D’autres fois Platon change cette énumération, et il distingue les mouvements de composition et de division, ceux d’augmentation et de diminution, et ceux de génération et de destruction. Il y ajoute le mouvement de translation, soit que le corps se déplace dans l’espace et change de lieu, soit qu’il fasse une révolution sur lui-même et reste en place. […] Il change de retraite : on dirait qu’il sait qu’on le forcera plus facilement à cause de sa graisse. […] Il y a danger, comme Cicéron le remarquait, voilà près de deux mille ans, dans ces variations arbitraires de langage ; l’intérêt bien entendu n’en est pas moins l’intérêt ; et l’interprétation peut changer perpétuellement, non pas seulement d’un individu à un autre, mais dans le même individu, qui n’a pas toujours de son intérêt, même en tâchant de le bien entendre, des notions pareilles et immuables. […] Cependant il ne peut y avoir deux lois morales, et il est bien évident que la politique est soumise aux mêmes conditions que la morale individuelle ; les principes ne changent pas pour s’appliquer à une nation.
On aurait cru en le voyant qu’on avait changé d’époque et qu’on était introduit dans la société d’un de ces deux ou trois hommes naturellement immortels, dont Louis XIV était le centre, et qui se trouvaient chez lui comme chez eux, à son niveau, quoique sans s’élever ou sans s’abaisser du leur : — La Bruyère, — Boileau, — La Rochefoucauld, — Racine, — et surtout Molière ; — il portait son génie si simplement qu’il ne le sentait pas. […] ” « Quelques mois après ce voyage, on changeait la veste de soie brune et la belle ceinture bleue du petit Honoré pour des vêtements de deuil. […] « Mes idées changent tellement que le faire changerait bientôt ! […] C’est Latouche et moi qui l’avons clouée sur un affreux papier qu’il eût fallu changer !
Leurs opinions, modifiées par les circonstances, changent selon qu’ils ont acquis plus ou moins d’expérience par leur contact avec le temps. […] Les hommes ne savent accepter avec reconnaissance ni de Dieu, ni de la Nature, ni d’un de leurs semblables, les trésors sans prix. » Mais ce ne sont pas seulement nos grands auteurs qui l’occupent et qui fixent son attention, il va jusqu’à s’inquiéter des plus secondaires et des plus petits de ce temps-là, d’un abbé d’Olivet, d’un abbé Trublet, d’un abbé Le Blanc qui, « tout médiocre qu’il était (c’est Goethe qui parle), ne put jamais parvenir pourtant à être reçu de l’Académie. » Cependant la France changeait ; après les déchirements et les catastrophes sociales, elle accomplissait, littérairement aussi, sa métamorphose. […] Ampère le visita, sa disposition d’esprit était bien changée ; Goethe, averti par le Globe, était au fait de tout, curieux et avide de toutes les particularités à notre sujet. […] Ugo Foscolo en Italie, Byron en Angleterre y puisèrent, l’un son imitation de Werther dans les lettres de Jacopo Ortis, l’autre ses doctrines malfaisantes d’énergie dans le crime de ses premières poésies, et de raillerie cynique du bien dans Don Juan ; après cela Goethe réfléchit et changea peu à peu de route. […] Les temps sont dans un progrès éternel ; les choses humaines changent d’aspect tous les cinquante ans, et une disposition qui en 1800 sera parfaite est déjà peut-être vicieuse en 1850. — Mais il n’y a de bon pour chaque peuple que ce qui est produit par sa propre essence, que ce qui répond à ses propres besoins, sans singerie des autres nations.
