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199. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Que si cependant, par suite de certaines circonstances, l’homme ou plutôt la majorité des hommes qui forment une société vient à se prendre d’une passion unique et violente ; si cette société, comme il arrive en temps de révolution, en proie à une idée fixe, s’obstine à ce qu’elle prévaille, et, irritée des obstacles, n’y répond que par une volonté d’une énergie croissante, n’est-il pas évident alors que l’historien peut et doit tenir compte de cette disposition morale, désormais ordonnatrice toute-puissante des événements, la mêler à chaque ligne de ses récits, et les pénétrer, les vivifier tout entiers de cette force des choses, qui n’est après tout que la force des hommes ? […] Thiers n’a pas prétendu répartir avec méthode ses émotions, et s’il lui arrive de jeter parfois une plainte sur les tombes entrouvertes de certains coupables immolés, cette plainte lui échappe sincère et légitime encore ; elle lui est arrachée, comme au lecteur, par quelque circonstance de leur supplice, et par cette conviction qu’ils n’ont été qu’égarés.

200. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VI. De l’emploi des figures et de la condition qui les rend légitimes : la nécessité »

Le Cid sent ce que Corneille décrit, et ses paroles insensées sont dans la circonstance l’expression propre du sentiment. […] La conclusion de tout ceci, c’est qu’il faut se proposer de parler proprement et justement ; qu’il ne suffit pas même que les figures soient le produit spontané de l’esprit ; qu’il faut encore exercer sur ce que l’on écrit un contrôle sévère, et ne recevoir aucune métaphore, aucune figure d’aucune sorte, que lorsqu’on sent qu’elle est dans la circonstance l’expression propre, adéquate de la pensée, lorsqu’elle apparaît comme véritablement et rigoureusement nécessaire.

201. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Par la vertu de cette illusion, les hommes ressemblent à des sujets hypnotisés qui, ayant reçu pendant leur sommeil une suggestion, créent pour l’accomplir, sitôt que l’heure est venue, les circonstances et le décor qui leur sont nécessaires, modifiant et travestissant s’il, le faut le monde extérieur, et suscitant aussi dans leur âme toute nue germination de motifs, afin d’enraciner l’acte dans les régions profondes de leur volonté, de lui imprimer le sceau de leur personnalité coutumière. […] À savoir qu’ils ne peuvent rien changer à la forme de leur volonté, aux modes de leur activité, à la fatalité de leurs passions, non plus qu’aux circonstances avec lesquelles leur personne doit en venir aux prises, la plupart des hommes seraient atteints de désespoir ou frappés de torpeur.

202. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Le temps & les circonstances empêchèrent ce prince d’avoir recours à plusieurs beaux-esprits, qui depuis ornèrent sa cour devenue une des plus magnifiques & des plus galantes de l’Europe. […] Son principal mérite est celui des circonstances.

203. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre III. Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaison. »

Les noms reviennent sans fin, et rarement le pronom les remplace ; circonstance qui, jointe au retour fréquent de la conjonction et, annonce, par cette simplicité, une société bien plus près de l’état de nature, que la société peinte par Homère. […] Les comparaisons homériques sont prolongées par des circonstances incidentes : ce sont de petits tableaux suspendus au pourtour d’un édifice, pour délasser la vue de l’élévation des dômes, en l’appelant sur des scènes de paysages et de mœurs champêtres.

204. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

On va voir en foule un spectacle des plus affreux que les hommes puissent regarder, je veux dire le supplice d’un autre homme qui subit la rigueur des loix sur un échaffaut, et qu’on conduit à la mort par des tourmens effroïables : on devroit prévoir néanmoins, supposé qu’on ne le sçut pas déja par son experience, que les circonstances du supplice, que les gemissemens de son semblable feront sur lui, malgré lui-même, une impression durable qui le tourmentera long-tems avant que d’être pleinement effacée ; mais l’attrait de l’émotion est plus fort pour bien des gens que les reflexions et que les conseils de l’experience. […] En effet, un joüeur habile doué du talent de combiner aisément une infinité de circonstances, et d’en tirer promptement des consequences justes ; un joüeur habile, dis-je, pourroit faire tous les jours un gain certain en ne risquant son argent qu’aux jeux où le succès dépend encore plus de l’habileté des tenans, que du hazard des cartes et des dez : cependant il préfere par goût les jeux où le gain dépend entierement du caprice des dez et des cartes, et dans lesquels son talent ne lui donne point de superiorité sur les autres joüeurs.

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