomba, elle se tut ; — et, pressant son cœur à deux mains, elle resta quelques minutes les paupières closes à savourer l’agitation de tous ces hommes. » C’est alors que l’Africain Mâtho se penche involontairement vers elle.
Le maître y met de la préparation, un air de solennité mystérieuse : « Ce n’est pas de ton savoir-faire ordinaire que j’ai besoin dans l’affaire présente, mais d’autres qualités que j’ai remarquées en toi, ta fidélité et ta discrétion. » — « J’écoute. » — Et ici le maître rappelle à l’affranchi ses bienfaits : il l’a acheté tout enfant, il l’a toujours traité avec douceur et clémence : le voyant servir d’un cœur si honnête, il lui a donné ce qu’il y a déplus cher, il l’a affranchi.
Quelque mauvaise que fût la cause, elle avait des parties faites pour tenter un jeune talent, sinon pour intéresser un jeune cœur.
. — La paix est dans notre âme, et l’indulgence dans notre cœur.