Horace fit bien d’autres voyages depuis, mais celui-ci peut être regardé comme la dernière des courses où son bonheur ne le quitta pas, et où il fut accompagné en tout de cette bonne étoile qu’il avait la prétention de fixer ; « J’ai besoin d’y croire, disait-il avec quelque pressentiment mélancolique, pour jouir entièrement de tout ce qui se déroule sous mes yeux. […] J’ai le bonheur de n’être sur la route de personne, les lauriers de Miltiade ne m’empêchent pas de dormir. […] Mais Delaroche, malgré tout, n’était pas heureux ; même heureux, il avait, on l’a dit, le bonheur triste et craintif. […] « En arrivant, j’ai trouvé, comme vous me l’aviez dit, une lettre de vous datée du 9, mon cher Delaroche ; quoique vous ayant vu depuis, j’y réponds par la raison toute simple qu’elle traite des questions graves qu’il m’importe à mon tour de traiter de vous à moi ; car je veux et je dois vous ouvrir mon cœur tout entier, au risque de vous déplaire sous certains rapports, et peut-être de voir nos relations se refroidir de nouveau ; mais il est des circonstances où ce serait un crime de se taire, puisqu’il y va de votre bonheur à venir et de vous préserver du plus affreux de tous les malheurs, de cette douleur sans compensation de rester seul sur la terre ! […] J’ai promis quelques tableaux, je vais les faire. » « La montre marche toujours, mais les aiguilles ne marquent plus rien : autrement dit, ma vieille toiture33 est encore là, mais le cadran n’indique plus ce que je voudrais faire comprendre. » Nous savons des existences heureuses et qui le sont jusqu’au dernier jour de l’âge même le plus avancé ; ce sont là d’insolents et aussi de trop frivoles bonheurs.
Je sais par une triste expérience que ces jeunes et tendres âmes ont besoin de bonheur ou de le rêver, et que leur première nourriture doit être une indulgence inaltérable. […] Je ne peux, en vérité, mon bon Richard, ressentir le moindre bonheur que celui des autres ; le mien est brisé… » La tempête de Février 1848 éclate. […] » Il y eut là comme une éclaircie de bonheur. […] Pourquoi ce bonheur, ce bien-être lui étaient-ils venus si tard, — trop tard ? […] Ruiné dans toutes ses espérances, c’est encore une de ces existences dissoutes dans le mouvement formidable de ce qu’on appelle la civilisation, qui pour beaucoup ressemble au chaos. » « (6 septembre 1854)… Le malheur finit par semer l’épouvante même au sein des familles que le bonheur aurait unies.
Il eut cet autre bonheur encore, et celui-ci inestimable, de passer son enfance à la campagne. […] Il y retrouve quelque chose qui n’est ni la paix ni le bonheur, mais qui a des apparences de l’une et de l’autre. […] N’aurait-on pas aperçu, au second plan, une figure sympathique, vaillante, inaccessible même un seul moment au découragement, ce type du précepteur, Augustin, que l’auteur a placé dans son roman pour montrer qu’il croyait à la vie, au contraire, et à la volonté, et à la conquête du bonheur par le travail opiniâtre et la droiture de l’esprit ? […] Étrange et forte preuve de notre noblesse native, puisque les romanciers n’ont point coutume, que je sache, de faire un dénouement de bonheur acquis et durable à la passion triomphante, et qu’elle n’éprouve jamais tant les amants que le lendemain du jour où ils sont réunis. […] Il dit du peintre Van Orley : « Vous trouvez en lui du gothique et du florentin… ici la pâte lourde et cartonneuse, la couleur terne et l’ennui de pâlir sur des méthodes étrangères ; là des bonheurs de palette, et la violence, les surfaces miroitantes, l’éclat vitrifié propres aux praticiens sortis des ateliers de Bruges. » Quelles images neuves, et quelle langue nouvelle aussi, combien forte !
Rien d’abord ne paraît plus simple ; on se met en campagne ; on trouve bien des chemises de gens qui l’offrent d’eux-mêmes, et qui se piquent de parfait bonheur : aucune n’opère. […] Cette lettre de Sophie Arnould est datée de son lit où la clouaient la maladie et la douleur : Mais parlons, lui disait-elle, du bonheur que m’a procuré la lecture de votre Épître. […] De même dans cette épître (« Hoc erat in votis… ») qu’il rend d’ailleurs avec sentiment, dans le morceau célèbre sur le bonheur des champs, il ose bien nommer la fève que le poète devenu campagnard sert sur sa table, mais il recule devant ces petits légumes assaisonnés de fin lard, et dont Horace nous laisse arriver le fumet : Uncta satis pingui ponentur oluscula lardo ; et il dit en échange : Quand verrai-je ma table offrir du lait, des fleurs ! […] Mais, à défaut de ce qu’on a appelé le bonheur curieux d’expression, le curiosa felicitas d’Horace, qu’on sent trop échapper ici, on a chez lui la suite, des parties de force, de fermeté, et, dans les Épîtres et Satires, le courant facile et plein du bon sens.
