Publiciste, malgré ses hautes parties, je ne lui trouve pas les vrais signes du génie, qui sont l’ouverture d’instinct, le renouvellement de vue, la prescience et la découverte de vérités nouvelles : il n’a fait que rédiger et reconstruire, sous forme originale, idéale, et parfois bizarre, les doctrines du passé, sans admettre ni concevoir aucune des transactions et des transformations par où elles pouvaient se lier à l’avenir. […] L’avenir, je le crois, réservera à M. de Bonald une assez haute place : à mesure que les âges s’éloignent et que les institutions s’évanouissent, on sent le besoin d’en résumer de loin l’esprit dans quelques figures et dans quelques noms.
Il vise lui-même à remplir quelques-unes de ces conditions difficiles qu’il impose au génie ; il sait qu’une muse n’atteindra jamais aux beautés sévères, « si elle n’a point le courage d’acquérir dans le silence littéraire cette mâle vigueur que ne sauraient énerver ni le bon ton ni la bonne compagnie : Ceux dont le présent est l’idole Ne laissent point de souvenir : Dans un succès vain et frivole Ils ont usé leur avenir. […] Il sentait, du reste, tout ce qu’il y avait de discordant dans un tel lieu rapproché des circonstances où il le proférait : « Comment parler d’avenir, disait-il, à des gens que le présent dévore ?
L’idée de gloire, qui est inséparable de Louis XIV, s’y mêle, et, comme l’avenir aura un jour à s’occuper de ses actions, comme la passion et le génie des divers écrivains devront s’y exercer, il veut que son fils trouve là de quoi redresser l’histoire si elle vient à se méprendre. […] Mazarin avait déclaré à ceux qui paraissaient douter de l’avenir du jeune roi, « qu’on ne le connaissait pas, et qu’il y avait en lui de l’étoffe pour faire quatre rois et un honnête homme ».
Déjoué et rejeté dans le présent, il conclut presque tous ses ouvrages par d’éloquents et confiants appels à l’avenir, lequel est toujours assez vaste et assez obscur pour donner, comme les anciens oracles, des réponses au gré de tous. […] Et c’est ici qu’il se trahit à ravir dans toute l’indécision naturelle de sa pensée : il propose à la fois deux plans parallèles, l’un de parfaite république, l’autre de monarchie exemplaire ; il construit tour à tour ces deux plans avec une grande habileté d’analyse, il les balance, et, les ayant pondérés de tout point, il dit à l’homme proclamé par lui nécessaire : « Prenez l’un de mes projets, ou prenez l’autre. » Puis, si on ne les prend pas, il se console par la vue de son propre idéal, et, comme tous les théoriciens satisfaits, il en appelle à l’avenir et au bon sens qui, tôt ou tard, selon lui42, est le « maître de la vie humaine ».
Sans vouloir nous étendre sur un problème qui ne fait pas partie intégrante de ce travail, nous croyons qu’il faudra à l’avenir distinguer dans l’émotion ordinaire (non plus esthétique) : d’une part, l’excitation, l’exaltation neutre qui la constitue, qui est son caractère propre et constant : de l’autre, un phénomène cérébral additionnel, qui est l’éveil d’un certain nombre d’images de plaisir ou de douleur, venant s’associer au forni originel, le colorer ou le timbrer pour ainsi dire, et produire la peine ou la joie proprement dites, quand elles comprennent le moi comme sujet souffrant et joyeux. […] Outre Les Problèmes de l’esthétique contemporaine (1884), et L’Art du point de vue sociologique (1889), il est l’auteur en particulier de l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction (1884) et de L’Irréligion de l’avenir (1887).
L’ignorance et l’indifférence du passé lui fermaient les yeux sur l’avenir. […] le xviie siècle ne pense jamais à l’avenir, et Bossuet, en cela, est encore l’interprète de son temps.