/ 2930
644. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Je reviens au cardinal de Bernis que je n’avais pas songé d’abord à prendre si politiquement, ni d’une manière si grave ; je reviens au caractère général qui m’avait d’abord attiré vers sa personne et dont je ne me laisserai plus détourner même par les grandes affaires et les controverses très vives où son nom se trouve mêlé. […] M. de Choiseul épiait (et sincèrement, on peut le croire,) les occasions de l’obliger en cour et de le servir : il eut de bonne heure l’idée de lui faire avoir la résidence de Rome ; mais il fallait préparer les voies : De mon côté, lui écrivait Bernis (14 mai 1759), je ne songe qu’à m’attacher à mon état et à mettre dans les partis que je prendrai à cet égard le temps, les réflexions et la droiture qui conviennent à mes principes et à mon caractère… Je serai toujours prêt à servir le roi quand vous croirez que je puis lui être utile. […] En agissant ainsi, il était tout à fait dans l’esprit de ses instructions et dans la pente de son caractère personnel. […] L’appareil ne lui était qu’extérieur : « Il a, disait le président Dupaty, l’accueil le plus facile, le commerce le plus uni. » Le caractère de sa politesse était d’être aisée et nuancée, de même que son esprit, vers la fin, semblait plutôt doux et reposé que brillant8. […] L’homme revêtu de ce caractère en soutient la dignité de la manière la plus éclatante.

645. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Les Meilhan de Rome ou de Byzance auraient pu nous dire quelque chose de ce caractère sexagénaire du monde grec ou romain, de l’ennui, « ce cruel ennemi de l’homme policé », et de tous les raffinements de vices et de folies qu’il entraîne. […] la méchante fée a doué Aladin à son berceau d’un cœur sensible, d’un génie supérieur et d’une grande franchise : ce sont là les dons maudits dont elle a chargé l’enfant ; et Salem, au contraire, a été doué par la bonne fée d’un esprit médiocre et actif, d’un caractère patient et d’une âme froide ; voilà ses trésors. […] Le caractère d’Aladin et ses nobles imprudences de conduite ont leur contrepoids et leur correctif dans la sagesse d’un vieux moine philosophe, le Kalender : Le Kalender avait beaucoup vu, beaucoup observé, méprisait les hommes et s’en accommodait ; il ne connaissait point de vérité absolue, ne trouvait rien de grand, ni de vil, ni de petit… Jamais il ne faisait de reproches sur ce qu’on aurait dû faire : il prenait les choses où elles en étaient, et les hommes comme ils étaient… Il ne donnait point de conseils, mais quelquefois des avis… Jamais il ne raisonnait contre les passions, mais il prouvait souvent qu’on n’avait pas de passion. […] Chemin faisant, il recueille toutes sortes d’observations sur le caractère des hommes, de ceux qui gouvernent et de ceux qui sont gouvernés. […] L’ouvrage que M. de Meilhan publia à Hambourg en 1795, intitulé Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France avant la Révolution, avec le caractère des principaux personnages du règne de Louis XVI, est d’un homme en qui les ridicules cessent dès qu’il tient la plume et qui mérite toute attention par la modération et les lumières.

646. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Souffle, véhémence, torrent, abondance, grandeur, feu et richesse, voilà les caractères continus de L’Iliade, que Pons ni La Motte ne soupçonnaient pas : On ne saurait dire, prétendait l’abbé de Pons, qu’une langue soit moins propre qu’une autre à la vraie peinture des pensées et des sentiments. […] Je n’ai rien vu de plus grand au théâtre que le caractère de Caton. […] Rendant hommage au mérite de M. de La Motte, qu’il ne craint pas d’appeler, « de l’aveu de tout le monde littéraire, un des premiers hommes de son siècle », l’abbé de Pons s’exprimait en paroles bien senties et moins contestables sur son caractère moral et ses vertus de société : Cette supériorité24, disait-il, est d’ordinaire compagne de l’orgueil immodéré ; mais le souverain éloge de M. de La Motte, c’est d’avoir su allier aux talents les plus éminents la plus modeste opinion de lui-même ; c’est de n’avoir jamais cherché dans les ouvrages de ses rivaux que le beau pour le protéger, et de s’être imposé un silence religieux sur les fautes dont il aurait pu triompher. En vain ces mêmes rivaux s’obstinent à l’assiéger avec des épigrammes injurieuses, des satires infâmes, des critiques insolentes, on ne peut réussir à lui faire démentir ce caractère de douceur, de modestie et de charité, vertus qui lui sont plus précieuses que la réputation de ses ouvrages. […] Mœurs, caractères, il traite tout cela avec le même esprit de simplification. « Le mot de mœurs, appliqué singulièrement aux personnages du poème, n’est autre chose que les penchants habituels et les sentiments qui constituent le caractère du personnage. » Le but moral comme l’entend Mme Dacier, le but d’instruction expresse, le dessein prémédité de former les mœurs, il ne le voit pas, — pas plus dans Homère que dans Racine : Racine, dit-il, n’a pas blessé la morale dans ses tragédies ; je vois bien des gens qui les envisagent comme des poèmes favorables aux mœurs, mais ils ne font pas pour cela honneur à Racine de ne s’être proposé aucune autre fin que l’instruction.

647. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Nous allons essayer, après tant d’autres, de repasser, nous aussi, sur les traits de ce caractère et de cette figure digne de mémoire et qui mérite la gravure. […] Dans une lettre écrite de Paris au poète Gray (25 janvier 1766), lettre toute émaillée de portraits et qui fait songer à la galerie de la Fronde de Retz, ou plutôt encore aux portraits de haute société de Reynolds et de Gainsborough, après avoir peint de sa touche la plus vive la duchesse de Choiseul et sa belle-sœur, la duchesse de Grammont, et bien d’autres, il continuait ainsi : « Je ne puis clore ma liste sans y ajouter un caractère beaucoup plus commun, mais plus complet en son genre qu’aucun des précédents, la maréchale de Luxembourg. […] Dans le joli portrait qu’elle avait tracé bien des années auparavant, du temps que la maréchale était encore Mme de Boufflers, Mme du Deffand avait dit : « Mme de Boufflers, en général, est plus crainte qu’aimée ; elle le sait, et elle ne daigne pas désarmer ses ennemis par des ménagements qui seraient trop contraires à la vérité, et à l’impétuosité de son caractère. […] Celle-ci, de son côté, cédait sans doute un peu moins dans ses dernières années à l’impétuosité de son caractère, à son esprit d’épigrammes, et se donnait un peu plus de peine pour persuader à ses amis qu’elle les aimait. […] Grâce à elle et malgré les souvenirs de licencieuse jeunesse qui se rattachaient à son nom, qui se chantonnaient encore à voix basse à la cantonade, qui ne nuisaient en rien cependant à sa considération dernière, et qui peut-être, auprès de générations très-gâtées, y aidaient plutôt (car on la savait d’une expérience suprême), grâce donc à la maréchale de Luxembourg, l’ancienne société, l’ancien salon français resta jusqu’à la fin marqué d’un caractère propre et unique pour l’excellence du ton.

648. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

C’est d’ailleurs le caractère et la qualité de certains esprits que, tout en atteignant à la réputation méritée, ils ne tombent pas dans les grands chemins et sous les jugements courants de la foule ; ils échappent ainsi au lieu-commun de la louange ; ils demeurent des sujets choisis. […] M. de Barante, une fois entré dans le cercle, dut y recevoir beaucoup ; mais il y porta, il y garda à coup sûr un caractère propre. […] Le caractère de ce premier écrit de M. de Barante a donc été d’introduire une vue moderne dans la critique. […] Sa critique diffère essentiellement de celle de Chénier, dans la même forme concise du tableau, en ce que Chénier résume d’un trait le caractère littéraire d’un talent, et que M. de Barante résume d’un mot l’idée de ce talent. […] sLe prince de Talmont, on le voit par les Mémoires imprimés, était celui de tous les chefs qui, par ses antécédents et son caractère, se trouvait le moins en accord avec ces mœurs simples, frugales, chrétiennes, et avec cette espèce d’égalité fédérale des gentilshommes vendéens.

649. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Les Allemands et les Anglais, avec leur caractère complexe d’analyse et de poésie, s’entendent et se plaisent fort à ces excellents livres. […] Le fait principal de ces premières années de la vie de Corneille est sans contredit sa passion, et le caractère original de l’homme s’y révèle déjà. […] L’effet que produisit sur le poëte ce déchaînement de la critique fut tel qu’on peut le conclure d’après le caractère de son talent et de son esprit. […] Nourris la plupart dans une discipline austère, ils ont sans cesse à la bouche des maximes auxquelles ils rangent leur vie ; et comme ils ne s’en écartent jamais, on n’a pas de peine à les saisir ; un coup d’œil suffit : ce qui est presque le contraire des personnages de Shakspeare et des caractères humains en cette vie. […] Je le comparerais volontiers à un statuaire qui, travaillant sur l’argile pour y exprimer d’héroïques portraits, n’emploie d’autre instrument que le pouce, et qui, pétrissant ainsi son œuvre, lui donne un suprême caractère de vie avec mille accidents heurtés qui l’accompagnent et l’achèvent ; mais cela est incorrect, cela n’est pas lisse ni propre, comme on dit.

/ 2930