C’est un phénomène qu’on n’a pas assez étudié, et qui ne s’explique, selon nous, que par deux causes : d’abord la prodigieuse fécondité morale de la race italienne ; ensuite la sève nouvelle, vigoureuse, étrange, que les lettres grecques et latines, renaissantes et greffées sur la chevalerie chrétienne, donnèrent à cette époque à l’esprit humain en Italie. […] Continuons. » Le professeur nous lut alors, sans l’interrompre, tout le premier chant ; on y voit avec plus de charme que de clarté comment Charlemagne, à la tête de l’armée d’Occident, attendait au pied des Pyrénées l’armée des Sarrasins commandée par Agramant ; comment le paladin Roland, neveu de Charlemagne et revenant des Indes avec Angélique, reine du Cathay, dont il était amoureux jusqu’au délire, arriva au camp de Charlemagne pour lui prêter son invincible épée ; comment Charlemagne, craignant que la passion de Roland pour Angélique ne lui fît oublier ses devoirs de chevalier et de chrétien, lui enleva Angélique, dont Renaud de Montauban, son autre neveu, était également épris ; comment Angélique fut confiée par Charlemagne au vieux duc de Bavière, afin de la donner comme prix de la valeur à celui de ses deux neveux qui aurait combattu avec le plus d’héroïsme ; comment les chrétiens sont défaits par les Sarrasins ; comment Angélique s’évade pendant la bataille à travers la forêt ; comment elle y aperçoit Renaud courant à pied après son cheval Bayard, qui s’était échappé ; comment Angélique, qui a Renaud en aversion alors, s’éloigne de lui à toute bride ; comment, arrivée au bord d’une rivière, elle est aperçue par le chevalier sarrasin Ferragus qui a laissé tomber son casque au fond de l’eau en buvant au courant du fleuve ; comment Ferragus, enflammé à l’instant par la merveilleuse beauté d’Angélique, tire l’épée pour la défendre contre Renaud ; comment Angélique profite de leur combat pour échapper à l’un et à l’autre ; comment Renaud et Ferragus, s’apercevant trop tard de sa fuite, montent sur le même cheval pour la poursuivre, l’un en selle, l’autre en croupe ; comment ils se séparent à un carrefour de la forêt pour chercher chacun de leur côté la trace d’Angélique ; comment Renaud retrouve son bon cheval ; comment Angélique, après une course effrénée de trois jours, descend de cheval dans une clairière obscure de la forêt.
Quelles délices solitaires et nocturnes j’éprouve dans mes tristesses et dans mes infirmités à relire ces confessions d’un Rousseau chrétien, et à rouler entre mes doigts distraits ces grains dont chacun a emporté les saintes prières de la pauvre femme d’Égraque (c’était le nom de son village, au bord de la Durance). […] L’amour malheureux m’a fait un être désespéré, la douleur me fait chrétien ! […] Et pour ne plus mourir, ma colombe chrétienne, Tu n’as pas d’âme ?
Il compléta ce cercle par un mari qui recherche la personne de Julie, tout en sachant que son cœur est à Saint-Preux, et qui sait être athée avec tous les sentiments d’un chrétien. […] Il est vrai qu’un hommage plus magnifique encore resterait infiniment au-dessous du plus simple acte de foi et d’amour d’une âme véritablement chrétienne ; mais puisqu’il y a des esprits qui ne peuvent pas devenir religieux par le cœur, ne faut-il pas remercier Dieu qu’il lui ait plu de se révéler à eux par la force de la logique dans les écrits d’un Descartes, par la force du sentiment dans ceux d’un Jean-Jacques Rousseau ? Le plus doux des chrétiens du dix-septième siècle, Nicole, qui recommandait de ne point dédaigner les preuves philosophiques de l’existence de Dieu, eût absous la première partie de la profession de foi du vicaire savoyard.
Au moyen âge, églises, châteaux, hôtels de ville représentent les trois faces principales de la société française ; ce sont les monuments d’une France chrétienne, féodale et municipale. […] Au début du xive siècle, la littérature, représentée surtout par la seconde partie du Roman de la Rose, est hardie, sensuelle, en pleine révolte contre l’Eglise, contre la morale chrétienne, contre la chasteté. […] Un autre, dans un sermon, dénonce le hennin comme un danger public, et invitant tous les bons chrétiens à courir sus à cette coiffure démoniaque, il crie : Au hennin !
Les jésuites, très favorisés alors par l’empire et par le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, saluèrent le Génie du Christianisme avec moins d’enthousiasme que le parti de l’empire et que le parti royaliste ne l’avaient salué ; ils ne se dissimulèrent pas que le secours apporté en apparence par ce livre à la religion était un secours dangereux, plus poétique que chrétien, et que les sensualités d’images et de cœur par lesquelles l’écrivain alléchait, pour ainsi dire, les âmes, étaient au fond très opposées à l’orthodoxie littérale et à la sévérité morale de dogme et de l’esprit chrétien. […] « L’oiseau », continua-t-il à lire, « semble le véritable emblème du chrétien ici-bas : il préfère, comme le fidèle, la solitude au monde, le ciel à la terre, et sa voix bénit sans cesse les merveilles du Créateur.
Godeau a fait sur ce modele les fastes de l’église, mais avec moins de succès, la religion des romains payens étant plus propre à la poésie que celle des chrétiens ; à quoi on peut ajoûter qu’Ovide étoit un meilleur poëte que Godeau. […] Au démembrement de l’empire romain en Occident, commence un nouvel ordre de choses, & c’est ce qu’on appelle l’histoire du moyen âge ; histoire barbare de peuples barbares, qui devenus chrétiens, n’en deviennent pas meilleurs. […] Gensgis-Kan chez les Tartares n’étoit point idolâtre, & n’avoit aucun simulacre ; les Musulmans qui remplissent la Grece, l’Asie mineure, la Syrie, la Perse, l’Inde, & l’Afrique, appellent les Chrétiens idolâtres, giaour, parce qu’ils croyent que les Chrétiens rendent un culte aux images. […] Les Chrétiens n’adorent en effet qu’un seul Dieu, & ne réverent dans les bienheureux que la vertu même de Dieu qui agit dans ses saints. […] Il y avoit dans l’Italie beaucoup de peuples encore gentils, même au septieme siecle : le nord de l’Allemagne depuis le Vezer n’étoit pas chrétien du tems de Charlemagne ; la Pologne & tout le Septentrion resterent long-tems après lui dans ce qu’on appelle idolâtrie : la moitié de l’Afrique, tous les royaumes au de là du Gange, le Japon, la populace de la Chine, cent hordes de Tartares ont conservé leur ancien culte.