M. l’Abbé de Gourcy a publié depuis un Essai sur le bonheur, qui mérite d’être lu par les personnes qui désirent de tirer le plus grand parti possible des avantages & des inconvéniens attachés à la vie de ce bas monde. Il y examine si l’on peut aspirer à un vrai bonheur sur la terre, jusqu’à quel point ce bonheur dépend de nous, & quel chemin y conduit. Peu content d’exposer ses propres idées, qui nous ont paru solides & toujours conformes à la saine Morale, il a rassemblé dans cet Essai ce que nos Ecrivains les plus célebres ont écrit de plus ingénieux sur le bonheur, & qu’un d’entre eux définit le passage d’un état agréable à un plus agréable.
Il m’en a coûté de prononcer, qu’aimer avec passion, n’était pas le vrai bonheur ; je cherche donc dans les plaisirs indépendants, dans les ressources qu’on trouve en soi, la situation la plus analogue aux jouissances du sentiment ; et la vertu, telle que je la conçois, appartient beaucoup au cœur ; je l’ai nommé bienfaisance, non dans l’acception très bornée qu’on donne à ce mot, mais en désignant ainsi toutes les actions de la bonté. La bonté est la vertu primitive, elle existe par un mouvement spontané ; et comme elle seule est véritablement nécessaire au bonheur général, elle seule est gravée dans le cœur ; tandis que les devoirs qu’elle n’inspire pas, sont consignés dans des codes, que la diversité des pays et des circonstances peut modifier ou présenter trop tard à la connaissance des peuples. […] La bonté recueille aussi toutes les véritables jouissances du sentiment ; mais elle diffère de lui par cet éminent caractère où se retrouve toujours le secret du bonheur ou du malheur de l’homme ; elle ne veut, elle n’attend rien des autres, et place sa félicité tout entière dans ce qu’elle éprouve. […] Du moins en parlant de bonheur, il est impossible de supposer une situation qui exige des efforts perpétuels ; et la bonté donne des jouissances si faciles et si simples que leur impression est indépendante du pouvoir même de la réflexion. […] Aucune consolation partielle, aucun plaisir détaché ne peut donner du secours ; cependant, comme l’âme est toujours plus capable de vertus et de jouissances relevées, alors qu’elle a été trempée dans le feu des passions, alors que son triomphe a été précédé d’un combat, la bonté même n’est une source vive de bonheur que pour l’homme qui a porté dans son cœur le principe des passions.
Plusieurs avantages d’une grande importance pour la morale et le bonheur d’un pays, se trouveraient perdus si l’on parvenait à rendre les femmes tout à fait insipides ou frivoles. […] L’on ne pourrait craindre l’esprit des femmes que par une inquiétude délicate sur leur bonheur. Il est possible qu’en développant leur raison, on les éclaire sur les malheurs souvent attachés à leur destinée ; mais les mêmes raisonnements s’appliqueraient à l’effet des lumières en général sur le bonheur du genre humain, et cette question me paraît décidée. […] Il est utile aux lumières et au bonheur de la société que les femmes développent avec soin leur esprit et leur raison. […] Non seulement les injustices peuvent altérer entièrement le bonheur et le repos d’une femme ; mais elles peuvent détacher d’elle jusqu’aux premiers objets des affections de son cœur.
Est-ce dans le bonheur individuel ? Mais ce mot de progrès dans le bonheur jure avec l’immuable condition de l’homme ici-bas. […] Le progrès dans le bonheur pour un pareil être, c’est le progrès quotidien vers le sépulcre. Or, qu’est-ce que le progrès dans le bonheur pour une race dont chaque être marche à son supplice prochain et inévitable ? […] Il ne connaît l’éternité, l’espace, le temps, la science, le bonheur que de nom.
Pour justifier tous les genres de servitude vers lesquels divers sentiments peuvent rappeler, l’on a recours du moins à des idées générales, à des motifs tirés du bonheur des nations, à des raisonnements que l’on fonde sur la volonté des peuples. […] Si les questions de politique, par exemple, pouvaient jamais arriver à un degré d’évidence tel que la grande majorité des hommes y donnât son assentiment comme aux vérités de calcul, combien le bonheur et le repos du genre humain n’y gagneraient-ils pas ? […] Chaque progrès nouveau dans ce sens met une partie de plus du bonheur social en sûreté. […] La politique est soumise au calcul, parce que s’appliquant toujours aux hommes réunis en masse, elle est fondée sur une combinaison générale, et par conséquent abstraite ; mais la morale ayant pour but la conservation particulière des droits et du bonheur de chaque homme, est nécessaire pour forcer la politique à respecter, dans ses combinaisons générales, le bonheur des individus. […] En soumettant la morale publique à ce qui devait lui être subordonné, l’on a souvent fait le malheur de chacun, sous le prétexte du bonheur de tous.
Si je pouvais rendre cet état permanent, que manquerait-il à mon bonheur ? […] D’après mon expérience, que je ne prétends point donner pour preuve de la vérité, je serais donc disposé à conclure que l’état de nos corps, ou un certain mécanisme de notre être que nous ne dirigeons pas, détermine la somme de nos moments heureux ou malheureux ; que nos opinions sont toujours dominées par cet état, et que généralement toutes les affections que l’on regarde vulgairement comme des causes du bonheur ne sont, ainsi que le bonheur même, que des effets de l’organisation. […] Rien n’est plus funeste au repos public comme au bonheur individuel que cette préoccupation universelle de droits, d’intérêts, d’affaires de gouvernements. […] Il s’est attaché quelque part à réfuter une définition que Cabanis a donnée du bonheur : « Le bonheur, dit Cabanis, consiste dans le libre exercice des facultés, dans le sentiment de la force et de l’aisance avec lesquelles on les met en action. » — « À cette condition, répond Maine de Biran, il n’est guère d’homme moins heureux que moi. […] Ce journal intéresse, parce qu’il n’est pas seulement d’un esprit qui cherche la vérité, mais aussi d’une âme plaintive et qui a soif de bonheur.