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14. (1890) L’avenir de la science « XIII »

Là n’est pas son immortalité ; elle est dans la brève formule où il a résumé sa vie, et qui, plus ou moins exacte, entrera comme élément dans la science de l’avenir. […] N’est-ce pas en tant que pouvant fonder dans l’avenir la vraie et sérieuse philosophie de l’histoire ? […] Certes il serait plus doux et plus flatteur pour la vanité de cueillir de prime abord le fruit qui ne sera mûr peut-être que dans un avenir lointain. […] Se résoudre à ignorer pour que l’avenir sache, c’est la première condition de la méthode scientifique. […] Peut-on espérer que ces études demeurent avec tous leurs détails dans la science de l’avenir ?

15. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

. — Circonstances qui la projettent dans l’avenir. — Exemples. — Déplacements successifs et voyages apparents de l’image pour se situer plus ou moins loin dans le passé ou l’avenir. — Elle se situe par intercalation et emboîtement. […] Dernier stade de la rectification. — Exemples. — L’image apparaît alors comme pure image actuelle. — Représentations, images, conceptions, idées proprement dites. — Cas où elles sont émoussées et privées de particularités individuelles. — En ce cas, elles ne peuvent se situer nulle part dans le passé, ni dans le présent, ni dans l’avenir. — Cas où elles sont précises et pourvues de particularités individuelles. — La vision pittoresque et poétique. — En ce cas, elles sont promptement exclues de leur place apparente dans le présent, le passé ou l’avenir. — Dans les deux cas, la répression complète est immédiate ou prompte. — Elle est l’œuvre commune de la sensation présente, des souvenirs liés et des prévisions ordinaires. […] C’est ici le cas, puisque nous lui devons notre connaissance du passé et, par suite, nos prévisions de l’avenir. […] D’où il suit que toute image, occupant un fragment du temps, possède deux bouts, l’un antérieur, plus voisin des événements précédents, l’autre postérieur, plus voisin des événements ultérieurs, le premier contigu au passé, le second contigu à l’avenir. […] À l’instant, au lieu de glisser vers le passé, elle glisse vers l’avenir.

16. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Sans doute il y a un présent idéal, purement conçu, limite indivisible qui séparerait le passé de l’avenir. […] Sur mon passé d’abord, car « le moment où je parle est déjà loin de moi » ; sur mon avenir ensuite, car c’est sur l’avenir que ce moment est penché, c’est à l’avenir que je tends, et si je pouvais fixer cet indivisible présent, cet élément infinitésimal de la courbe du temps, c’est la direction de l’avenir qu’il montrerait. […] Au contraire, l’avenir immédiat consiste dans une action imminente, dans une énergie non encore dépensée. […] L’espace nous fournit donc ainsi tout d’un coup le schème de notre avenir prochain ; et comme cet avenir doit s’écouler indéfiniment, l’espace qui le symbolise a pour propriété de demeurer, dans son immobilité, indéfiniment ouvert. […] Rien n’est moins que le moment présent, si vous entendez par là cette limite indivisible qui sépare le passé de l’avenir.

17. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

La conscience de soi enveloppe : 1° la conscience de la totalité de nos activités ; 2° la conscience de l’unité de cette totalité ; 3° la vue anticipée d’une continuation de ce tout-un pendant un avenir plus ou moins incertain. […] A la conscience immédiate du moi actuel vient alors s’ajouter une idée symbolique du moi, qui est une abstraction et une construction complexe, représentant un moi possible dans l’avenir et son rapport avec le moi présent. […] Dès lors, l’être peut agir pour l’avenir, à distance ; il peut agir pour la totalité de sa vie individuelle, et même pour sa vie conçue comme éternelle. […] Une telle représentation de l’existence est d’autant plus inévitable qu’elle est utile, nécessaire même à l’être vivant pour l’adapter à l’avenir par le moyen du passé. […] Que l’image de la dent subsiste avec celle de la douleur, le mouvement de fuite se produira et, l’identité se projetant du passé à l’avenir, l’être deviendra capable de prévision par le souvenir même.

18. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

La plupart des hommes cherchent donc à trouver le bonheur dans l’émotion, c’est-à-dire, dans une sensation rapide, qui gâte un long avenir : d’autres se livrent par calcul, et surtout par caractère à la personnalité ; mécontents de leurs relations avec les autres, ils croient avoir trouvé un secret sûr pour être heureux, en se consacrant à eux-mêmes, et ils ne savent pas que ce n’est pas seulement de la nature du joug, mais de la dépendance en elle-même que naît le malheur de l’homme. […] L’avenir inquiète tellement les avares, qu’ils aiment à sacrifier le présent comme pourrait le faire la vertu la plus relevée : la personnalité de tels hommes va si loin, que l’avare finit par immoler lui à lui-même ; il s’aime tant demain, qu’il se prive de tout chaque jour pour embellir le jour suivant. […] Si l’avare, si l’égoïste sont incapables de ces retours sensibles, il est un malheur particulier à de tels caractères auquel ils ne peuvent jamais échapper ; ils craignent la mort, comme s’ils avaient su jouir de la vie : après avoir sacrifié leurs jours présents à leurs jours avenir, ils éprouvent une sorte de rage, en voyant s’approcher le terme de l’existence ; les affections du cœur augmentent le prix de la vie en diminuant l’amertume de la mort : tout ce qui est aride fait mal vivre et mal mourir : enfin, les passions personnelles sont de l’esclavage autant que celles qui mettent dans la dépendance des autres ; elles rendent également impossible l’empire sur soi-même, et c’est dans le libre et constant exercice de cette puissance qu’est le repos et ce qu’il y a de bonheur. Les passions qui dégradent l’homme, en resserrant son égoïsme dans ses sensations, ne produisent pas, sans doute, ces bouleversements de l’âme où l’homme éprouve toutes les douleurs que ses facultés lui permettent de ressentir ; mais il ne reste aux peines, causées par des penchants méprisables, aucun genre de consolation ; le dégoût qu’elles inspirent aux autres, passe jusqu’à celui qui les éprouve ; il n’y a rien de plus amer dans l’adversité que de ne pas pouvoir s’intéresser à soi : l’on est malheureux sans trouver même de l’attendrissement dans son âme ; il y a quelque chose de desséché dans tout votre être, un sentiment d’isolement si profond, qu’aucune idée ne peut se joindre à l’impression de la douleur ; il n’y a rien dans le passé, il n’y a rien dans l’avenir, il n’y a rien autour de soi, on souffre à sa place, mais sans pouvoir s’aider de sa pensée, sans oser méditer sur les différentes causes de son infortune, sans se relever par de grands souvenirs où la douleur puisse s’attacher.

19. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

L’avenir est dans ceux qui, embrassant sérieusement la vie, reviennent au fond éternel du vrai, c’est-à-dire à la nature humaine, prise dans son milieu et non dans ses raffinements extrêmes. […] Quand l’avenir nous verra dégagés de ce tumulte étourdissant, il nous jugera comme nous jugeons le passé. […] L’avenir n’approuvera pas sans doute entièrement nos tendances matérialistes. […] L’ascète de l’avenir ne sera pas le trappiste, un des types d’homme les plus imparfaits ; ce sera l’amant du beau pur, sacrifiant à ce cher idéal tous les soins personnels de la vie inférieure. […] Mais n’importe ; il tient le dépôt sacré, il porte l’avenir, il est homme dans le grand et large sens.

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