L’auteur des prétendus mémoires fait dire à la marquise « qu’elle a passé trente ans avec M. de Créqui dans un bonheur sans mélange. » Elle revient en plus d’un endroit, d’un air d’attendrissement, sur « tant d’années » d’un parfait bonheur qu’elle lui a dû. […] Elle compatit aux pauvres gens et aux affligés que frappe cette banqueroute ; elle en donne les détails et les chiffres précis à Senac de Meilhan, son correspondant très cher ; et, voyant la superbe famille de Rohan si humiliée et par cette catastrophe et par d’autres accidents qui bientôt suivirent, elle en revient aux réflexions morales ; elle se félicite au moins de ne tenir à rien, et de ne point prêter à ces revers subits du faste et à ces chutes de l’ambition ; elle se rejette dans la médiocrité, comme disait La Bruyère : Ô obscurité, s’écrie-t-elle avec un sentiment moral qui ferait honneur à toutes les conditions, tu es la sauvegarde du repos, et par conséquent du bonheur ; car qui peut dire ce qu’on serait en voulant des places, des biens, des titres, des rangs au-dessus des autres, où on arrive par l’intrigue, où on se maintient par la bassesse, et dont on sort avec confusion souvent, et toujours avec douleur ? […] Au sujet de ces agitations, de ces énergies de cœur et d’esprit qu’elle lui marquait, il lui disait encore : « Votre âme se porte trop bien, elle vous use ; vous n’aurez jamais un corps sain. » — À la paix, après quelques années passées à observer les riches héritières, le marquis de Créqui se maria avec Mlle du Muy ; cette union, tout en vue de la fortune, fut sans bonheur, et les zizanies, les chicanes qu’elle engendra rejaillirent jusqu’à Mme de Créqui, et lui causèrent bien des ennuis et même des pertes d’argent considérables ; mais ce qui l’atteignait plus que tout, c’était l’indifférence et l’ingratitude de cœur de son fils, qui ne parut jamais s’apercevoir des sacrifices et de l’affection de sa mère.
Sur ce point seul ne suivez ni l’exemple ni les conseils de la famille ; c’est à vous à donner le ton à Versailles ; vous avez parfaitement réussi ; Dieu vous a comblée de tant de grâces, de tant de douceur et de docilité, que tout le monde doit vous aimer : c’est, un don de Dieu, il faut le conserver, ne point vous en glorifier, mais le conserver soigneusement pour votre propre bonheur, et pour celui de tous ceux qui vous appartiennent. (1er novembre 1770.) » Une des recommandations continuelles de Marie-Thérèse à sa fille et qui reviennent sans cesse et jusqu’à satiété, c’est, après celles qui regardent la santé et la vocation à être mère, de se garder des coteries, des apartés, des sociétés privées où le sans-façon domine, de ne jamais oublier qu’on est un personnage en vue, exposé sur un théâtre, ayant un rôle à remplir ; de ne se relâcher en rien, de se surveiller soi-même en tout, dans les petites choses comme dans les grandes ; de mépriser le qu’en dira-t-on, mais aussi de ne point prêter à de justes reproches. […] elle lui reconnaît ce don et ce bonheur de se faire aimer, qui est, selon elle, l’unique ressource et félicité de l’état de souverain : « Vous l’avez si parfaitement acquis (ce bonheur), ne le perdez pas en négligeant ce qui vous l’a procuré : ce n’est ni votre beauté, qui, effectivement, n’est pas telle, ni vos talens, ni votre savoir (vous savez bien que tout cela n’existe pas), c’est votre bonté de cœur, cette franchise, ces attentions, appliquées avec tant de jugement. […] Les éloges se mêlent aux réprimandes, car on sent qu’elles sortent d’un cœur tendre et qui n’a en vue que le bonheur des siens : « Je suis toujours sûre du succès, si vous entreprenez une chose, le bon Dieu vous ayant douée d’une figure et de tant d’agréments, joint avec cela votre bonté, que les cœurs sont à vous si vous entreprenez et agissez ; mais je ne puis vous cocher pourtant ma sensibilité : il me revient de toutes parts et trop souvent que vous avez beaucoup diminué de vos attentions et politesses à dire à chacun quelque chose d’agréable et de convenable, de faire des distinctions entre les personnes.