» Mais lorsqu’il les voyait prendre le chemin de la rue, en donnant des poignées de main à droite et à gauche aux gens qui les reconnaissaient, sa figure changeait ; il s’essuyait les yeux avec son gros mouchoir à carreaux en murmurant : « C’est la pauvre vieille Annette qui va avoir du plaisir ! […] Au lieu de nous faire un dîner ordinaire, elle nous en fit encore un meilleur que l’autre dimanche, et nous dit d’un air ferme : « Mangez, mes enfants, n’ayez pas peur… tout cela va changer. » Je rentrais vers quatre heures du soir à Phalsbourg un peu plus calme qu’en partant. […] VIII Le grand intérêt du roman avec l’histoire finit là ; le reste est tragique, mais la naïveté change de ton. […] … Durant plus d’une heure, malgré la joie que j’éprouvais de tenir dans mes bras celle que j’aimais, cette pensée affreuse ne me quitta pas une seconde, et même aujourd’hui, tout vieux et tout blanc que je suis, elle me revient encore avec amertume… Oui, nous avons vu cela, nous autres vieillards, et il est bon que les jeunes le sachent : nous avons vu l’Allemand, le Russe, le Suédois, l’Espagnol, l’Anglais, maîtres de la France, tenir garnison dans nos villes, prendre dans nos forteresses ce qui leur convenait, insulter nos soldats, changer notre drapeau et se partager non-seulement nos conquêtes depuis 1804, mais encore celles de la République : — C’était payer cher dix ans de gloire ! […] On ne voit que le pauvre apprenti de dix-huit ans, le bon horloger compatissant Goulden à son établi, la tante Grédel justement indignée, et la bonne nièce Catherine assise le dimanche sur la même chaise que son cousin Joseph, quatre cœurs où l’empire de 1813, ses victoires, sa gloire, et ses grandeurs retentissent dans un petit groupe de ce pauvre peuple et où tous les Te Deum se changent tout bas en larmes et en malédictions !
Ces angles mêmes varient et ces particules changent passant peu à peu ou subitement par de nouveaux ordres de réactions qui finissent de nouer l’enchevêtrement de chacun à tout le monde. […] Dans les scènes dramatiques les plus poussées, le massacre du fils du marchand Verestchaguine par la populace de Moscou, au moment de la fuite du gouverneur Rostopchine, cet horrible épisode de sauvagerie accomplie en tremblant par des brutes ivres épouvantées de leur bestialité ; — on encore, lors du suicide d’Anna Karénine, quand, dans une gare bruyante, cette grande femme se jette à genoux sous la sombre masse roulante d’un wagon ; — ou au récit des pensées de Lévine après cette conversation avec un paysan qui changeait toute sa vie, — on distinguera dans la description des faits et des idées, ces deux éléments de passage rapide et de soudain et ardent intérêt qui agitent les livres de Tolstoï de leur alternance semblable au vacille-ment d’une flamme. […] Les êtres passent et repassent ; ils vivent, changent, déploient peu à peu la trajectoire de leur carrière et de leur nature ; entre le dehors et leur dedans s’établit ce jeu d’actions et de réactions d’atteintes et de résistances qu’est la vie ; le lecteur assiste à l’essor graduel et au déclin de leur nature ; et si magistral est l’art avec lequel la diversité des phases altère et ménage la permanence indélébile des individus, ils sont À chaque tournant du récit montrés autres et mêmes avec une si incontestable évidence de réalité, que ce cours de variations de carrières diverses, d’âmes changeantes de visages nouveaux, d’événements successifs, finit d’entraîner mystérieusement le lecteur dans leur muet tourbillon d’apparences et d’ombres. […] Que ce soit dans La Guerre et la Paix cette baignade de tout un régiment à laquelle assiste le prince André, de cette chair à canon parmi laquelle un obus devait venir le déchirer, ou le spectacle des soins de propreté que se donnent les prisonniers russes traînés à la suite de la grande retraite ; que ce soit encore quand le prince René placé tout près de la princesse Hélène est pris de volupté à la vue des épaules frémissantes et respirantes de cette magnifique femme, ou quand Nicolas Lévine émacié et mourant de phtisie, change une dernière fois de chemise sur ses membres amincis, fauteur enseigne et suggère ce profond sentiment de fraternité par la chair qui unit et apitoie en dernière analyse le plus fortement tes hommes entre eux par le tien puissant de l’amour de leur propre corps. […] Mais pour des esprits comme celui de Tolstoï, que cette vie scandalise et qui tout à coup en viennent à songer que, mauvaise et absurde, elle est courte, sans espoir de rachat, sans le temps de changer ; la pensée qu’après une soixantaine d’années de péchés et de souffrances, il viendra inévitablement pour tout homme un mystérieux moment où, misérablement, il cessera d’être sans que ce globe s’arrête de fuir dans l’espace et les jours de se suivre, est intolérablement amère.
Paul Bourget n’en restera pas moins Byronien de religion poétique, il ne changera pas l’âme qu’il a et ne se laissera pas étouffer dans d’ineptes systèmes et des poétiques de perdition.